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Le bonheur au travail ?

BIEN ÊTRE = PIPEAU ?

 

Les cyniques pointeront une mode managériale influencée par la psychologie positive anglo-saxonne. Les philosophes noteront qu’en période de moindres opportunités, le bonheur stoïque (tenter de faire désirer le job que l’on a) prend le pas sur le bonheur épicurien (tenter d’avoir le job que l’on désire). Les économistes noteront la causalité entre employés heureux, employés productifs et clients satisfaits. Mais nul ne niera que le « management par le bonheur » est à la mode. Même la sérieuse OCDE, davantage connue pour ses travaux sur les déficits publics et les réformes structurelles, publie une étude sur le bien-être au travail.

De plus en plus d’entreprises se construisent sur l’inverse du modèle d’entreprise bâtie sur l’idée que le succès collectif donnera les moyens du bonheur individuel de chacun.

Sarenza insuffle à ses employés un « esprit drôle et décalé dans des pieds bien chaussés ».

MyLittleParis prône un « Wow Effect » afin d’étonner et d’inspirer le quotidien de ses abonnées, et organise pour ses salariés des moments de partage pour découvrir ensemble de nouveaux concepts ou tendances afin de nourrir leur créativité.

SeLoger accompagne ses employés dès le recrutement avec des messages forts sur sa culture et promeut l’épanouissement de ses salariés autant que leur performance. De plus en plus de grandes entreprises mesurent par enquête l’adhésion à la stratégie de l’entreprise, le sentiment d’épanouissement ou le ressenti sur les perspectives de développement.

Elles suivent des stratégies variées, mais qui partagent plusieurs dimensions :

– Donner à chacun une maîtrise de ses activités. Plus le système de management sera clair sur les finalités en laissant de la souplesse sur les façons d’y arriver, et plus il permettra d’accompagner le développement de nouvelles compétences, plus les salariés s’y épanouiront.

– Renforcer le lien et le sentiment d’appartenance. Chacun de nous a besoin de faire partie d’un groupe et d’y trouver une place. Francis Fukuyama décrivait six critères qui renforcent la cohésion d’un groupe : la taille (le sentiment d’appartenance sera plus fort dans une PME ou dans une petite équipe), l’existence d’une identité forte (une entreprise qui se démarque par son image générera plus d’adhésion), la fréquence des relations (les rencontres physiques pèsent plus que les « conference calls »), l’existence de valeurs communes (des règles ou des méthodes communes, une culture forte?), le niveau de justice (les salariés seront plus attachés à une entreprise méritocratique) et le niveau de transparence (par exemple, pour les opportunités de mobilité interne ou la collégialité des décisions).

Chaque gouvernement promet de nouveaux champs à la négociation collective, de nouvelles lois puis de nouvelles simplifications. Mais curieusement, la question du bonheur au travail est le grand absent des agendas sociaux. Certes, elle se prête difficilement à des lois, mais elle pourrait par exemple faire l’objet de discussions avec les représentants des salariés, ou constituer une orientation utile des programmes de formation. Dès lors, pourquoi ne pas en faire la première des contreparties du pacte de responsabilité ?

Energies renouvelables : pour un consortium industriel

Si l’on ne sait pas quand il surviendra, du moins sait-on que ce moment arrivera un jour. Et la controverse porte tout au plus sur quelques années.

Réfléchir sur l’uranium et le gaz naturel n’est pas très différent. Ces trois ressources ont un point commun : elles relèvent d’un « stock » disponible sur Terre, et sont donc limitées. C’est cette limite qui crée le pic. A l’inverse, les énergies dites de « flux » (vent, soleil, marées?) ne le sont pas, et ne subissent donc pas cette épée de Damoclès. S’interroger sur le secteur énergétique de demain suppose donc de réfléchir aux moyens de réussir une transition énergétique en France.

