ETUDE : « L’écologie, marqueur idéologique »

L’écologie est à la mode mais elle ne dépasse pas toujours le prêt-à-porter. Que lit on dans les principaux projets des candidats à la présidentielle ? C’est dans notre #EcoloBaromètre2017.

Des incontournables. Entre autres, le développement des énergies renouvelables. Il rassemble un certain consensus entre les candidats. Il s’accommode parfois mal d’une volonté de repartir pour un tour nucléaire (Le Pen, Fillon). Le respect de la Loi pour la Transition Energétique (LTE) est un autre marqueur du clivage écologique, il recoupe également la séparation entre la droite, plutôt hostile à une telle programmation, et les autres. Marine Le Pen s’inscrit tout à la fois du côté des pro-nucléaires, du développement des renouvelables et, soucieuse de présenter le visage de la défense des paysages (traversés par des lignes à Haute Tension), elle plaide contre l’éolien.

Sur le champ des questions agricoles, la plupart des candidats se prononcent contre les OGM, tous se disent en faveur des circuits courts. Comme si le succès du film Demain était passé par là. Le diable se niche pourtant dans les détails. Mélenchon développe ainsi cinq propositions sur le sujet. Tandis que le projet de Fillon trahit davantage un projet économique de la filière agricole dans lequel les objectifs écologiques ne sont pas explicites. Sur le sujet, Marine Le Pen s’inscrit à nouveau dans une articulation des contraires. Si elle souhaite « réorganiser les filières », c’est certes pour favoriser le rapprochement entre producteurs et consommateurs. Et favoriser les exportations : carton plein.

La problématique des transports distingue les partisans d’investissements lourds dans les infrastructures, chiffrés (Mélenchon) ou intentionnels (Hamon), de ceux qui misent sur un changement des usages de la voiture. Soit, en développant l’électrique, soit en encourageant la sortie du diesel. Ce qui par ailleurs est un lien commun entre Mélenchon, Hamon et Macron.

Il y a aussi, dans ce défi écologique,
une part de réponse
au vide existentiel du moment

Entre une droite prise dans l’étau du dogme des libéralisations sans buts et d’une nostalgie « où c’était mieux avant » ; du côté des candidats les plus à gauche, on a du mal à entrevoir une transition écologique qui ne soit pas fondée sur autre chose… qu’une relance de la croissance et de la consommation. Le programme de hausse des dépenses publiques de Mélenchon et de Hamon a beau s’appuyer sur une volonté de sobriété, on ne peut vouloir réinjecter deux points de croissance dans le moteur sans souffrir de quelques contradictions. La petite musique « écolo » est parfois couverte par la grosse caisse productiviste, c’est là une limite. Du côté d’Emmanuel Macron, on trouve également une logique croissantiste, mais davantage fondée sur des réformes de structure que sur un programme de relance. Son écologie serait donc certes moins ambitieuse, mais plus économe.

La séquence est intéressante. Du point de vue démocratique, elle s’annonce même historique. La refonte du pacte républicain devrait donner l’occasion de remettre au débat quelques grands compromis comme au sortir du dernier conflit. Renouer avec un idéal d’émancipation qui ne se dilue pas dans un consumérisme, pour certains exacerbé. Redonner à chacun les moyens de vivre et de construire sa vie en résorbant les fractures culturelles. En l’état, les projets de repli ou de relance de la sphère publique semblent laisser chacun se débrouiller au milieu du bazar de ses envies. C’est pourtant à partir du désir de reconstruire des horizons communs qu’on pourra faire face aux menaces essentielles qui pèsent sur le destin de notre humanité. Il y a aussi dans ce défi écologique, une part de la réponse au vide existentiel du moment, celui qui laisse place au trop plein des dogmes et des prédicateurs.

