Une courte note, un podcast ou un visuel pour aller plus loin

Evaluer les effets de la baisse de vitesse à 80 km/h

Le 11 décembre dernier, le Premier Ministre Édouard Philippe annonçait dans un tweet qu’il était personnellement favorable à l’abaissement de la vitesse de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central. Depuis cette annonce surprise, les éditorialistes et les observateurs de l’action publique de sécurité routière, lorsqu’ils sont favorables à la mesure, mobilisent la thèse du courage politique pour expliquer son geste. Il y en a à défendre une mesure refusée par son prédécesseur pendant plusieurs années et fortement contestée par une partie des acteurs de la sécurité routière.

Pour autant, l’explication semble un peu paresseuse. Elle ne fait que reprendre le leitmotiv des acteurs associatifs, ceux qui sont favorables à la mesure, là encore, et n’ont cessé de dénoncer le manque de courage de Bernard Cazeneuve, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et en charge du dossier. C’est surtout une explication faible et qui a pour défaut de ne pas rendre compte du travail politique engagé.

400

vies sauvées attendues par la mise en oeuvre des 80 km/h

Pour cette mesure, le gouvernement peut s’appuyer sur le travail et la mobilisation des experts de la sécurité routière. Mais, loin d’être la conclusion d’une démarche experte, elle fait pleinement partie d’un travail de mobilisation politique. Au geste politique, on préférera donc une explication par le travail engagé, d’autant plus que le risque pris par le premier ministre apparaît finalement assez faible.

Une politique basée sur des données probantes

La politique de sécurité routière, bien qu’elle fasse l’objet de controverses, bénéficie aujourd’hui des travaux, à la fois solides et anciens, d’une expertise et d’une recherche en sécurité routière développée et internationale. Les effets dans ce domaine d’une telle mesure sont faciles à défendre. La moitié des accidents mortels ont lieu sur ces routes et, au-delà des chiffres, les théories mathématiques de Nilsson et Elvik, liant vitesse (moyenne) et accidents, dotent la mesure de fondements scientifiques. Son application pourrait ainsi épargner jusqu’à 400 vies chaque année.

Depuis trois ans, le nombre de morts sur les routes françaises est reparti à la hausse

A cela s’ajoute l’adoption du 80 km/h pour ce type de voirie dans d’autres pays, y compris ceux qui servent traditionnellement de modèle à l’action publique de sécurité routière en France : les Pays-Bas, la Suisse, la Norvège. Enfin, depuis plusieurs années, des experts français se sont mobilisés pour défendre la mesure, allant jusqu’à la démission de deux d’entre eux du Conseil national de la Sécurité routière en 2015 pour dénoncer le refus de Bernard Cazeneuve de les entendre sur ce sujet.

Le premier ministre Édouard Philippe bénéficie également de la démarche prudente engagée par le gouvernement précédent. Des expérimentations ont été menées entre 2015 et 2017. Les résultats n’ont certes pas été rendus publics mais la démarche a bel et bien été engagée. Et puis, à court terme, il n’y a guère d’autres alternatives pour obtenir de tels résultats.

Si on ne souhaite pas parler de pilotage technocratique de l’action publique, on peut au moins évoquer le souci de fonder l’action publique sur des données « probantes » et objectives, qui échapperaient ainsi aux pressions de court terme comme aux présupposés idéologiques. Bref, toutes ces données rendent la décision du premier ministre légitime et fondée rationnellement. Elle a peu à voir, en définitive, avec un geste politique iconoclaste. D’autant plus qu’en mobilisant les résultats des travaux scientifiques, le chef du gouvernement s’assure le soutien des associations de victimes et notamment de la très médiatique Ligue contre la violence routière.

Un acte politique fort

Le geste politique témoigne ainsi d’un calcul politique raisonnable et mesuré. L’annonce s’inscrit dans un travail politique qu’il convient de ne pas perdre de vue si on souhaite la comprendre. La proposition, portée par le premier ministre, anticipe un Comité interministériel de sécurité routière (CISR) prévu mi-janvier et dont elle serait la mesure phare. Ce geste exprime le besoin de reprendre en main cette politique au niveau central et de relancer une politique au point mort depuis plusieurs années. Cela semble d’autant plus nécessaire que, depuis 2002, les Français attribuent l’échec comme la réussite de cette politique au gouvernement.

