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Un Compte Personnel d’Activité Universel et Autonome

Lors d’un entretien avec la presse, le président François Hollande a annoncé la création d’un Compte Personnel d’Activité (CPA) pour l’ensemble des français. Après le temps de la communication politique, ce fut ensuite le temps de la procédure législative. Adopté dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social, nous en savons davantage sur les contours de ce nouvel outil au service de la sécurisation des parcours professionnels. Alors qu’il n’a pas fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux, il revient à ces derniers la responsabilité de donner à vie au CPA qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2017. Il s’agira de regrouper des droits qui accompagneront les salariés tout au long de leur parcours professionnel.

Novo Ideo fait partie des think tanks consultés par Jean Pisany-Ferry, Commissaire général de France Stratégie, en charge pour le Premier Ministre de proposer les options envisageables pour la mise en place du compte personnel d’activité (CPA), dispositif inscrit à l’article 21 du projet de loi « relatif au dialogue social et à l’emploi ». Voici sa contribution sous la forme d’une « note de proposition », la première du genre de notre think tank.

Pôle social-relations sociales : Christophe Rieuze.

Un Compte Personnel d’Activité Universel et Autonome. Nos propositions.

Entreprises : les autres facteurs de blocages

Alors que les perspectives de croissance s’assombrissent et les regards se tournent vers les prévisionnistes, rares sont ceux qui interrogent les entreprises sur ce qu’il leur manque pour se développer. On gagnerait pourtant à écouter un boulanger sur les conditions à sa croissance : d’abord des clients qui peuvent et veulent acheter son pain, ensuite les ingrédients (farine, sel, eau?) et le personnel nécessaire, et enfin une liberté suffisante pour mener son activité ? par exemple des normes alimentaires qui le laissent innover. Une multinationale ne demanderait pas autre chose : une demande solide (consommation, investissements, exportations?), des facteurs de production de bon niveau (ressources humaines, matières premières, infrastructures,?) et des « catalyseurs de croissance » (réglementation adaptée, services publics aux entreprises de qualité?).

Sur tous ces éléments, des réformes sont nécessaires pour accélérer notre croissance. Mais elles donnent l’impression d’avoir été oubliées dans les plans successifs, pour de bonnes et de moins bonnes raisons. La bonne raison, c’est que le débat s’est pour le moment focalisé sur deux sujets, le financement et la monnaie, absolument critiques à court terme.

Et les mauvaises raisons ? La première tient à la difficulté du choix : par quelle partie de la demande, des facteurs de production et de la réglementation faut-il commencer ? Pour ce type de choix, les entreprises disposent de processus stratégiques bien rôdés, alors que les Etats ont vu s’affaiblir leurs capacités à planifier, ce qui les pousse à une gestion séquentielle des problèmes en fonction de l’urgence, sur laquelle les pays européens s’accordent plus facilement. Cette séquence présente une limite : les réformes importantes (éducation, marché européen du travail, innovation, transition énergétique,?) prenant du temps, il faut les engager au plus tôt ? en fait, il faudrait déjà l’avoir fait !

La deuxième mauvaise raison de l’absence des réformes dans le débat est que la crise financière offre des boucs émissaires, pas tous innocents, à la faible croissance européenne qui nous dispensent d’une analyse de ses causes profondes. Or certaines causes renvoient aux fondements du modèle de croissance européen : la concurrence et le marché unique ont permis de renforcer la productivité des secteurs qui y ont été soumis. Mais ce n’a pas été le cas pour les services publics, généralement en monopole. Or ce dernier pèse en Europe plus de 50% du PIB et régule l’autre moitié. Il ne s’agit évidemment pas de mettre en concurrence les crèches européennes, c’est l’évaluation du service et la comparaison européenne qui auraient dû jouer ce rôle. Mais les initiatives de ce type, Pisa pour l’éducation ou Shanghai pour la recherche, sont surtout venues d’ailleurs : le projet de croissance européen a oublié la moitié du PIB ! Lors des prochains plans, les Etats doivent donc assumer pleinement leur rôle de « catalyseurs de croissance », et accepter d’évaluer et de piloter leurs services en fonction de la valeur ajoutée aux usagers, citoyens ou entreprises.

La dernière mauvaise raison de l’absence du débat sur les réformes tient sans doute aux entreprises elles-mêmes. Confrontées à un contexte difficile, conscientes que seuls les Etats et la banque centrale peuvent stabiliser la situation financière, les entreprises n’ont pas exprimé leur vision de ce qui bloque leur croissance, et des solutions à ces blocages compatibles avec l’intérêt général et l’état des finances publiques. C’est ce silence que nous appelons les entreprises européennes à briser !

Tribune parue dans Les Echos le 7 aout 2012, retrouvez toutes les chroniques de Vincent Champain sur son blog.