LES PETITS

ARTHAUD Pas de programme stricto sensu, si ce n’est sa volonté d’une économie planifiée. ASSELINEAU La sortie de l’UE comme préalable à toute politique écologique. Il souhaite organiser un référendum sur le nucléaire. Le candidat de l’UPR se prononce en faveur d’une taxe verte et d’une taxe sur les produits agricoles à l’import. CHEMINADE Favorable au nucléaire, Jacques Cheminade veut une régulation publique des marchés de l’énergie et un moratoire sur les subventions aux renouvelables. Il souhaite aussi la fin des négociations des traités de libre-échange. DUPONT-AIGNAN Le candidat de Debout La France met l’accent sur la maltraitance animale, notamment en soutenant les associations et les refuges. Il veut aussi sortir des règles de l’OMC et arrêter de négocier des accords commerciaux. LASSALLE Le candidat envisage la construction de centrales solaires et la recherche sur le stockage de cette énergie. Il veut aussi débloquer 3 milliards d’euros pour les agriculteurs en changeant notamment le mode de rémunération des agriculteurs pour rémunérer les personnes plutôt que les volumes. POUTOU Le rejet du nucléaire et des énergies fossiles ou l’autorisation d’OGM à but notamment médical en espaces confinés uniquement.

Tous héritiers ?

Au delà de l’opportunité évidente de maitrise de l’agenda politique, la question du Revenu Universel a eu un intérêt majeur. Celui de mettre sur la place publique la question des moyens de l’existence pour chacun. Indépendamment de son statut dans la société, comment assurer à chaque personne de nouvelles protections de nature à faire diminuer le niveau d’angoisse général ? Ce débat a pu donner le sentiment d’être abordé sous la seule contrainte budgétaire. En négligeant l’hypothèse de la raréfaction du travail ou de sa transformation. Les sommes colossales en jeu signent en effet une ambition au delà d’une mandature. Elles trahissent en même temps la difficulté du candidat désigné par le PS d’inscrire son action sur les prochains mois. Sauf à lever par de nouvelles taxes (sur les robots ou le foncier des entreprises) l’équivalent du produit de l’impôt sur le revenu. Et ce, pour financer la seule « version plancher » d’un Revenu Universel. Celle ci, « uniquement » élargie aux moins de 25 ans, représente déjà 3 points de prélèvements obligatoires supplémentaires. De fait, cette pression fiscale supplémentaire serait concentrée sur les classes moyennes, supérieures et les entreprises. Sauf à replier des dispositifs existants, mouvement sur lequel Benoit Hamon est resté assez flou jusqu’à maintenant, personne ne peut prédire les conséquences de tels ajustements dans une économie ouverte où le capital et les facteurs de production sont mobiles.

Au final, le candidat socialiste prend le risque d’un bouleversement fiscal majeur et immédiat pour palier à l’évaporation hypothétique du travail sur une génération. Souci louable de précaution, diront ses partisans. Connexion avec les thèses libérales diront ses contradicteurs.

 Ce débat sur l’universalité de dispositifs a d’ailleurs eu lieu. A l’étranger.

Notamment en Grande Bretagne en 2005, dans le sillage du « Child Trust Fund » et la perspective de la constitution d’un patrimoine de départ dans la vie. Dans ce dispositif, des sommes sont créditées sur le compte des jeunes selon la situation sociale de leurs parents, de manière à constituer un capital disponible à leur majorité pour des études supérieures par exemple. Les tenants de l’universalité se sont également opposés aux partisans du « ciblage ». Quelles tranches de revenus sont renforcées et quelle utilisation sont faites des sommes ainsi constituées ? Les partisans du ciblage l’ont emporté pour des raisons de coûts. L’opposition au sein des travaillistes a trouvé également un écho au sein des conservateurs, porteurs de la notion de « stakeholders ». Une vision de la société faite de membres « responsables » de l’utilisation des fonds qui leur sont destinés « au départ ».

Une opposition dans laquelle les tenant d’une troisième voie se sont peu exprimés, y compris en France ces dernières semaines. Ceux qui considèrent que ces arbitrages peuvent également appauvrir les ressources potentiellement affectables à l’investissement direct dans le service public de l’enseignement notamment. La difficile construction d’un horizon et de biens communs a un chemin bien difficile à éclaircir ces derniers temps.