UNE DOMINATION A EBRANLER

Dans l’imaginaire collectif, la révolution industrielle est indissociable de ces cheminées d’usine rejetant des fumées noires. Au-delà de cette image, c’est un véritable choix de société qui est illustré. Il est évident que la découverte de la quantité d’énergie dégagée par les fossiles sous l’effet de la combustion ne pouvait que provoquer un élan d’espoir chez les chercheurs de l’époque.

Aujourd’hui, les technologies liées aux énergies fossiles se sont imposées au point de déterminer l’aménagement de nos territoires (étalement urbain), comme l’économie mondiale (délocalisations). Il y a une domination évidente des énergies « stockées ». Leur rareté n’est bien sûr pas la seule raison pour laquelle il convient d’en limiter l’usage. Inutile de rappeler pourquoi nous devons enrayer les externalités négatives qu’elles génèrent ? pollutions diverses, déchets, surémission de gaz à effet de serre. L’impact écologique qu’elles induisent est désormais bien connu. Les technologies liées aux énergies renouvelables, de « flux » donc, se développent et se généralisent. Etant ancrées localement, les déperditions d’énergie sont relativement faibles. Elles sont réversibles et endommagent peu ou pas l’environnement.

Le secteur se développe au point d’intéresser les « majors ». Mais jamais aucun plan de grande envergure n’a été développé afin de leur donner l’impulsion qui permettra d’en faire un fleuron industriel. Ce qui est regrettable lorsqu’on considère, d’une part, le potentiel d’emplois à la clef et, d’autre part, le niveau de recherche en France.

UNE POLITIQUE PETROLIERE TARDIVE

Les grandes puissances prennent peu à peu conscience du potentiel de ce secteur. La France en reste à l’effet d’annonce. A croire que l’histoire se répète. Au début du XXe siècle, toutes les grandes puissances misent sur le pétrole, cherchent à s’approprier les terrains, développent des raffineries, créent des pipelines. Seule la France, puissance charbonnière, en reste aux mines. Certes, elle dispose de sous-marins, camions et autres véhicules fonctionnant à l’essence. Elle consomme du pétrole, mais n’en produit pas, ou si peu. Et lorsque, en décembre 1917, Henry Bérenger alerte les sénateurs sur le fait que la France n’aura plus une goutte d’essence au 1er mars 1918 ?dans la simulation la plus optimiste- ils comprennent que la guerre est perdue. Clemenceau en appelle alors à son allié américain, qui lui envoie aussitôt des pétroliers ; les alliés gagnent alors le conflit. De cette leçon, la France comprend, très tard, que le pétrole était devenu, ces dernières années, une denrée stratégique. L’adresse diplomatique de quelques hommes d’Etat de l’époque a permis d’inverser « la vapeur », mais la France n’a pu s’imposer que très tard sur ce marché. Elle n’y est vraiment parvenue qu’en créant la CFP, la « Compagnie Française des Pétroles », qui regroupait banques, Etat, raffineurs, producteurs.

Le Président du Conseil rappelle alors la volonté du gouvernement de « créer un outil capable de réaliser une politique nationale du pétrole » et « de voir se constituer un groupement national de pétrole », société anonyme de statut français. Cette société « s’efforcera de développer une production de pétrole à contrôle français dans les différentes régions productrices », « créera ou développera toutes les entreprises qu’elle jugera utiles pour sa prospérité » et pourra recevoir du gouvernement la mission d’entreprendre des travaux qu’il estimera « opportuns ».

