L’Europe sociale encore loin du compte

Alors que le problème des travailleurs détachés est sur la table des négociations et que l’Allemagne a enfin annoncé l’instauration d’un salaire minimum, on se met aujourd’hui à rêver d’une Europe Sociale. Mais où en sommes-nous réellement ?

Repartons d’abord de la Charte des Droits fondamentaux du 7 décembre 2000. Elle garantit entre autres aux salariés le droit à l’information-consultation, à la négociation collective, à des conditions de travail équitables ou encore à une protection contre un licenciement injustifié.

Alors que cette charte aurait pu être les prémices d’un socle social commun, le refus de la France et des Pays-Bas de la « sanctuariser » au sein du Traité Constitutionnel Européen a stoppé le processus.

Cela étant, malgré les difficultés liées à un élargissement ininterrompu, l’Union Européenne a instauré un dialogue social qui tente-péniblement-d’exister.

Patrons et syndicats ont signé seulement cinq accords européens

C’est pour représenter le syndicalisme européen que la Confédération Européenne des Syndicats a été créée en 1973. Elle compte 85 organisations syndicales issues de 36 pays ainsi que 10 fédérations sectorielles. Réunissant en son sein des syndicats aux pratiques et aux relations sociales très diverses, la CES a longtemps fonctionné comme un conglomérat ayant des difficultés à parler d’une seule voix.

Elle a néanmoins signé avec son homologue patronal plusieurs accords-cadres, ensuite transcrits dans des directives.

Si cela illustre la capacité de l’Europe à produire des droits pour l’ensemble des salariés européens, leur faible nombre (cinq textes en vingt ans) montre aussi que nous sommes encore loin des standards habituels !

Autres institutions, les comités d’entreprises européens créés en 1994 par une directive de Bruxelles, peuvent également contribuer au bon fonctionnement du dialogue social.

Ces instances doit être informée et consultée sur tous les dossiers transnationaux. Calqués sur le modèle français, ils ont permis aux représentants du personnel d’acquérir une vision européenne tout en renforçant la coopération entre les syndicats par l’intermédiaire des fédérations sectorielles européennes.

Le hic ? Comme ces instances ne sont pas obligatoires, bon nombre d’entreprise ne les ont tout simplement pas créées !

Alors, pour renforcer un dialogue social encore embryonnaire, les gouvernements doivent laisser des marges de man?uvre aux partenaires sociaux et plus généralement à la société civile européenne.

A l’heure de la montée du repli sur soi et du populisme, cela constituerait pour l’Europe un signe de démocratisation dans le cadre d’une décentralisation pouvant aider à rapprocher l’Europe de ses concitoyens.

Marseille : du pain (sec) et des jeux

La presse s’est régulièrement fait l’écho de la gestion clientéliste du personnel et encore récemment à l’occasion des primaires socialistes, elle avait encore défrayé la chronique. Côté écolo, le constat d’une ville « sous administrée » et la nécessité de transparence accrue sont avancés dans le programme.

Que constate la Chambre dans les faits ?

Avec une dette de près de 1,8 milliards d’euros, la ville a d’abord fait le choix d’un personnel en nombre dont 1750 vacataires qui pourraient prétendre selon elle au statut d’agents non titulaires de droit public. Une cinquantaine d’agents ont également dépassé l’âge légal de la retraite à 65 ans et les 11 335 équivalent temps plein (ETP) travaillent 40 heures en dessous du plancher légal. L’équivalent de 280 ETP. Une paille.

Dans un contexte d’indicateurs sanitaires et sociaux désastreux, la ville n’a pourtant rien trouvé de mieux à l’horizon de l’Euro 2016 que d’investir dans un stade vélodrome sur capacitaire. Cédant aux pressions de l’UEFA, le nouvel équipement comprendre plus de 17 000 places supplémentaires par rapport à la fréquentation moyenne (50 000), justifiant la création d’une place « grand public » pour chaque place « personnalités » créée.

