Emploi : l’illusion régressive
L’on sait pourtant que les délocalisations réelles ne représentent, selon l’Insee, que 13.500 emplois par an en France entre 1990 et 2001, à comparer par exemple centaines de milliers de créations nettes sur la période.
Pourtant, le nombre d’emplois industriels ne cesse de baisser en France : délocalisations, donc, mais aussi externalisations (transformation d’emplois classés dans l’industrie en emplois classés dans les services), restructurations internes (amélioration de la productivité ou pertes de parts de marché), faillites?Le commerce international n’y est pas pour rien, loin de là. Mais il n’est pas pour rien non plus dans la baisse des prix des biens de consommation, qui nous permet d’accéder à plus de services, donc de développer ce secteur. En achetant aujourd’hui trois chemises fabriquées en Asie au lieu d’une faite en France il y a 40 ans, on supprime un emploi industriel en France, mais on crée en même temps un emploi dans la distribution? et trois en Asie. Le raisonnement sera le même pour un appel dans un call-center marocain ou pour un lecteur de DVD à 50 ? au lieu d’un magnétoscope à 150 ?, qui laisse 100 ? disponibles pour les loisirs?
Du point de vue macroéconomique, nous bénéficions donc de la globalisation des marchés : nous avons plein de chemises à la mode que nous ne prenons plus la peine de repriser, nous travaillons globalement plus dans les services (souvent préférables à l’industrie), et nous contribuons à créer des emplois dans les pays émergents. Revers de la médaille, tout ça fait une belle jambe à la couturière française qui s’est fait licencier, que ce soit pour cause de délocalisation ou de faillite : ce sont des bassins d’emplois entiers qui sont aujourd’hui dans l’impasse. Qui plus est, la mondialisation des échanges est fortement génératrice de pollution, de gaspillage et d’effet de serre.
Elever des barrières protectionnistes n’aurait pas de sens : autour de la France, elles supposeraient la fin de l’idée européenne et à terme une économie dégradée ; autour de l’Europe, elles n’empêcheraient pas l’électroménager courant de faire des milliers de kilomètres en camion et ne feraient pas revenir l’industrie textile. Pourtant, continuer la fuite en avant sans se soucier des dégâts écologiques et sociaux n’aurait pas plus de sens.
Des pistes existent, comme l’encouragement à la responsabilité sociale des entreprises, afin, notamment, de concourir à faire respecter partout dans le monde un droit du travail minimal, comme la compensation de la baisse des charges salariales par une hausse de la TVA, qui s’applique aussi aux importations, comme la relance de la recherche ou la création de vrais pôles de compétitivité (donc, pas 67), ou encore comme une taxation du transport en soi, y compris destinée à anticiper la hausse inévitable du prix du pétrole. Des pistes à moyen/long terme, mais pas de solution miracle. Des pistes qui passeront plus par la création d’une vraie organisation mondiale du commerce que par la destruction de l’OMC. Pour la gauche, c’est certes un moindre confort intellectuel de ne plus avoir d’ennemi oppresseur à abattre pour tout résoudre, mais c’est aussi une vertu de l’écologie, que de ne pas confondre objectifs politiques et communication, et communication et démagogie?
Arnaud Baumgartner (*) est haut fonctionnaire.
(*) Pseudonyme