Dans ce but, elle devra « organiser la mise en valeur des ressources et des avantages que l’Etat tient ou tiendra des accords diplomatiques ou autres existants ou intervenir, en ce qui touche le pétrole ». Elle prendra des participations dans les entreprises « exerçant leur activité dans diverses régions pétrolifères, spécialement en Amérique centrale et en Amérique du Sud ». Compagnie nationale, « la Société recevra l’appui du Gouvernement et le concours de ses Administrateurs, dans les démarches et travaux qu’elle entreprendra en conformité des programmes arrêtés d’accord avec le Gouvernement. » L’Etat se réserve de plus un contrôle sur la gestion de la société , avec la nomination de deux commissaires, du ministère du Commerce et de celui des Finances, disposant du droit de veto en Conseil d’Administration. Enfin, de nombreuses dispositions sont censées protéger la CFP des capitaux étrangers : les sociétés industrielles et financières françaises peuvent participer à la société, lorsque leur objet social concerne « la production, le transport, le commerce, la distribution, le raffinage » de pétrole.

Sachant qu’une entreprise peut n’être française qu’en apparence, « le cas de certaines Sociétés comprenant des participations étrangères importantes fera l’objet d’un examen particulier. » Disposition qui vise la Banque de Paris (future Paribas). Poincaré ne ferme aucune porte à « toutes dispositions nécessaires (qui) devront être insérées dans les statuts pour assurer la permanence du contrôle de la Société par des capitaux français. » Enfin, les postes restent toujours des éléments stratégiques pour le contrôle d’une société : le directeur général et les directeurs sont être Français, comme les administrateurs, agréés par le gouvernement.

UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE ECOLO

L’époque n’est pas la même, la ressource non plus. Une transposition serait à prendre avec la plus grande précaution, si tant est qu’elle est imaginable. Mais cette leçon de l’histoire doit nous amener à réfléchir sur le rôle de l’Etat dans l’impulsion d’un tissu industriel nouveau.

Aujourd’hui, les entreprises travaillant sur les énergies renouvelables n’ont pas l’écoute des majors du pétrole, du nucléaire, ou du gaz. Ces dernières, de plus, investissent aussi sur le renouvelable et peuvent donc siéger et peser dans leurs groupes d’influence. L’Etat doit donc réinventer son rôle, investir et se réinvestir. C’est à lui qu’incombe, pour une durée certes limitée, le rôle de pilotage stratégique. En créant un consortium qui pourrait, peu ou prou, s’appuyer sur les membres du Syndicat des Energies Renouvelables (SER), l’Etat créerait une structure puissante, capable de rivaliser avec les majors du pétrole, tout en les canalisant en interne.

Cette « régie intéressée », où la participation de l’Etat ne pourrait excéder 25%, permettrait également de maîtriser une stratégie foncière (doublée d’un portage foncier) sur tout le territoire, et les bénéfices générés permettraient à la collectivité de compenser ses investissements. Un tel dispositif, bien sûr, ne peut se substituer à un grand plan d’économies d’énergies et à une politique ambitieuse à l’échelon européen. Mais ce peut être un dispositif complémentaire.

En somme, les énergies renouvelables attendent encore « leur » Henry Bérenger.

 

Propositions

1. Création d’un consortium d’Etat appuyé sur le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) : renforcement de sa fonction de pilote stratégique

2. La forme de « régie intéressée » privilégiée pour assoir une stratégie foncière sur tout le territoire

3. Financement de son action par les plus-values de ses achats/reventes

Développer la comptabilité publique environementale

DEFINITION D’UNE COMPTABILITE PUBLIQUE ENVIRONEMENTALE

La comptabilité environnementale, ou comptabilité verte, est une prolongation du système comptable traditionnel. Ses fonctions sont les mêmes : il s’agit d’un outil normalisé d’information, d’un tableau de bord de pilotage de l’activité et de mesure des risques qui y sont liées. L’enjeu d’une telle comptabilité est à la fois de définir une méthode de mesure commune des impacts d’une activité sur l’environnement, mais également de donner une valeur financière aux externalités.

Quels enjeux ?
L’intérêt d’un telle comptabilité pour la puissance publique est multiple, elle permettait tout d’abord aux collectivités d’inventorier et de mesurer de manière plus ambitieuse l’impact de leur propre activité sur l’environnement et s’inscrirait dans la poursuite des initiatives du Grenelle II imposant aux services de l’Etat de répertorier leurs émissions de gaz à effet de serre ou du plan Etat exemplaire reposant sur une série d’indicateurs.

