Le fonds patrimonial de la nation en commun
Quel rôle pour la culture dans la réflexion actuelle et dans le grand débat national ? Y a–t-il encore une place pour la décentralisation culturelle, alors que tant de moyens sont à disposition des métropoles, villes moyennes et EPCI (intercommunalités), principaux gestionnaires des équipements culturels de proximité (médiathèques, musées, théâtre, festivals, etc.) ? La seule augmentation des moyens serait-elle pertinente ? Notre seconde contribution au Grand Débat National.
La réponse est pour nous plus complexe, sans surprise, car par-delà la décentralisation faciale de la culture, avec ses établissements localisés et ses politiques propres, il reste à un niveau supérieur plusieurs champs trop peu explorés dans ce domaine, de la formation même des élites culturelles à la mise en commun du noyau patrimonial de la nation. On peut en passer par un échec emblématique pour penser ces enjeux.
Après le projet Louvre-Lens, qui illustrait bien les politiques de valorisation des territoires par une institution culturelle de niveau national, un nouveau « projet Louvre » emblématique était en train d’émerger. La communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise (CACP) préparait en effet en effet au début des années 2010 la venue prochaine du Centre national de conservation, de restauration et de recherche du patrimoine (CNC2RP) lancé par le Louvre et le Ministère de la Culture. Cela faisait suite à une mise en concurrence remportée par la CACP pour l’accueil des réserves de 7 grands musées nationaux à l’horizon 2014 sur le site de Neuville-sur-Oise.
Sur un territoire qui profitait déjà, avec l’Axe majeur dessiné par Dani Karavan, d’une des réalisations les plus significatives en matière de Land Art dans le paysage français, ce projet préfigurait une nouvelle configuration pour la politique culturelle communautaire mais aussi pour la politique culturelle tout court.
Le CNC2RP devait être un établissement polyvalent destiné à abriter les œuvres actuellement entreposées dans les réserves de plusieurs musées situées le long de la Seine et soumises au risque d’inondation, dont Le Louvre, le musée d’Orsay, le musée des Arts Décoratifs, l’Orangerie, le musée du quai Branly, le musée Picasso, les Beaux-Arts, le Centre Pompidou, le Mobilier National et le Fonds d’Art Contemporain.
Outre les réserves, le projet aurait regroupé les laboratoires, le C2RMF (centre de recherche et de restauration des musées de France), le LRMH (laboratoire de recherche des monuments historiques) et des services spécialisés dans la conservation et la restauration des biens culturels – ateliers de restauration et établissements de formation des restaurateurs. Ce volet n’avait pas été conçu sans contestation du côté des chercheurs et des conservateurs.
Le Ministère de la Culture avait souhaité que le CNC2RP soit ouvert sur son environnement et accessible au public spécialisé (chercheurs, étudiants, commissaires des expositions) et au grand public grâce à un centre de médiation/valorisation.
Il aurait été construit sous maîtrise d’ouvrage d’Etat, avec l’appui opérationnel du Louvre, dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP). Néanmoins, par sa taille et sa complexité, ce projet aurait compris plusieurs sous-projets qui aurait fait appel à l’implication de la CACP. Le pôle de médiation, dont la maîtrise d’ouvrage aurait été assurée par les collectivités territoriales, aurait ainsi inclus un centre de convention et un lieu d’exposition pour la mise en valeur des métiers de la conservation et de la restauration des œuvres, en prenant appui notamment sur les techniques numériques. Le coût estimatif en étaiut de 30 M€, dont 10 M€ auraient été apportés par la Région et 10 M€ par le Département du Val d’Oise.
De nombreuses collaborations entre les laboratoires du C2RMF, du LRMH, du CRCC, ceux de l’Université de Cergy-Pontoise et les écoles d’ingénieurs et l’ESSEC, auraient pu être créées dans trois domaines majeurs : le pôle matériaux, le pôle numérique et le « management culturel » avec la création d’une chaire par l’ESSEC. Les laboratoires de Cergy-Pontoise offraient un potentiel de recherche et de formation à partir desquels le projet de recherche scientifique du CNC2RP devrait s’élaborer. Le site aurait pu également accueillir les formations à la restauration de l’Institut national du patrimoine. Ces implantations se seraient fait alors sur la base d’un projet universitaire en lien avec les formations de l’Université de Cergy-Pontoise et avec le potentiel offert par le CNC2RP (œuvres, ateliers de restauration, laboratoires de recherche).
Parallèlement à l’implantation du Centre, la CACP proposait également d’aménager un parc d’activités sur des terrains situés au Sud du site de Neuville, afin d’accueillir les entreprises fournisseurs et prestataires du Centre, ainsi qu’une cité des métiers d’art. L’implantation du CNC2RP nécessitait bien évidemment que la CACP intervienne en tant qu’aménageur pour apporter les réseaux et équipements nécessaires. Le Centre devait ainsi s’intégrer dans un schéma global d’aménagement de Neuville revisité pour la cause.
En temps de crise, le secteur culturel paie malheureusement – plus que les autres ? – son écot. Pour le Val d’Oise, le tribut a été particulièrement lourd, avec la révision du grand projet d’installation des réserves des musées parisiens au début du quinquennat Hollande. Pour la ministre de l’époque, le projet « répondait au souci de protéger les réserves du Louvre, objectif auquel s’était greffé un projet beaucoup plus coûteux et plus long à mettre en place, porté par les élus, de centre de recherche et d’exposition ouvert au public ». Le gouvernement allait « répondre à l’urgence patrimoniale, mais l’idée d’un grand centre n’était pas financée et ne pourra pas l’être aujourd’hui », affirmait la ministre. Mais derrière la question des moyens, c’est toute une approche intégrée, avec de multiples strates et implications, qui disparaissait. Le Centre était de ces projets qui auraient pu rapprocher les élites culturelles des territoires péri-urbains dans un sens profond et durable, à travers la formation notamment.
C’est ce genre de grand projet qui, en essaimant sur des terrains à repérer, peut redonner un sens nouveau à la décentralisation. En lien avec une réflexion plus fondamentale sur la formation des élites administratives (par une grande école des services publics, incluant les conservateurs, les énarques, les administrateurs territoriaux, les directeurs d’hôpitaux, dans une approche transversale et avec un lien mieux pensé avec les territoires, pour une interpénétration plus forte à terme… ?), ils seraient une façon de penser « out of the box » sans détricoter les savoirs-faire locaux et sans priver de moyens des institutions qui sont aussi, à juste titre, des marqueurs nationaux.