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CSNE : un projet qui n’a pas de prix mais un coût

Alors si ce canal est la chronique d’un désastre annoncé, pourquoi se lancer dans cette aventure ruineuse ? Parce que les élus et les candidats aux élections aiment les « grands projets » qui semblent apporter des réponses simples mais qui sont en réalité des miroirs aux alouettes. Investir pour développer des LGV ([Lignes ferroviaires à grande vitesse)] sur tout le territoire, construire de nouveaux aéroports, construire des tours géantes, inaugurer un Canal géant? c’est la France des ingénieurs des années Pompidou.

C’est la pédagogie de la maquette, de l’image 3D et des concepts pour faire croire qu’on fait quelque chose de structurant quand on emmène le pays sur la voie d’investissements inefficaces. Cette vision du développement, c’est celle du Concorde, du Rafale et de l’EPR. Cocorico !


Nous marchons sur la tête.

Ce ne sont pas ces investissements dont le pays a besoin aujourd’hui pour engager un nouveau cycle de développement, réellement soutenable et relocalisé. Prenons un seul exemple : investir massivement dans la rénovation de l’habitat ancien, voilà un véritable enjeu de formation, de création d’emplois, de fiscalité, pour répondre aux enjeux énergétiques et climatiques d’aujourd’hui. Où passent donc les milliards nécessaires à ces politiques urgentes de densification écologique et économique des territoires ?

Il n’est pas trop tard pour revenir sur une mauvaise idée. Il vaut mieux se creuser la tête avant de creuser le canal. Il y a déjà eu trop d’argent public dépensé pour ce projet pharaonique. Arrêtons les frais.

Questions et problèmes autour du Canal Seine Nord

Le financement.

Sur un projet estimé aujourd’hui à 4, 447 milliards d’euros (ce qui semble irréaliste). L’Etat assurerait 1 milliard de financement, les collectivités territoriales seraient appelées à hauteur de 785 millions (finançant ainsi une politique nationale au moment où l’Etat les étrangle par ailleurs) , l’Europe moins de 450 millions. L’autre partie devrait être prise en charge par un consortium privé à l’issue d’un dialogue compétitif qui n’est pas encore lancé.

Deux majors du BTP (Bouygues et Vinci) se seraient positionnées et seraient délégataires pour l’exploitation. Celle-ci serait à faible risque pour l’exploitant puisque l’Etat s’engage à verser une subvention d’équilibre sur l’exploitation qui garantira une rente à l’opérateur choisi, et laisse envisager un beau chèque annuel de l’Etat s’il s’avère que le canal est déficitaire. Il n’y aura pas de petits actionnaires lésés comme pour Eurotunnel, c’est chaque contribuable français qui va cotiser après 2012.

L’ eau.

Elle est vitale pour les populations et pour l’agriculture dans les zones traversées? elle est indispensable pour la pérennité des zones naturelles humides qui sont de grands réservoirs de biodiversité. En absorbant 20 millions de m3 d’eau, puis plusieurs millions de m3 par an en usage régulier puisés dans l’Oise et dans l’Aisne, ce canal aurait des conséquences inévitables et dommageables sur le bassin versant de l’Oise. Pire, aucun système de redevance ne permettra d’en limiter l’usage ou de financer des contreparties écologiques.

Le modèle économique et de transports.

Relié aux grands ports européens, le Canal serait avant tout un axe de pénétration pour les marchandises volumineuses et lentes. De facto, il ne concurrence pas la route, sa flexibilité et le flux-tendu, mais le rail, alors même que le fret ferroviaire est déjà mal en point.

Ce contournement de la problématique ferroviaire conduit à inventer des plate-forme multimodales sans RFF comme si le Fret fluvial allait concurrencer, à lui tout seul, les flottes de poids lourds européens qui sillonnent l’Autoroute A1. Les milliards promis au Canal inutile vont manquer pour le développement du fret ferrovaire sur l’axe Nord-Sud où le report modal de marchandises pourrait être bien supérieur pour un coût équivalent.


L’emploi et les faux chiffres.