Acculée au recours à un Partenariat Public Privé, la ville s’engage, faute de capacités propres, à financer malgré tout 50% du projet qui s’élèvera à près de un milliard sur la durée du contrat. Selon la Chambre, la rémunération des fonds propres serait de l’ordre de 13%, soit un surcoût de 93 millions d’euros par rapport à un contrat de concession classique. Pire, les conditions de mise à disposition du stade à l’Olympique de Marseille font apparaître au bas mot à une participation des contribuables locaux à 8 millions d’euros par an.

Territoires : contraintes accrues, financements desserrés

Le 23 octobre, Jacques Pélissard, président des maires de France, a dévoilé la nouvelle Agence France locale qu’il préside. Onze collectivités en constituent le conseil d’administration. Il a précisé les conditions dans lesquelles une quarantaine de collectivités pourraient lever quelques centaines de millions dans un premier temps sans passer par les intermédiaires bancaires, en émettant directement sur les marchés de la dette locale.

Un des conseils principaux des collectivités (Finance Active) présente désormais le recours à cette Agence dans les choix possibles, avec une réserve sur le ticket d’entrée au capital qui limiterait l’accès effectif aux plus grandes collectivités seulement. Mais il s’agit d’un début.

Parallèlement, la CDC débloque une enveloppe de 5 milliards d’euros par an jusqu’en 2017 (soit le quart des besoins estimés d’emprunt des collectivités) pour le financement de projets éligibles dont les Transports en commun, les réseaux d’eau et la prévention des inondations, la valorisation des déchets, la rénovation des bâtiments dont les travaux énergétiques et la mise en accessibilité, les aides à la pierre.

Les conditions offertes par la CDC sont avantageuses car les prêts proposés sont sur du TLA +1.30% soit 3.05%, jusqu’à 50% du projet financé, sur des périodes de 20 à 40 ans ce qui représente des durées pertinentes pour les contraintes financières actuelles.

Si le Gouvernement entend associer les collectivités à l’effort de redressement des Comptes publics ([L’objectif de diminution des dotations aux territoires est maintenu à hauteur de 1,5 milliards par an pendant trois ans)], il desserre parallèlement la contrainte de financement ce qui est une manière de son point de vue de réguler le « train de vie » des collectivités sans brider leurs investissements.

Mais les territoires autofinancent encore une majorité de leurs investissements sans recours à l’emprunt. L’étau dans lequel le gouvernement les enserre exerce une contrainte forte sur cette équation du financement et à terme, sur la génération de bon nombre d’emplois locaux.

Du bon profil des décideurs en temps de crise

TEMPS DE GUERRE, TEMPS DE PAIX

Les généraux de temps de paix excellent dans la diplomatie et savent diriger quand il s’agit d’utiliser leur supériorité par rapport à l’ennemi. A l’inverse, les généraux de temps de guerre réussissent des missions impossibles et trouvent les opportunités qui retournent une situation difficile. Les premiers, courtois et soucieux des convenances, se concentrent sur les grandes lignes, laissant leur organisation définir les plans d’action détaillés. Soucieux d’être dans le vrai, les seconds acceptent d’être moins consensuels ; ils sont présents au coeur des batailles à gagner et célèbrent les victoires avec leurs troupes. Sans appétit pour le consensus, ils savent que les opportunités naissent des contradictions exprimées puis résolues.

Il en va de même en entreprise : après avoir créé Apple, Steve Jobs en fut écarté par un ancien de Pepsi, John Sculley, qui développa l’entreprise lors du boom de la micro-informatique des années 1980. Il revient dix ans plus tard pour réinventer Apple et lui éviter la faillite. Comme le note « Forbes », les dirigeants sont adaptés aux périodes de paix ou aux temps de guerre, rarement aux deux. La littérature managériale traite majoritairement de méthodes de temps de paix, périodes auxquelles le succès repose sur la reproduction d’une méthode.

La même distinction vaut en matière économique. Durant les Trente Glorieuses, la France devait réaliser une « croissance d’expansion ». La diriger consistait à utiliser les atouts de notre pays en diffusant des recettes qui marchent (développement des réseaux d’infrastructure, élévation du niveau d’éducation, mise en place d’assurances sociales à couverture large?). C’était le temps des grandes stratégies et de la planification à la française.