Il s’agit aussi de réaffirmer le caractère interministériel de la politique de sécurité routière et que celle-ci se pilote à Matignon. Si le premier ministre se place lui-même en première ligne, laissant le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, et le Délégué interministériel en retrait, il le fait suite à l’engagement politique du Président Macron, devant les préfets, de doter la France d’un nouveau plan pour la sécurité routière. Cela est fait à travers une mesure forte, immédiatement visible et mobilisatrice, et dans le respect du cadre institutionnel.

La reprise en main politique au plus haut niveau de l’État s’inscrit également dans un contexte bien particulier. Le précédent quinquennat s’est achevé sur trois années consécutives d’augmentation du nombre des tués sur les routes. A cette tendance de moyen terme, en rupture avec la dynamique de baisse entamée en 2002, s’ajoutent les mauvais chiffres du mois de novembre et, au moment de l’annonce, l’approche des fêtes de fin d’année. De plus, 400 vies sauvées permettraient de descendre au-dessous des 3000 tués sur les routes en France. Ce chiffre est loin des 2000 tués envisagés, par Manuel Valls, pour 2020. Il n’en demeure pas moins symboliquement fort.

Édouard Philippe peut aussi s’engager personnellement, du fait du contre-exemple offert par la gestion calamiteuse du dossier sécurité routière par ses prédécesseurs. La dégradation des chiffres de la sécurité routière n’en est pas le seul témoignage. Bernard Cazeneuve, le successeur de Manuel Valls, place Beauvau puis à Matignon, s’est aussi vu reproché sa passivité et son manque de courage sur ce dossier. De plus, l’action de Manuel Valls et Bernard Cazezneuve s’est traduite par une accumulation de plusieurs dizaines de mesures illisibles et/ou non appliquées.

Pour Édouard Philippe sont donc réunis des éléments conjoncturels particulièrement propices et qui rappellent ceux trouvés par Jacques Chirac en 2002, lorsqu’il a fait de la sécurité routière un des grands chantiers de son quinquennat. L’engagement fort et chiffré du gouvernement Jospin, via le ministre des Transports de l’époque, s’était soldé par une absence de résultats significatifs. La surprise ne vient donc pas tant de l’annonce faite que du « timing » choisi ? Pourquoi cette annonce un mois avant la réunion prévue du CISR ?

Un risque politique relativement faible

On peut imaginer un premier ministre « très, très motivé » pour reprendre les termes du journaliste Dominique Seux, alors que Bernard Cazeneuve l’était sans doute moins du fait de la supposée absence d’« acceptabilité sociale » de la mesure. Or « l’acceptabilité sociale » n’est rien d’autre qu’une mesure de l’opinion publique à un moment donné via cet outil particulièrement frustre qu’est le sondage d’opinion. Dit autrement, « la majorité silencieuse n’en veut pas », pour paraphraser la député Barbara Bessot Gallot. En fait, il n’existe pas de preuve qu’elle n’en veut pas. Les sondages d’opinion qui attesteraient de l’opposition des Français à la mesure n’ont pas été publiés ! Si on imagine bien que le gouvernement a un idée plus précise de l’état de l’opinion publique, le choix du premier ministre suggère que les rapports de force sont bien plus équilibrés que ne le prétendent les acteurs de la société civile qui s’opposent à la mesure.

Mais l’essentiel est ailleurs. L’annonce du premier ministre fait suite à des rumeurs et des « fuites » (voulues ou pas ?) dans la presse, début décembre. Une réaction gouvernementale n’est alors pas surprenante. Mais en se prononçant, à titre personnel, plusieurs semaines avant le CISR, le premier ministre « paie pour voir », en quelque sorte ! Il laisse aux acteurs intéressés le temps de se mobiliser. L’annonce donne au gouvernement la possibilité de jauger non pas tant les rapports de force que les capacités de mobilisations des acteurs.

Le suivi des actions engagées en décembre par les principaux opposants (FFMC, 40 millions d’automobilistes et Ligue de défense des conducteurs) et les principaux soutiens de la mesure, c’est-à-dire la LCVR, suggèrent que le message est clairement passé. D’un côté, on mobilise des parlementaires et on lance des pétitions contre la baisse de la limitation de vitesse ; de l’autre, on publie des articles et on relaie les éditoriaux de la presse généralistes.