Parmi tous les chiffres dopés à la gonflette sur le canal par les bons soins de VNF (500.000 camions par an, 550.000 tonnes de CO2? on se pince !), attardons-nous un instant sur les chiffres sur l’emploi qui laissent évidemment perplexes : 25.000 emplois sont promis autour du canal sur la logistique.

Comparons avec le port du Havre : 16.000 emplois (entreposage compris) pour 80 millions de tonnes de fret par an. Avec un objectif de 14 millions de tonnes affichés en 2020 et 25 millions en 2050, le ratio est évidemment surréaliste. Ce pourrait être juste de la mauvaise foi, mais cela nourrit de faux espoirs dans une région qui est réellement frappée directement par le chômage. Mais comme tous les chiffres utilisés par VNF sont en explosion croissante depuis le dépôt du dossier, nous ne sommes plus à un mauvais procédé près pour faire prendre des vessies pour des lanternes.

Enfin, le Canal Seine Nord va balafrer une région la Picardie, sur 80 km en dehors de ses principales zones de production et de chalandise. Comme l’A1 et le TGV qui passent tous deux en plein champ, le Canal vient déstructurer un territoire, qui sera néanmoins sollicité pour payer moult aménagements et réparations.

Questions autour d’un projet : le Canal Seine-Nord

Nous allons tout entendre à propos de ce Canal : développement économique, partenariat public-privé et, bien sûr, « développement durable ». Les grands mots ! Mais il faudra, avant toute chose, sortir le porte-monnaie. Car non seulement les vertus de cette infrastructure sont illusoires, mais le creusement du canal risque d’être aussi celui du déficit de l’Etat. Mais, peut-être, tous les « coûts » sont-ils permis un an avant la présidentielle.

Le Canal Seine Nord, Qu’est-ce que c’est ?

C’est un projet de nouveau canal à grand gabarit de 106 km entre Cambrai et Noyon destiné à faire passer des péniches de 4.400 tonnes, ce qui implique une envergure importante et surtout des ouvrages d’art colossaux. Il s’agit de construire ce canal dans une zone dite « inter-bassin », ce qui signifie qu’il faut creuser et importer de l’eau à des endroits où les cours d’eaux navigables naturellement ne sont pas reliés. L’objectif d’un canal à grand gabarit est de constituer l’Hinterland ([Hinterland : zone d’attraction et d’influence économique d’un port)] de grands ports pour assurer la liaison des marchandises importées vers l’intérieur du continent. Ce sont ici les ports d’Europe du Nord, tels Anvers et Rotterdam, qui sont concernés au premier chef, avec en arrière-plan les chaines de production de l’atelier du monde en Asie.

Questions sans réponses

Depuis des années, les nombreuses questions soulevées à propos de ce canal restent sans réponse. Une forme de dogmatisme aveugle conduit VNF ([Voies navigables de France : maître d’ouvrage du projet)] – présidé par un député UMP dont la circonscription est traversée par le projet ? à défendre ce projet contre tout bon sens.

Or le Canal Seine Nord va coûter cher au contribuable français. Tout laisse penser que l’investissement initial devrait dépasser cinq milliard d’euros. D’autant plus que le gouvernement s’est engagé à assumer financièrement le risque financier lié au trafic. En clair, si le canal est un bide, le contribuable paiera sa rente à Vinci ou Bouygues. Au moment où ce dernier peine à investir 15 milliards par an sur l’ensemble du territoire national, tous projets confondus, dans un contexte de crise économique sévère, ce n’est pas une paille. Ce choix, a priori sympathique, (« le fluvial, c’est du développement durable ») mérite donc qu’on aille un peu au delà des symboles.

La gestion de l’eau : privé profiteur versus public myope?

Le récent rapport public du Conseil d’Etat ([CE, 2010)] est un document de référence qui restitue l’intelligence du droit sur le long terme c’est-à-dire dans la perspective de la gestion à long terme de la ressource.

Le modèle français des années 60 est confronté à un éclatement du droit et la convergence d’une nouvelle donne écologique, sociale, financière de nature à le repenser.