Depuis, nous avons rejoint les meilleurs en richesse par heure travaillée et sommes entrés dans une « croissance contrainte », où l’enjeu n’est plus de rejoindre d’autres pays, mais au contraire trouver comment faire mieux qu’eux, tout en assurant emploi et solidarité. Il s’agit de nous donner les moyens de gagner des batailles économiques. De ne pas étouffer ceux qui sont capables de remporter ces batailles dans des visions trop décalées du réel – on pense aux enjeux du prix de l’énergie (compatibles avec une maîtrise des émissions de CO pourvu que les outils utilisés n’ignorent pas les réalités économiques). Ou aux promesses du « big data » (où nous avons des atouts, mais sommes handicapés par la multiplicité des cadres légaux européens). Ou encore aux emplois de service, insuffisamment valorisés alors qu’ils correspondent au profil de la majorité de ceux qui cherchent un emploi.

Vu d’un économiste de temps de paix, nous avons besoin d’une stratégie et d’un modèle dans lequel les entreprises inscriront mécaniquement leur développement. Un économiste de temps de guerre considérera, à l’inverse, qu’il faut laisser les acteurs économiques trouver comment mieux utiliser nos ressources – notamment 15 % de la population active sans emploi – en réduisant les barrières qui font consensus contre elles (part des prélèvements sur le travail, régulations limitant l’initiative économique, excès de centralisation, faiblesse du pilotage par la valeur des services publics?), et en cherchant les meilleures options pour les autres (régulations sociales, répartition des prélèvements?).

Si les tendances telles que le rattrapage des pays émergents ou le niveau de compétition économique mondial sont là pour durer, alors nos décideurs devront être davantage le profil du général de temps de guerre et rechercher la confrontation au réel plus que le consensus. Paradoxalement, cette confrontation réduira le stress du « mal français » : nous n’avons aucune raison de vivre moins bien demain qu’hier, de nous priver du potentiel de production des demandeurs d’emploi ou de ne pas profiter de toutes les innovations à venir. Et de ne pas célébrer ensemble de futures victoires économiques !

Cette tribune a été publié dans le quotidien Les Echos le 21 juin 2013, retrouvez toutes les chroniques de Vincent Champain sur son blog

STANDARD OIL ou le déclin d’un empire américain

L’entreprise fait donc l’objet à deux reprises de mesures anti-trusts ; la première en 1892, la seconde en 1911. En 1881, Rockfeller était parvenu à fédérer 39 entreprises pétrolières, constituées en « Standard Oil Trust
(C’est la première fois que le mot « trust », jusque là couramment employé de manière informelle, apparaît dans une raison sociale.)] » l’année d’après. Lorsqu’elle est sommée de se dissoudre, « la Standard » prend la forme d’une hydre à 40 têtes. Chacune prend le nom de Standard et ajoute un nom de territoire, comme la « Standard Oil of New-Jersey
([Future « Exxon ».)] » – de très loin la plus puissante d’entre elles, la « Standard Oil of New-York ([Future « Mobil ».)]», ou la « Standard Oil of California ([Future « Chevron ».)]». Avant la guerre, elle a déjà inondé le marché européen avec ses filiales, dominant notamment le Cartel des Dix. Alfred Bedford, qui a quitté la présidence de la Standard Oil of New-Jersey, prend la tête du « Board of Directors of Standard Oil Cies », le puissant Conseil d’Administration du trust. A chaque dissolution, plusieurs sociétés existent formellement, mais la Standard demeure. Toutefois, ces décisions l’ont sans doute affaiblie et ont profité à sa concurrence. Et si entre ces filiales, la concurrence n’a émergé que très lentement, elle s’est peu à peu et timidement installée.

Après la guerre, pourtant, la Standard reste en situation de monopole aux Etats-Unis. Les petites entreprises qui gravitent autour de ce marché ne parviennent pas, toutes réunies, au cinquième des ressources que possède la Standard en pétrole. Pour Pierre L’Espagnol de la Tramerye, son succès est dû à une solidarité nationale :

Si la « Standard » est montée si haut, c’est parce qu’elle était une Entreprise Nationale. Chaque Banque, chaque Compagnie maritime, chaque Chemin de fer aux Etats-Unis était intéressé au succès du trust, car cette grande corporation exportait (?) et faisait rentrer (?) plus de 100 millions de dollars.