Les routes bidirectionnelles sont les plus dangereuses

Cela permet aussi aux argumentaires de se structurer tout comme au cadre de la réforme de se dessiner. Les parties prenantes invoquent la France rurale contre la France des métropoles urbaines. Elles dénoncent le jackpot contre l’opportunité de faire des économies et de favoriser l’écologie ; elles s’intéressent aux seules routes bidirectionnelles sans séparateur ou envisagent une réduction de vitesse touchant toutes les limitations (pourquoi pas 120 km/h sur autoroutes ?). Le débat est ainsi lancé et largement relayé par la presse.

Enfin, cela permet à l’administration de roder et de diffuser son propre argumentaire. D’autres objectifs que la sécurité routière sont encore mobilisés avec pour cible la fabrique de l’opinion publique. C’est plus particulièrement le cas des arguments économiques et écologiques. D’un côté, on évoque le coût du changement des panneaux de signalisation et l’augmentation des flashs du contrôle sanction automatisé. De l’autre, on anticipe la baisse de la consommation d’essence et surtout une réponse au défi climatique : « Mort sur la route et climat même combat ». Le combat pour sauver le climat et celui pour sauver la vie des usagers de la route bénéficieront tous deux d’une réduction de la vitesse de circulation.

Ces argumentaires rappellent ceux mobilisés pour faire accepter la généralisation des limitations de vitesse au tout début des années 1970 à des Français, dont on disait alors qu’ils n’en voulaient pas ! En octobre 1973, la guerre du Kippour a fait craindre une pénurie de pétrole. La vitesse a été limitée en décembre à 110 km/h sur les autoroutes et à 90 km/h sur les voies sans séparation des sens de circulation. Plus de 1700 vies ont été sauvées au cours du semestre suivant.

Cet épisode a permis de poser une pierre essentielle dans la construction de la politique nationale de sécurité routière en France. Il témoigne aussi de la volonté de pilotage gouvernemental d’une action publique qui mobilise les Français.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Lire la suite sur le site de l’OPPEC : 80 km/h : pourquoi tant de haine ?

Déclaration d’intérêts

Fabrice Hamelin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Partenaires : l’Observatoire des Politiques Publiques de l’Université Paris-Est Créteil

Lutter contre le retour de la fracture numérique

Vincent Champain a publié cette tribune dans le quotidien Les Echos le 23 juin 2018.

Si 80 % des Européens ont désormais accès à Internet, la fracture numérique est loin d’avoir disparu. Elle persiste à l’échelle mondiale : seul un habitant sur six a accès à Internet dans les pays les moins développés (Ethiopie, Mali…) malgré la progression de l’Internet mobile. En Europe, il reste une part importante de « mal connectés » et plus de 40 % des Européens jugent les compétences numériques nulles ou faibles.

La fracture numérique s’est donc déplacée, avec, d’un côté, un grand nombre d’utilisateurs « passifs » limités aux usages ne nécessitant pas de grande compétence et, de l’autre côté, des utilisateurs « actifs », capable de mettre la technologie à leur service et prompts à en capter les opportunités.

Pillage numérique

Cette fracture fait peser une menace pour tous, car les pays en voie de développement marquent des réticences croissantes vis-à-vis de la libre circulation des données, de crainte de voir la valeur de ces données ponctionnées unilatéralement. Comme l’ont montré les débats de la Conférence des Nations unies de juin, cette crainte est amplifiée par le fait que le mot « free » qualifie en anglais à la fois la libre circulation (« free flow ») et la gratuité de l’accès (« free data ») – alimentant la crainte d’un « pillage numérique » des pays condamnés à céder leurs données gratuitement.

Or ce « protectionnisme numérique » serait la pire des solutions, à l’inverse d’un modèle garantissant la libre circulation mais donnant à chacun les moyens de garder le contrôle de ses données et de les apporter à la plate-forme la plus attrayante.