 

Sauver les gauches

Une strate de génération s’en va. Les têtes émergentes du PS et des Républicains sont en réalité installées depuis plusieurs décennies. Et pour certaines, la politique est leur unique expérience. Le système politique français génère une endogamie de son corps, faite d’édiles professionnels. Et c’est tout. Côté idéologie, la technocratie qui les compose – noblesse d’Etat pour la droite, cadres des collectivités pour la gauche- est dans l’incapacité d’en produire une substance. Il reste des catalogues fades. A droite, le repli de la sphère publique -plus que sa réforme- tient lieu de feuille de route. C’est la transcription littérale des attentes des classes sociales supérieures qui ont voté à sa primaire. A gauche, le contrepoint des « valeurs ». Il cristallise aux yeux de beaucoup la sociologie installée de ses cadres et leur bien-pensance.

François Fillion a son talon d’Achille. Il n’a pas fait voter la France populaire sans laquelle il ne peut y avoir d’élection d’un Président de la République. A gauche, la balkanisation de ce mois de décembre est moins handicapante que la difficulté à nommer les intérêts qu’elle veut défendre. Comment, dés lors, les conservateurs vont-ils atteindre le cœur du pays fragile. Il voit comme une menace son plan de repli sans précédent de la dépense publique et la remise en cause radicale de la protection sociale qui lui est attaché. De son côté, comment la gauche va-t-elle retrouver son électorat historique, ouvrier et employé. Celui qu’elle a délaissé pour l’ombre de l’addition de minorités? Relancer une dynamique sans laquelle l’impossible arrivée de l’extrême droite au pouvoir peut se produire.

Deux clés pour le camp progressiste. D’abord, revenir sur ce mépris relatif des attentes populaires, liées à la sécurité et aux inquiétudes culturelles. Cela passe par un renouvellement des cadres politiques qui, par ressemblance sociale, ont assimilé le progressisme à un concours de valeurs. Une compétition esthétique, répondent en coeur les classes populaires et moyennes. Il est vrai que les catégories sociales installées du progressisme sont les premières à les repousser avec méthode et séparatisme social. Dans leur lieu de résidence, à l’école, par leurs réseaux, les valeurs se sont consumées au gré des contradictions pratiques Ensuite, nommer un objectif politique. Celui d’une vie meilleure, moins dure. Un avenir qui donne envie quand cette mandature aura été marquée par le sentiment d’un gouvernement à la semaine.

Pour les progressistes, cela demande donc tout à la fois le courage et une prise de champs. Avec des intérêts de classes, ceux de la bourgeoisie gagnante de la mondialisation. Elle a fini par considérer son entre soi comme une situation sans aucun lien avec les plafonds de verre et autres corsets qui bloquent l’ascenseur. Enfin, c’est porter une certaine ambition dans l’audace. Rassurer sans renier l’Etat de droit. Réformer en nommant les difficultés et en identifiant les contreparties. Dire un avenir pour la République, il ne peut être l’agglomérat d’addition de clientèles. Cela a conduit au clientélisme mortifère et à la paralysie identitaire.

Dans l’urgence, il faut composer. Trouver les points d’équilibres des gauches dans leur volonté de transformer et tout à la fois de libérer. Et transcender la question présidentielle par l’idée de coalition du progrès sans laquelle des candidatures distinctes seront nues, après le premier tour.

Elections départementales : post-scriptum

Pour nombre de citoyens et singulièrement pour les jeunes. Un déplacement de valeurs s’est opéré sur une génération qui questionne la construction même d’un projet collectif. Le basculement de la Lozère à gauche avec son gain de population de 10 000 habitants issus des zones métropolitaines « bobos » révèle à quel point le progressisme est ancré dans les classes bourgeoises qui vivent d’autant mieux avec le « marché », le « métissage », qu’elles peuvent s’en affranchir au gré de la carte scolaire, de leurs carnets d’adresses, de leurs réseaux.

La France des périphéries, celle qui vit de plus en plus loin des villes mondialisées, celle des « perdants », du « white trash », des ouvriers et des employés, des précaires, des fins de mois difficiles, elle n’adhère pas. Et cela fait du monde. Elle n’a pas seulement peur. Elle porte en elle d’autres valeurs qui touchent à l’identité culturelle, à la notion de marge de manœuvre dans un temps où « d’autres politiques possibles » ont tant de mal à se définir ou se perdent dans les postures.