Mais la comptabilité verte va au-delà d’un simple reporting de données extra-financières : il s’agit de donner une valeur aux impacts de l’activité sur l’environnement et de les comptabiliser comme éléments du bilan et du compte de résultat, au travers par exemple de la mesure des flux (comme la consommation du capital naturel par l’entreprise) et risques environnementaux de l’entreprise. Cette démarche permet, dès lors, d’apprécier de manière normalisée la performance environnementale d’une entreprise ou d’une administration, tant à l’instant t qu’en dynamique sur plusieurs années, sans la considérer comme étrangère à la performance financière.

Enfin, la comptabilité environnementale constitue un enjeu certain pour les finances publiques : le déploiement au sein des entreprises privées d’un tel outil permettrait à l’Etat de bénéficier d’une nouvelle assiette de taxation des pollutions permettant par exemple de transférer une part des prélèvements sociaux pesant sur le facteur travail sur les activités les plus polluantes.

DES DIFFICULTÉS A DÉPASSER

Bien entendu, la mise en ?uvre d’une telle comptabilité fait face à des obstacles techniques bien connus des économistes, elle pose notamment la question de la monétisation d’informations difficilement appréhendables et quantifiables.

La démarche est bien avancée concernant le carbone, déjà valorisée sur un marché européen ou plus indirectement au travers des taxes carbones scandinaves, bien que les niveaux de prix actuels se situent aujourd’hui bien en-dessous des seuils permettant une véritable internalisation. Mais les choses se compliquent concernant la biodiversité et le capital naturel. Des travaux d’économistes de renom ont proposé une approche par la mesure des services rendus par les écosystèmes, comme par exemple les travaux de Pavan Sukdhev, qui plaide pour le développement d’une comptabilité environnementale.

On comprend alors que l’enjeu majeur de la comptabilité environnementale repose sur la crédibilité et la pertinence des paramètres pris en compte et des hypothèses de valorisation retenues.

Des initiatives pionnières dans le secteur privé
_ Des initiatives intéressantes émergent dans le secteur privé. Ainsi Mac Donald ou Puma ont conduit des expérimentations dans ce domaine dans le cadre d’une démarche concertée faisant intervenir bureaux d’études, cabinets de conseil et ONGs. Puma a ainsi publié en 2011 un premier compte de résultat* valorisant à 66? la tonne de CO2 (soit un niveau bien supérieur à sa valeur actuelle sur le marché carbone), l’impact environnemental de la consommation en eau étant valorisée à 0,81? par m3, celle de l’occupation des sols à 347?/ha pour compenser la perte des services rendus par la nature.
Ces premiers essais ont conduit le Conseil supérieur des experts comptables à s’intéresser au sujet, et à lancer un premier groupe de travail sur le sujet.

Une participation de la puissance publique à promouvoir
_ On comprend ainsi que les enjeux de l’émergence de cette comptabilité sont de multiplier des expérimentations sur des terrains variés, afin d’affiner les modèles et développer un véritable savoir faire tant public que privé dans le domaine, mais également de permettre à la France de peser sur de futures normes comptables internationales dans ce domaine. L’Etat et les collectivités territoriales pourraient ainsi s’engager dans cette démarche. Dans un premier temps, on pourrait imaginer par exemple des expérimentations menées au sein de leurs établissements publics, unités comptables plus réduites et se situant souvent à la frontière entre activité commerciale et de service public.

Notons, pour conclure, que ces nouvelles formes de comptabilité sont également appelées à intégrer à terme la dimension sociale et sociétale d’une activité.