Complexité du droit français

Il met en évidence l’imbrication des différents niveaux de gouvernance (local, national, communautaire?), l’extrême complexité du droit qui en résulte et la remise en cause du « modèle français » issu des années 60([ Le rapport mesure ainsi l’écart entre un modèle « de gestion intégrée par bassin versant », parfait sur le papier et son faible degré d’application dans la pratique.)].

Si la France a abouti à un raccordement général des populations et à une généralisation de l’assainissement dés le 19e siècle, le rapport rappelle qu’il s’agit encore d’un objectif international. A l’inverse, la balkanisation du droit et les ruptures récentes risque de rendre plus difficile aux opérateurs nationaux l’atteinte des objectifs des Directives Européennes (DCE) à l’horizon 2015.

Le faux problème du prix

Si les causes de l’évolution du prix de l’eau sont globalement bien identifiées, (dégradation de la qualité de la ressource, effet du relèvement des normes communautaires, augmentation du taux d’assainissement, adjonction sur la facture d’eau potable de prélèvements qui ne concernent pas la distribution d’eau potable?) il est aujourd’hui avéré que la Loi Sapin et la concurrence qu’elle a introduite a eu des effets positifs sur leur modération.

Par contre, la question de la tarification sociale, de l’aide préventive en amont des coupures ou de la prise en charge de l’accès de l’eau (en partenariat avec les associations) des personnes SDF n’a pas de débouchés satisfaisant et le Conseil d’Etat formule à ce niveau des préconisations intéressantes saluées par Emaûs ([La Fondation préconise un plafonnement de la facture d’eau par rapport au revenu.)].

Le vrai problème de la réversibilité des contrats occulté par le débat public versus privé

Dans son analyse extrêmement fouillée, le Conseil d’Etat (CE) bouscule les idées reçues sur une gestion publique plus vertueuse et pointe à ce niveau le rapprochement des prix et les mauvaises performances y compris en termes de transparence et d’évaluation des petites régies.

Le problème occulté par ce « débat » relève des conditions de réversibilité des contrats qu’il convient de faciliter afin de mieux suivre la gestion au niveau des territoires. Plus que d’idéologie, la question des modes de gestion de l’eau a besoin d’évaluation du service public qui fait parfois défaut dans les modes publics ou délégués (privés).

Or, et c’est encore trop fréquent dans les modes publics de gestion, les élus focalisent trop souvent sur « le petit cycle de l’eau » et délaissent les questions de la gestion de la ressource à long terme, sous-investissent dans l’assainissement ou le renouvellement de leurs réseaux. Le secteur privé provisionne plus souvent ces risques mais joue de l’opacité dans le calcul de ces charges dont sont issus des bénéfices indus. A ce stade, on oublie trop souvent que même délégué, le contrôle du service public relève des collectivités qui de fait préfèrent dans un certain nombre de cas remunicipaliser en anticipant peut être sur une hypothétique amélioration.

Au final, le secteur souffre davantage d’une trop grande concentration, certes. Mais cela n’est pas en opposant le « tout public » que la gestion intègrera mieux les préoccupations citoyennes : l’exemple d’Electricité de France (EDF) révèle comment on s’est éloigné des exigences issues de la libération. L’émergence d’une vraie concurrence, privée mais aussi publique voire coopérative, est une piste pour nous sortir du modèle parfois corrupteur si souvent décrié.

La question du « grand cycle de l’eau »

Le « grand cycle de l’eau » étendu y compris aux problématiques du réchauffement climatique ou du financement des plans d’inondation et de lutte contre les pollutions, n’est pas en l’état organisé. On irrigue, on puise pour produire de l’énergie, on pollue avec des engrais sans que le coût ne soit facturé et donc, que la ressource soit gérée de manière durable.

La mise en ?uvre des nouvelles normes d’épuration et de qualité ; l’amélioration de l’hydromorphologie des cours d’eau ; la concentration de la population en zone littorale et l’interface entre eaux douce et marine du fait des rejets urbains en zone littorale sont autant d’enjeux dont le Comité national de l’eau doit se saisir. Modélisation de la ressource et projections financières à l’appui.

A l’Etat de définir les conditions et le financement quand le local, lui, se focalise sur l’équilibre à court terme de l’exploitation.