LA FAUTE AU GOUVERNEMENT ?

Le mal est bien plus profond et les choses ne sont pas aussi simples. La technostructure issue des beaux quartiers irrigue la pensée commune, celle des ministères. Elle peine à définir ce que serait la « bonne vie » pour les gens qui rament, qui investissent à perpétuité dans l’éducation des gosses sans jamais voir la fin du tunnel. Les lieux de mélange disparaissent, nous sommes tous des acteurs du séparatisme social dont nous pensons diluer la culpabilité qu’il génère dans un discours « solidaire » qui apparaît bien souvent éthéré.

Ces photos des affiches du FN que nous avons plaisanté sur les réseaux sociaux, ce sont autant d’images du « petit peuple » auquel notre « mépris de classe » renvoie. Cette France là s’organise et la gauche, les écologistes semblent cruellement désarmés par rapport à cela.

#ReprenonsNous

C’est une année bien singulière. Elle s’ouvre sur le dénouement d’une tragédie qui nous bouleverse tous. Le bilan est lourd. Les conséquences sur nos vies seront importantes. Nous pensons à tous ces otages assassinés et à leurs familles, les blessés et les morts, ceux des forces de l’ordre. Leur courage aussi. Nous sommes saisis d’une tristesse infinie en voyant le visage de notre collègue policière municipale de 26 ans, Clarissa Jean-Philippe, abattue lâchement d’une balle dans le dos et en lisant les derniers mots d’Ahmed Merabet, jeune fonctionnaire de police parmi les premières victimes. Je pleure nos amis de notre hebdo si bravache, si impertinent, si « gros rouge qui tache » et si salutaire. Si Voltaire et si Hugo jusque dans les dessins de cul. Si Français, quoi, et tant pis pour les pisse-vinaigre, les prédicateurs, les gardiens hémiplégiques de la bonne morale. J’ai une pensée plus particulière pour Cabu et Oncle Bernard, croisés au hasard de ma vie enfantine et militante.

 Cet événement sera fondateur

Car il percute notre quotidien et nos destins, cette manière avec laquelle, comme le disait François Morel ce matin sur Inter, « nous nous sommes habitués à l’ignominie, à l’abjection, à la crapulerie ». De relativismes en virtualités, de fenêtres ouvertes sur la barbarie, nous nous sommes progressivement installés dans le doute sur nos valeurs démocratiques et la confusion. Nous avons cru les libertés d’expression et de conscience irréductibles, elles font l’objet d’attaques permanentes sous les pressions sectaires et intégristes. Les rassemblements partout dans le monde témoignent de cela, j’ai assisté à celui de Lisbonne et par milliers, des pancartes « SOMOS TODOS CHARLIE » brandies comme un message universel.

Un « 11 septembre culturel français » comme l’explique Gilles Kepel, spécialiste du « monde arabo-musulman ». Le projet de ces « forces fascistes » comme l’écrit Cohn Bendit, il est de viser sans distinction. Ne nous trompons pas de cible. Ne nous fourvoyons pas davantage dans l’impasse d’un rabais sur l’universalité. Ecoutons cet éditorialiste tunisien quand il évoque également et sans tergiversation cette part du chemin à faire. « Pour nous musulmans, que de supposés coreligionnaires soient effectivement impliqués ou non dans ce crime, cette abomination est une énième et même ultime interpellation, mettant l’accent sur l’absolue urgence de clarifier nos valeurs, sortir de la confusion que l’on entretient à dessein et à tort. » (1)

 « Nous » avons aussi à nous reprendre

A retrouver les fondamentaux républicains, à préférer la « fraternité » à la tentation populiste et cette petite voix qui nous dit de nous méfier de notre « ennemi intime ». Quand des jeunes refusent de respecter la minute de silence en récitant des dogmes, c’est que Nous avons abandonné une partie des enfants de la république…à l’inculture et la bêtise qui conduisent aux pires issues. La réponse sera aussi territoriale et éducative.

Cette tribune a été publiée le 9 janvier 2015 sur le site de MEDIAPRT

(1) Leaders, Farhat Othman