STANDARD OIL ou le déclin d’un empire américain

L’entreprise fait donc l’objet à deux reprises de mesures anti-trusts ; la première en 1892, la seconde en 1911. En 1881, Rockfeller était parvenu à fédérer 39 entreprises pétrolières, constituées en « Standard Oil Trust
(C’est la première fois que le mot « trust », jusque là couramment employé de manière informelle, apparaît dans une raison sociale.)] » l’année d’après. Lorsqu’elle est sommée de se dissoudre, « la Standard » prend la forme d’une hydre à 40 têtes. Chacune prend le nom de Standard et ajoute un nom de territoire, comme la « Standard Oil of New-Jersey
([Future « Exxon ».)] » – de très loin la plus puissante d’entre elles, la « Standard Oil of New-York ([Future « Mobil ».)]», ou la « Standard Oil of California ([Future « Chevron ».)]». Avant la guerre, elle a déjà inondé le marché européen avec ses filiales, dominant notamment le Cartel des Dix. Alfred Bedford, qui a quitté la présidence de la Standard Oil of New-Jersey, prend la tête du « Board of Directors of Standard Oil Cies », le puissant Conseil d’Administration du trust. A chaque dissolution, plusieurs sociétés existent formellement, mais la Standard demeure. Toutefois, ces décisions l’ont sans doute affaiblie et ont profité à sa concurrence. Et si entre ces filiales, la concurrence n’a émergé que très lentement, elle s’est peu à peu et timidement installée.

Après la guerre, pourtant, la Standard reste en situation de monopole aux Etats-Unis. Les petites entreprises qui gravitent autour de ce marché ne parviennent pas, toutes réunies, au cinquième des ressources que possède la Standard en pétrole. Pour Pierre L’Espagnol de la Tramerye, son succès est dû à une solidarité nationale :

Si la « Standard » est montée si haut, c’est parce qu’elle était une Entreprise Nationale. Chaque Banque, chaque Compagnie maritime, chaque Chemin de fer aux Etats-Unis était intéressé au succès du trust, car cette grande corporation exportait (?) et faisait rentrer (?) plus de 100 millions de dollars.

UN ETAT DANS l’ETAT

« Qui s’attaque à la « Standard » s’attaque au Gouvernement Fédéral lui-même. » Le gouvernement s’attache en effet à une politique du pétrole très active. Avant la guerre, le Sénat américain crée l’ « United States Oil Corporation to develop new petroleum fields », afin de déceler de nouveaux lacs de pétrole. A sa création, la Standard ? et c’est l’idée géniale de Rockfeller ? se consacre au transport et à la construction de pipe-lines, mais ne s’intéresse pas à la production et l’exploration. Les producteurs doivent nécessairement faire appel à ses moyens de transport dans les grands centres, qui permettent des économies d’échelle. Ayant le monopole, le marché étant inélastique, il peut pratiquer des marges colossales. Après la guerre, la Standard est en position de force : elle s’est montrée étroitement alliée au gouvernement en temps de crise et, dénigrée avant la guerre, devient l’un de ses alliés après le conflit.

Bedford fait largement appel au gouvernement américain pour appuyer les Américains qui sollicitent dans le monde des concessions pétrolifères. Wilson, qui se méfie des trusts, accorde cet appui, conscient que la question pétrolière dépasse les intérêts de la compagnie.

En résumé, l’Etat et la Standard entretiennent une relation très ambiguë, le gouvernement cherchant les bénéfices de la Standard et s’en servant comme arme économique, tout en craignant son pouvoir, tandis que la Standard, tout en contrant les attaques légales du gouvernement, sollicite son appui ? et l’obtient. Adversaires à l’intérieur, ils s’allient à l’extérieur.

Alliance qui porte ses fruits : très tôt, les Etats-Unis montrent l’exemple avec une puissante flotte commerciale, qui consomme 15 millions de barils en 1911. Leur position de premier producteur au monde (443 millions de barils annuels en 1920 pour une production mondiale totale de 684 millions), suivis du Mexique (551 millions en 1920) et de la Russie (24 millions en 1920, la Région de Bakou s’épuise rapidement) les conforte dans la stratégie d’investir massivement sur « l’huile de pierre ». Ils développent notamment considérablement l’automobile et en 1920, leur consommation a augmenté de 25%. Cet engouement a ses limites : la même année la production, déjà insuffisante, ne progresse plus que de 11%. Leurs réserves ne suffisent plus à leur propre consommation et doivent donc se reposer sur le Mexique.