D’autres usages

Pour lutter contre la fracture numérique des pays moins développés, il faut également développer des infrastructures ou des compétences. Il faut également encourager le développement d’usages pertinents pour les pays concernés, qui offrent autant d’opportunités de développement des acteurs locaux. En effet, les usages de ces pays – où l’énergie ou la nourriture sont plus coûteuses que la main-d’oeuvre et les infrastructures moins développées – sont différents de ceux des pays développés – plus focalisés sur les coûts de main-d’oeuvre.

Le paiement mobile est un bon exemple, utilisé par 64 % des Indiens ou 37 % des Brésiliens, soit bien plus qu’en Europe, où les autres systèmes de paiement sont plus développés. Les pays en développement ont donc des marchés énormes à saisir, pour peu que leurs propres réglementations ne les entravent pas.

Une vision floue

Au sein des pays développés, les moyens dédiés à la formation et aux infrastructures sont plus importants. Mais les décideurs peinent encore à distinguer la différence entre utilisation « active » et utilisation « passive ». Ainsi a-t-on vu se multiplier des dons de tablette (terminal passif par définition) ou des initiations à Internet centrées sur l’utilisation, mais négligeant le développement d’outils ou de contenus et avec peu de place donnée au développement d’applications ou de projets.

De la même façon, la mise en libre accès de TensorFlow en 2015, donnant accès à tous, gratuitement, aux outils d’intelligence artificielle de Google, n’a suscité aucun frémissement dans les ministères. Car nous sommes généralement plus prompts à nous mobiliser sur des menaces – réelles ou supposées – que sur des opportunités.

La fracture numérique n’est pas une fatalité

Un autre facteur de fracture numérique tient aux lacunes en matière de design et d’« expérience client » des services publics. Parcoursup en est un bon exemple : sans nier la pertinence de l’objectif poursuivi, la plupart des parents pourront témoigner d’une expérience usager médiocre.

La fracture numérique n’est donc pas une fatalité, mais à deux conditions. D’abord, des règles du jeu laissent aux individus comme aux entreprises suffisamment de contrôle sur leurs données et de capacité à être créateur, plutôt que simple utilisateur. Ensuite, en veillant à ce que les économies induites par le numérique ne se fassent pas au détriment de l’accès des « mal connectés ».

Décodons les Décodeurs : Oxfam et les dividendes

Ces dernières années, les Décodeurs du Monde nous avaient alertés sur les questions de méthodologie des rapports d’Oxfam, organisation habituée aux affirmations chocs.

Cette année, au contraire, les Décodeurs s’appuient la sortie d’un rapport d’Oxfam pour ajouter de la confusion à la confusion.

Pourquoi ce n’est pas vrai

A l’appui de ces affirmations, les Décodeurs ont examiné les comptes des 1 200 plus grandes entreprises du monde. Or on compte, par exemple, plus de 5 000 entreprises de plus de 250 salariés rien qu’en France, et 3,4 millions d’entreprises au total.

Il est erroné d’affirmer que les dividendes ont augmenté de 30 % dans le monde à partir d’un échantillon si peu représentatif.

Par ailleurs, les Etats-Unis, sont un Etat et un pays. Ils ne distribuent pas de dividendes. Les Décodeurs parlent en fait des entreprises cotées aux Etats-Unis parmi les 1200 plus grandes du monde. Qu’elles représentent 40 % d’une grandeur fixée arbitrairement n’a que peu de signification.

Enfin, entre 2011 et 2017, il y a six années, et pas sept (il faut compter les intervalles, pas les piquets).

C’est plus compliqué

L’investissement en France, cinquième championne mondiale de la spoliation par les actionnaires selon les Décodeurs, se porte, paraît-il, plutôt bien.

Il semblerait que la santé économique d’un pays repose sur des ressorts un peu plus complexes que le partage de 1200 gâteaux… sans quoi la Hongrie, le Maroc et la Pologne (où, d’après le graphique, on ne distribue pas de dividendes du tout), seraient des paradis de l’investissement et de l’intéressement des salariés.

Pourquoi cela ne veut rien dire

On ne peut pas toujours tirer de leçon pertinente d’un échantillon non représentatif (pas ici en tout cas) : par exemple, on ne peut pas dire que les Chinois sont plus riches que les Français car les milliardaires Chinois sont les plus nombreux. De même, additionner les milliards des milliardaires et en faire des pourcentages n’aura pas plus de sens.

