Si l’on ne sait pas quand il surviendra, du moins sait-on que ce moment arrivera un jour. Et la controverse porte tout au plus sur quelques années.
Réfléchir sur l’uranium et le gaz naturel n’est pas très différent. Ces trois ressources ont un point commun : elles relèvent d’un « stock » disponible sur Terre, et sont donc limitées. C’est cette limite qui crée le pic. A l’inverse, les énergies dites de « flux » (vent, soleil, marées?) ne le sont pas, et ne subissent donc pas cette épée de Damoclès. S’interroger sur le secteur énergétique de demain suppose donc de réfléchir aux moyens de réussir une transition énergétique en France.
UNE DOMINATION A EBRANLER
Dans l’imaginaire collectif, la révolution industrielle est indissociable de ces cheminées d’usine rejetant des fumées noires. Au-delà de cette image, c’est un véritable choix de société qui est illustré. Il est évident que la découverte de la quantité d’énergie dégagée par les fossiles sous l’effet de la combustion ne pouvait que provoquer un élan d’espoir chez les chercheurs de l’époque.
Aujourd’hui, les technologies liées aux énergies fossiles se sont imposées au point de déterminer l’aménagement de nos territoires (étalement urbain), comme l’économie mondiale (délocalisations). Il y a une domination évidente des énergies « stockées ». Leur rareté n’est bien sûr pas la seule raison pour laquelle il convient d’en limiter l’usage. Inutile de rappeler pourquoi nous devons enrayer les externalités négatives qu’elles génèrent ? pollutions diverses, déchets, surémission de gaz à effet de serre. L’impact écologique qu’elles induisent est désormais bien connu. Les technologies liées aux énergies renouvelables, de « flux » donc, se développent et se généralisent. Etant ancrées localement, les déperditions d’énergie sont relativement faibles. Elles sont réversibles et endommagent peu ou pas l’environnement.
Le secteur se développe au point d’intéresser les « majors ». Mais jamais aucun plan de grande envergure n’a été développé afin de leur donner l’impulsion qui permettra d’en faire un fleuron industriel. Ce qui est regrettable lorsqu’on considère, d’une part, le potentiel d’emplois à la clef et, d’autre part, le niveau de recherche en France.
UNE POLITIQUE PETROLIERE TARDIVE
Les grandes puissances prennent peu à peu conscience du potentiel de ce secteur. La France en reste à l’effet d’annonce. A croire que l’histoire se répète. Au début du XXe siècle, toutes les grandes puissances misent sur le pétrole, cherchent à s’approprier les terrains, développent des raffineries, créent des pipelines. Seule la France, puissance charbonnière, en reste aux mines. Certes, elle dispose de sous-marins, camions et autres véhicules fonctionnant à l’essence. Elle consomme du pétrole, mais n’en produit pas, ou si peu. Et lorsque, en décembre 1917, Henry Bérenger alerte les sénateurs sur le fait que la France n’aura plus une goutte d’essence au 1er mars 1918 ?dans la simulation la plus optimiste- ils comprennent que la guerre est perdue. Clemenceau en appelle alors à son allié américain, qui lui envoie aussitôt des pétroliers ; les alliés gagnent alors le conflit. De cette leçon, la France comprend, très tard, que le pétrole était devenu, ces dernières années, une denrée stratégique. L’adresse diplomatique de quelques hommes d’Etat de l’époque a permis d’inverser « la vapeur », mais la France n’a pu s’imposer que très tard sur ce marché. Elle n’y est vraiment parvenue qu’en créant la CFP, la « Compagnie Française des Pétroles », qui regroupait banques, Etat, raffineurs, producteurs.
Le Président du Conseil rappelle alors la volonté du gouvernement de « créer un outil capable de réaliser une politique nationale du pétrole » et « de voir se constituer un groupement national de pétrole », société anonyme de statut français. Cette société « s’efforcera de développer une production de pétrole à contrôle français dans les différentes régions productrices », « créera ou développera toutes les entreprises qu’elle jugera utiles pour sa prospérité » et pourra recevoir du gouvernement la mission d’entreprendre des travaux qu’il estimera « opportuns ».
Dans ce but, elle devra « organiser la mise en valeur des ressources et des avantages que l’Etat tient ou tiendra des accords diplomatiques ou autres existants ou intervenir, en ce qui touche le pétrole ». Elle prendra des participations dans les entreprises « exerçant leur activité dans diverses régions pétrolifères, spécialement en Amérique centrale et en Amérique du Sud ». Compagnie nationale, « la Société recevra l’appui du Gouvernement et le concours de ses Administrateurs, dans les démarches et travaux qu’elle entreprendra en conformité des programmes arrêtés d’accord avec le Gouvernement. » L’Etat se réserve de plus un contrôle sur la gestion de la société , avec la nomination de deux commissaires, du ministère du Commerce et de celui des Finances, disposant du droit de veto en Conseil d’Administration. Enfin, de nombreuses dispositions sont censées protéger la CFP des capitaux étrangers : les sociétés industrielles et financières françaises peuvent participer à la société, lorsque leur objet social concerne « la production, le transport, le commerce, la distribution, le raffinage » de pétrole.
Sachant qu’une entreprise peut n’être française qu’en apparence, « le cas de certaines Sociétés comprenant des participations étrangères importantes fera l’objet d’un examen particulier. » Disposition qui vise la Banque de Paris (future Paribas). Poincaré ne ferme aucune porte à « toutes dispositions nécessaires (qui) devront être insérées dans les statuts pour assurer la permanence du contrôle de la Société par des capitaux français. » Enfin, les postes restent toujours des éléments stratégiques pour le contrôle d’une société : le directeur général et les directeurs sont être Français, comme les administrateurs, agréés par le gouvernement.
UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE ECOLO
L’époque n’est pas la même, la ressource non plus. Une transposition serait à prendre avec la plus grande précaution, si tant est qu’elle est imaginable. Mais cette leçon de l’histoire doit nous amener à réfléchir sur le rôle de l’Etat dans l’impulsion d’un tissu industriel nouveau.
Aujourd’hui, les entreprises travaillant sur les énergies renouvelables n’ont pas l’écoute des majors du pétrole, du nucléaire, ou du gaz. Ces dernières, de plus, investissent aussi sur le renouvelable et peuvent donc siéger et peser dans leurs groupes d’influence. L’Etat doit donc réinventer son rôle, investir et se réinvestir. C’est à lui qu’incombe, pour une durée certes limitée, le rôle de pilotage stratégique. En créant un consortium qui pourrait, peu ou prou, s’appuyer sur les membres du Syndicat des Energies Renouvelables (SER), l’Etat créerait une structure puissante, capable de rivaliser avec les majors du pétrole, tout en les canalisant en interne.
Cette « régie intéressée », où la participation de l’Etat ne pourrait excéder 25%, permettrait également de maîtriser une stratégie foncière (doublée d’un portage foncier) sur tout le territoire, et les bénéfices générés permettraient à la collectivité de compenser ses investissements. Un tel dispositif, bien sûr, ne peut se substituer à un grand plan d’économies d’énergies et à une politique ambitieuse à l’échelon européen. Mais ce peut être un dispositif complémentaire.
En somme, les énergies renouvelables attendent encore « leur » Henry Bérenger.
1. Création d’un consortium d’Etat appuyé sur le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) : renforcement de sa fonction de pilote stratégique
2. La forme de « régie intéressée » privilégiée pour assoir une stratégie foncière sur tout le territoire
3. Financement de son action par les plus-values de ses achats/reventes