(…)

Seul le mouvement du progressivism, esprit de réforme né des nouveaux rapports sociaux et économiques de la révolution industrielle, a su inquiéter le géant du pétrole. Portant un souci de justice sociale, des préoccupations environnementales, la protection du consommateur, la lutte contre la corruption, les partisans de ce courant veillent au contrôle des grandes entreprises et font appel au gouvernement pour qu’il rétablisse la concurrence. Actifs des années 1890 aux années 1910, ils obtiennent les deux « démantèlements » de la Standard. A regarder de plus près, les « progressivistes » sont très partagés sur le modèle à adopter. Les uns, dont Woodrow Wilson, estiment que les trusts nuisent à la concurrence, facteur de progrès, il faut donc les démanteler. A l’opposé, d’autres estiment, comme Theodore Roosevelt, que les compagnies puissantes donnent au pays une puissance et des ressources que ne pourraient fournir les petites entreprises. Un courant plus socialiste préfère voir l’Etat prendre des parts dans les grandes entreprises qui ne sauraient être motivées par l’intérêt général. Enfin, une tendance libérale estime que l’intérêt général ne peut émerger que de la confrontation des intérêts particuliers.

La Standard résiste à l’explosion, même si la concurrence fait son apparition. Repliée sur le marché états-unien, la découverte de gisements dans le Caucase et l’Europe orientale ne tarde pas à remettre leur domination en jeu.

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Genèse et stratégies d’influence (1917-1924)
Jean-Marie Bouguen
Questions contemporaines
Editions L’Harmattan

La monnaie complémentaire, outil de la « compta écolo »

Francine Bavay, Conseillère régionale (EELV) d’Ile-de-France

Mesurer la valeur ajoutée sociale et environnementale

A mon sens, les acteurs de l’économie sociale et solidaire produisent de la très haute valeur ajoutée : de la valeur ajoutée économique, comme tout acteur économique ; de la valeur d’utilité sociale et environnementale ; de la valeur d’approfondissement des pratiques démocratiques, puisqu’ils sont régis par le principe « un humain, une voix » et non « une action, une voix ». Mais si on veut prouver qu’il y a effectivement création de valeur ajoutée, il faut être capable de la mesurer.

Si le Produit intérieur brut a bien fonctionné pour mesurer cette valeur à l’échelle nationale durant plusieurs décennies, c’est parce qu’il s’agissait d’un outil simple et rassurant, qui fonctionnait selon la logique du gâteau : plus les entreprises produisaient, plus le gâteau augmentait et plus il y avait à manger pour tou/tes. Peu à peu, le PIB est toutefois entré en crise et on lui a par exemple ajouté les salaires et dépenses des administrations publiques afin qu’il continue de rendre compte de la complexité du fonctionnement économique d’une société. Mais aujourd’hui, avec la prise de conscience de la crise environnementale majeure que nous traversons, on voit bien que cet outil est incapable de prendre en compte les destructions irréparables de ressources naturelles causées par l’activité économique et qu’il n’est donc plus apte à mesurer de façon pertinente la richesse produite par une société.