Venons-en aux faits

Il faut toujours rester critique, même vis-à-vis de ceux qui prétendent être les parangons de la rigueur intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

Les collectivités à l’austérité (douce) contractuelle

Un complément de notre dossier « Le projet présidentiel à l’épreuve des faits ».

La Loi de Finances 2018 adoptée récemment confirme la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques, soit une économie de 11 milliards sur la période 2012 à 2017, passée à 13 milliards sur 2017 à 2022. La logique de « contrat » qui est consacrée vient en assouplissement de la baisse unilatérale des dotations décidée par l’Etat sous l’ancienne mandature. La péréquation et le soutien à l’investissement sont également favorisés.

La diminution du besoin annuel de financement est un objectif affiché avec un levier privilégié de contrainte sur les dépenses courantes de fonctionnement. Celles-ci devront évoluer au plus de 1,2% (pour les communes et les régions), avec un plafonnement des dépenses sociales de 2% pour les départements. Pour respecter ces contraintes, les collectivités principales (représentant 60 milliards de dépenses de fonctionnement) s’engagent dans un contrat sur trois années, approuvé par l’organe délibérant. Les taux de progression des dépenses peuvent être modulés selon la population, le revenu par habitant, etc. Dans le cas d’un non respecté, il peut donner lieu à une reprise sur la DGF, sur la base de 75% de l’écart constaté, plafonnée à 2% des recettes de fonctionnement.

En parallèle, les collectivités devront tendre vers un rapport entre leur dette et leur « épargne brute » de 9 ans (régions), 10% (départements) et 12 ans pour le bloc communal.

Dans ce contexte, l’engagement de l’Etat en termes de ressources est de 105 milliards d’euros dont la frange de DGF, globalement sanctuarisée, au prélèvement en faveur des régions près (3,8 milliards au titre du prélèvement de TVA pour renforcer leur compétence économique). Concernant la Contribution à la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE), son produit est territorialisé et non en fonction de l’appartenance à un groupe, ce qui pouvait conduire à de l’optimisation fiscale. Des fractions supplémentaires de fiscalité (TICPE) sont transférées aux départements et régions pour financer les transferts de compétences.

Les fonds de péréquation sont renforcés à l’image des communes avec la Dotation de Solidarité Urbaine (DSU : +110 millions d’euros) et la Dotation de Solidarité Rurale (DSR : + 90 millions d’euros)

Enfin le « dégrèvement » de la Taxe d’Habitation (TH) à « 80% » multiplie sur trois ans par deux le nombre de bénéficiaires actuels en fonction du revenu fiscal actuel et du quotient familial (<27 000 euros pour une part et 43 000 euros pour deux parts) sur la base des taux et abattements de 2017. Les hausses d’impôts ultérieures seraient donc à la charge du contribuable local ce qui justifie un mécanisme de plafonnement de ces hausses, à décider par la Conférence Nationale des Territoires. D’autres questions sont encore à trancher en lien avec la TH telles que le sort de taxes additionnelles liées ou le devenir des règles de lien entre les taux.

Personnes SDF : dépasser l’urgence

L’URGENCE C’EST LE COURT TERME

Je suis travailleur social, depuis septembre 2008 pour une grande association d’insertion dans un centre d’hébergement d’urgence qui a réouvert dans le 10ème arrondissement, après une complète rénovation qui a été engendrée grâce à la loi 2002- 2 évoquée plus loin. Ce centre etait un dortoir insalubre, il a été transformé en un havre de repos pour des personnes qui sorte de la rue. C’est un centre de stabilisation qui porte le projet de réinsérer les personnes par la culture, l’art et la citoyenneté. C’est un piste sérieuse pour répondre à l’exclusion sociale des personnes.

J’ai auparavant oeuvré pendant 3 ans dans une équipe de maraude d’intervention sociale, pour cette même association, dans le nord est de paris ( 9,10,18 et 19 ème arrdts). Maraude financée par la mairie de paris et les arrondissements dans lesquels nous intervenons. Antérieurement, je fus bénévole aux Restos du Coeur depuis l’an 2000. Cela fait plus de 10 ans que je côtoie le public exclu, avec plus ou moins de recul. Je suis travailleur social de fait, embauché grâce à mon expérience, et par ma vision décalé par rapport au travail social, étant urbaniste de formation.