UN ETAT DANS l’ETAT

« Qui s’attaque à la « Standard » s’attaque au Gouvernement Fédéral lui-même. » Le gouvernement s’attache en effet à une politique du pétrole très active. Avant la guerre, le Sénat américain crée l’ « United States Oil Corporation to develop new petroleum fields », afin de déceler de nouveaux lacs de pétrole. A sa création, la Standard ? et c’est l’idée géniale de Rockfeller ? se consacre au transport et à la construction de pipe-lines, mais ne s’intéresse pas à la production et l’exploration. Les producteurs doivent nécessairement faire appel à ses moyens de transport dans les grands centres, qui permettent des économies d’échelle. Ayant le monopole, le marché étant inélastique, il peut pratiquer des marges colossales. Après la guerre, la Standard est en position de force : elle s’est montrée étroitement alliée au gouvernement en temps de crise et, dénigrée avant la guerre, devient l’un de ses alliés après le conflit.

Bedford fait largement appel au gouvernement américain pour appuyer les Américains qui sollicitent dans le monde des concessions pétrolifères. Wilson, qui se méfie des trusts, accorde cet appui, conscient que la question pétrolière dépasse les intérêts de la compagnie.

En résumé, l’Etat et la Standard entretiennent une relation très ambiguë, le gouvernement cherchant les bénéfices de la Standard et s’en servant comme arme économique, tout en craignant son pouvoir, tandis que la Standard, tout en contrant les attaques légales du gouvernement, sollicite son appui ? et l’obtient. Adversaires à l’intérieur, ils s’allient à l’extérieur.

Alliance qui porte ses fruits : très tôt, les Etats-Unis montrent l’exemple avec une puissante flotte commerciale, qui consomme 15 millions de barils en 1911. Leur position de premier producteur au monde (443 millions de barils annuels en 1920 pour une production mondiale totale de 684 millions), suivis du Mexique (551 millions en 1920) et de la Russie (24 millions en 1920, la Région de Bakou s’épuise rapidement) les conforte dans la stratégie d’investir massivement sur « l’huile de pierre ». Ils développent notamment considérablement l’automobile et en 1920, leur consommation a augmenté de 25%. Cet engouement a ses limites : la même année la production, déjà insuffisante, ne progresse plus que de 11%. Leurs réserves ne suffisent plus à leur propre consommation et doivent donc se reposer sur le Mexique.

(…)

Seul le mouvement du progressivism, esprit de réforme né des nouveaux rapports sociaux et économiques de la révolution industrielle, a su inquiéter le géant du pétrole. Portant un souci de justice sociale, des préoccupations environnementales, la protection du consommateur, la lutte contre la corruption, les partisans de ce courant veillent au contrôle des grandes entreprises et font appel au gouvernement pour qu’il rétablisse la concurrence. Actifs des années 1890 aux années 1910, ils obtiennent les deux « démantèlements » de la Standard. A regarder de plus près, les « progressivistes » sont très partagés sur le modèle à adopter. Les uns, dont Woodrow Wilson, estiment que les trusts nuisent à la concurrence, facteur de progrès, il faut donc les démanteler. A l’opposé, d’autres estiment, comme Theodore Roosevelt, que les compagnies puissantes donnent au pays une puissance et des ressources que ne pourraient fournir les petites entreprises. Un courant plus socialiste préfère voir l’Etat prendre des parts dans les grandes entreprises qui ne sauraient être motivées par l’intérêt général. Enfin, une tendance libérale estime que l’intérêt général ne peut émerger que de la confrontation des intérêts particuliers.

La Standard résiste à l’explosion, même si la concurrence fait son apparition. Repliée sur le marché états-unien, la découverte de gisements dans le Caucase et l’Europe orientale ne tarde pas à remettre leur domination en jeu.

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Genèse et stratégies d’influence (1917-1924)
Jean-Marie Bouguen
Questions contemporaines
Editions L’Harmattan