La monnaie complémentaire, pour créer et mesurer de la valeur ajoutée

Nous sommes donc arrivés à un moment où nous avons besoin de nouveaux outils macroéconomiques, mais aussi sans doute microéconomiques, pour définir ce qu’est la richesse. De là, deux approches sont possibles : une approche multicomptabilité et une approche unicomptabilité. L’approche multicomptabilité a été mise en ?uvre, par exemple, en Suède, où les entreprises sont désormais tenues de comptabiliser non seulement le carbone émis, mais aussi toutes les matières premières consommées. Mais en France, je ne pense pas que la société soit mure pour la mise en place d’une telle approche. Quant à l’approche unicomptabilité, qui vise en somme à intégrer des les comptes de l’entreprise les externalités négatives ou positives qu’elle produit sur l’environnement, elle bute sur un obstacle de taille : quelle est l’unité dans laquelle on va compter ? Comment réunir dans un même compte des réalités (bénéfice financier, apport social du travail bénévole, destruction de biomasse?) de natures très diverses ?

Certes, depuis trois ou quatre millénaires, on a une idée de la valeur produite grâce à un médiateur : la monnaie. Idéalement, ce médiateur devrait également être un indicateur des valeurs morales de notre société. Or aujourd’hui, on a accepté de fortes inégalité dans la répartition de la monnaie : certains individus, pas forcément plus « moraux », en détiennent beaucoup plus que d’autres. Alors avec d’autres monnaies, on peut sans doute corriger ces inégalités au profit de tou/tes. Par exemple, le prix d’une place de cinéma est aujourd’hui de 10 euros en moyenne, calculé sur la base d’un taux de remplissage moyen d’environ 30 %. Si on crée une monnaie complémentaire et qu’on la distribue de préférence aux plus pauvres ? c’est-à-dire à ceux qui ont le moins accès à la monnaie générale -, on va pouvoir remplir cette salle à près de 100 %, et ce à production et dépense énergétique constante (que la salle soit remplie à 30 % ou à 100 %, il n’y aura toujours qu’une seule projection). L’utilisation d’une monnaie complémentaire peut donc permettre, à production et externalité environnementale constante, de créer davantage de valeur ajoutée sociale (plus de personnes auront eu accès à la salle de cinéma) et de comptabiliser dans un même temps cette valeur ajoutée.

La région, niveau pertinent d’émission d’une monnaie complémentaire

En Ile-de-France, mais aussi en Bretagne et dans le Nord-Pas-de-Calais, nous expérimentons depuis quatre ans un tel système avec la monnaie SOL, émise par la Région et par les divers acteurs de l’économie sociale et solidaire qui participent à ce projet. On peut acquérir des SOL « coopération » en privilégiant pour ses achats courants un réseau de commerçants ayant prouvé leur démarche sociale et environnementale (démocratie entrepreneuriale, bio, circuits courts?), des SOL « engagement » en s’engageant bénévolement dans des activités d’utilité collective mises en ?uvre par des acteurs publics ou des associations, ou encore recevoir d’une collectivité locale des SOL « affectés » à telle ou telle consommation (restauration collective, transports, etc.). Autre particularité de la monnaie SOL : elle est fondante, c’est-à-dire qu’elle se dévalue avec le temps lorsqu’elle n’est pas échangée. La circulation de la monnaie est ainsi favorisée, ce qui est toujours à l’avantage de ceux qui en ont peu.

A mon avis, le bon niveau d’émission pour ce type de monnaies, c’est la région : cela permet en effet de relocaliser des activités économiques sur un lieu qui présente une taille critique suffisante pour que la monnaie complémentaire soit assez largement reconnue et échangeable. Et l’introduction d’une telle monnaie peut avoir un véritable impact sur le dynamisme économique local voire général. On le voit par exemple avec le Wir, monnaie complémentaire créée en Suisse en 1934 par des entrepreneurs qui refusaient de commercer avec les nazis : à certaines périodes, le Wir, toujours en circulation aujourd’hui, a pu représenter 30 % des échanges dans la zone suisse où il est utilisé.

Avec une telle monnaie en tout cas, il est possible d’avoir une idée tout à fait quantifiée des externalités positives ou négatives produites par des acteurs économiques sur l’environnement et sur la société, sans inscrire ce décompte dans une monnaie unique (l’euro) qui sanctionne une économie générale essentiellement lucrative.

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