A PARIS ET EN ILE-DE-FRANCE

En fait, en premier lieu, il faudrait que tout le monde ; les politiques, les médias, les citoyens se mettent à essayer de comprendre les failles du public et les raisons qui font qu’il y a autant de SDF à Paris. Parler « d’urgence » pour les SDF n’est pas approprié, l’urgence c’est le court terme, c’est le fait de palier aux insuffisances pour aider à la survie et pour faire une comparaison facile, ce n’est pas avec les urgences simples que l’on traite les graves maladies, mais c’est le premier accès avant le traitement de fond. Sauf qu’en la matière, on ne traite presque jamais du fond, faute de moyens financiers et surtout faute de temps pour les intervenants.

Réapprendre à gérer un logement prend du temps et dépend de l’état initial de la personne, il faut avant qu’elle apprenne à s’apprécier d’abord et reprenne confiance en elle. Quant on parle de « cassés » en parlant des personnes qui vivent depuis longtemps à la rue, ce qui est véridique, on peut comprendre que ce n’est pas qu’avec un logement en bonne et due forme qu’on va résoudre tous ses problèmes.

La seule urgence véritable est ce qu’on appelle le « primo-arrivant à la rue », celui qui n’est pas encore atteint profondément par les différents maux que génèrent celle-ci. Encore faut il que les services sociaux répondent présents ! Et puis , vivre à la rue entraine un effet que je qualifierai « d’Indiana Jones», je survis à la rue, aux épreuves qu’elle impose, donc je pourrai survivre à tout, malgré tout. C’est aussi un conditionnement dans un instinct de survie.

Déjà, il faut savoir qu’il y a une forte densité de structures d’accueil dans la capitale, de prise en compte des publics en errance à Paris. Densité incomparable lorsqu’on franchit le périph’, il n’y a guère qu’à Créteil ou Nanterre, où on peut constater un tissu associatif destiné au public en errance, et en état d’exclusion. Par exemple, dans le 10ème, il y a 7 « accueils de jour » qui informent, orientent et tentent de régler les situations, 3 sont spécialisés vers certains publics ( tox/ jeunes/migrants) les autres sont généralistes. Tous sont fermés le week-end et à partir de 18h00. ( il est de toute façon difficile d’aider ces personnes dans ces périodes là , les administrations, services sociaux etc? étant fermés). En dehors de ces moments, interviennent les équipes bénévoles, de soupes populaires, et les « urgences » et Samu social ( cf plus bas).

Néanmoins, le tissu parisien même s’il est dense est totalement engorgé par les demandes. Par ailleurs, il est assis sur les systèmes de solidarités confessionnelles, même si certaines se sont laïcisées.

MANQUE DE PERENNITE DES DISPOSITIFS

Le problème du secteur, c’est le manque de pérennité des mesures, des structures et du personnel. Empiriquement, cela s’explique, assez naturellement, par le fait que chaque ministre ( ou adjoint en mairie) du social, chaque président veut « régler le problème », et chamboule le système. Et comme le ministre des affaires sociales, et/ou du logement, et/ou de la solidarité et/ou de la sante change(nt) tous les ans ? Aujourd’hui, la priorité c’est le logement d’abord, ce qui est assez décalé par rapport à la situation réelle des personnes à la rue.
D’autre part, il y a un fort lien entre l’exclusion sociale et la réduction du nombre de place en santé mentale. L’errance est la condition de vie de beaucoup de schizophrènes, paranoïaques. Des problématiques personnelles qui trouvaient un terrain propice de développement dans l’instinct d’ « Indiana Jones » évoqué plus haut.

Législativement, le secteur de l’exclusion est encadré par deux lois loi 2002-2 et celle qui a instauré le RSA. La première a généré une transformation radicale et bénéfique du secteur. Même si les effets se font ressentir que maintenant, elle permet d’humaniser les structures d’hébergement, de responsabiliser un peu plus les intervenants, de donner un place plus significatives aux publics accueillis dans les différents services sociaux. Elle permet aussi de redonner une place sociétale aux personnes en difficulté via un système de représentation à l’intérieur des structures. La seconde a réduit la logique de seuil qui rendait absurde le système d’insertion.

Dernièrement, à Paris, et en Ile de France, en lien avec une loi dite 2002-2 (LOI no 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale), et aussi avec le mouvement du Canal qui s’est produit en 2004, nous assistons à un nouveau chamboulement, qui s’il promet des lendemains meilleurs ne va rien régler du tout. Le nouveau mot magique s’appelle « SIAO » : système intégré d’accueil et d’orientation.

C’est un outil informatique et pratique qui vise à mettre en commun toutes les places d’hébergements en stabilisation (stabilisation qui est le contraire des centres d’urgence : type Nanterre, Mie de pain etc?). Idée qui apparait noble mais qui induira un fichage de tous les publics aujourd’hui dans les structures, pour la plupart gérées par des associations. Ces associations vont être soumises, et n’auront plus leur libre arbitre pour appliquer leur politique d’accueil (notamment inconditionnel). Fichage ne signifie pas garantie d’obtention du droit.

En lien avec ce SIAO ; les hommes du ministère ou de la préfecture ont concocté un questionnaire que les travailleurs sociaux devront faire remplir à tous les SDF qui voudraient avoir un hébergement : 15 pages de questions sur l’identité, le passé et les objectifs des personnes qui ne sont vraiment pas forcement en état d’en avoir un. Des personnes qui sont fatiguées, par un stress, un manque de sommeil, le système D, et tout simplement par la vie dehors qui est épuisante.

115 DEFICIENT

Ce SIAO est une sorte de 115 pour les hébergements de transition entre l’urgence et le logement « normal ». Le problème du 115, c’est qu’il n’est déjà pas efficace. Car le système d’urgence souffre d’une absence totale de contrôle. Sans compter une maltraitance de son personnel, (cf grève de 2010), il maltraite le public en demande : des interrogatoires d’une demi heure , après au minimum une heure d’attente sans juger des évaluations sociales que les travailleurs sociaux peuvent faire, pour souvent avoir à la fin une fin de non recevoir.

Les sdf n’appellent pas le 115, parce que le 115 ne s’arrête pas sur les groupes de plus de 2 personnes, parce qu’il recale les personnes qui parle mal le français, celles qui ne sont pas à Paris depuis plus de 3 mois (dehors). Les SDF n’appellent pas le 115 parce qu’ils connaissent les solutions : la boulangerie, une ancienne caserne transformée en centre d’urgence, le Chapsa (Nanterre), la mie de pain, Yves Garel ? même type de centre vieillot, où il est dangereux de dormir, où il est impossible d’avoir une intimité et surtout où les personnels sont des veilleurs de nuit et non des éducateurs ou assistants sociaux qui sont les postes les plus communs dans le secteur social. Des travailleurs pas adaptés au public très cassé donc.

Et pourtant, les politiques ont une influence possible sur ce Samu Social, notamment en termes de gouvernance et de financement. Et même si les centres cités ci-dessous sont pour certains en train d’être « humanisés », comme c’est le cas pour Yves Garel et la Mie de Pain, ces dortoirs ne permettent que trop rarement de retrouver une estime de soi, élément préalable à toute reconstruction sociale.

SE POSER, SE REPOSER, REPRENDRE CONFIANCE

Ce qu’il faut développer, c’est des lieux où les personnes en grande souffrance puisse « se poser, se reposer, reprendre confiance », comme le disait l’Abbé Pierre dans son appel en 1954. L’endroit où je travaille aujourd’hui est absolument ce qu’il faut développer. Les moyens ont été mis, tant en personnel qu’en possibilités pour créer de l’interaction avec l’extérieur. Ce qui peut développer le sentiment d’insertion, d’être dans la société à part entière.

La domiciliation est aussi un véritable casse-tête. Pour pouvoir demander ses droits, un SDF a besoin de tous ses papiers, et pour que l’administration lui donne ses droits il lui faut une adresse ?
Sauf que le service public destiné aux SDF (Permanence sociale d’accueil) qui s’occupe théoriquement de domicilier les sdf parisiens recale systématiquement, les étrangers en situation irrégulière, les européens, ceux qui ont perdu leur(s) papier(s) et ceux qui ont eu le malheur de débarquer à Paris en venant de province.