Travailler dans le nucléaire : un métier à haut risque

SOUS LE SECRET

Peut-être à cause de son côté intimidant?: il s’agit d’un monde complexe portant sur des phénomènes à l’échelle de l’extrêmement petit, de l’atome ou du noyau comme dit son nom. Des phénomènes invisibles qu’il faut obligatoirement penser de façon abstraite?: ce monde obéit à des lois physiques éloignées de celles qui valent pour les objets de la vie quotidienne. Pourtant, des gens y travaillent qui ne sont pas tous des physiciens ni des ingénieurs? C’est sans doute aussi parce que c’est un univers mystérieux, couvert par des secrets?: à côté des formes d’exploitation civile de l’énergie atomique, il fait l’objet de possibilités d’exploitation militaires qu’on ne veut pas risquer de favoriser chez n’importe qui en en parlant trop librement. Si bien qu’une des protections efficaces contre la prolifération non maîtrisée des armes nucléaires est l’empêchement par ignorance. En fait, si la barrière de l’information a, un temps, été efficace dans cette lutte pour tenir l’atome dans les mains d’un petit nombre de puissances nationales, elle ne l’est plus aujourd’hui dans la mesure où les phénomènes à l’?uvre sont désormais bien connus et enseignés un peu partout du fait qu’ils se retrouvent dans d’autres domaines d’application. Désormais, ce n’est donc pas le savoir qui peut manquer à un pays pour se doter de l’arme nucléaire, c’est plutôt l’équipement pour mettre en ?uvre les procédés. On le voit d’ailleurs bien dans les contrôles qu’exercent les puissances nucléaires à travers l’Agence internationale de l’énergie atomique?: ils portent sur la disposition de centrifugeuses entrant dans l’enrichissement de l’uranium ou sur celle de missiles pour transporter les armes nucléaires vers leur cible.

LA QUESTION SOCIALE MISE A DISTANCE

Si l’on ne parle pas du travail dans le nucléaire, c’est peut-être surtout faute de se donner la peine d’en faire une présentation accessible et de s’intéresser à des travailleurs ordinaires de l’industrie. Cette distance, voire cette prévention face aux réalités du travail, ne valent pas que pour le secteur nucléaire. Il n’en va pas autrement pour une raffinerie ou une usine sidérurgique. On est finalement assez habitué à quelques images de centrales nucléaires pour illustrer une séquence du journal télévisé, avec des bâtiments sans fenêtre derrière de hauts barbelés, éventuellement agrémentés d’un travailleur en tenue blanche marchant dans un couloir bordé de tuyauteries ou assis face à un pupitre et à des écrans d’ordinateur. On s’en contente même si on ne sait rien, au fond, des astreintes que le procédé de fabrication impose aux hommes qui le servent.

Comme dans une raffinerie ou dans une usine sidérurgique, les travailleurs du nucléaire sont pris dans les contraintes propres aux industries de process, c’est-à-dire largement automatisées, gérant une production en continu, commandée à distance. La forme du travail n’est donc pas celle de la chaîne de montage automobile ni de l’atelier de confection, réclamant des interventions humaines directes et permanentes sur la matière. C’est plutôt la surveillance vigilante qui caractérise l’exploitation des procédés?: le suivi des protocoles de fabrication et la ronde de vérification.
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Dans les installations nucléaires on trouve beaucoup de tuyauteries et de pompes, beaucoup de grues et de ponts roulants? Mais là, petite particularité, la fuite, éventuellement inflammable, ou l’explosion ne sont pas les seules difficultés de manipulation à redouter. Il faut aussi tenir compte de la radioactivité des substances en jeu, un phénomène qui les fait se transformer sans cesse et émettre des rayonnements ayant des effets dommageables sur l’homme à chaque transformation. La parade la plus fréquente à ces nuisances spécifiques est l’interposition d’écrans de protection et la commande à distance des procédés. Mais on imagine bien que les installations industrielles en question réclament un minimum d’interventions pour maintenance, voire pour procéder à des modifications. Cela suppose de s’approcher, donc de s’affranchir des blindages qui enserrent les procédés, et d’organiser ces interventions de telle sorte que les dommages à l’homme restent faibles, dans les limites de ce qu’on sait que le corps humain supporte.
(?)
On imagine qu’exercer un métier industriel dans cet univers de dangers radiologiques, que ce soit pour «?exploiter?» à distance les procédés automatisés ou pour intervenir dessus au plus près dans des opérations de maintenance, doit supposer de se soumettre à quantité de règles pour ne pas s’exposer à trop d’irradiations sans contact, à trop de contamination ni à des concentrations critiques de matières radioactives.

Rendre compte du travail dans cet univers pourrait ainsi consister à dresser la liste, impressionnante, des prescriptions censées encadrer les différentes activités.

DANS LE MAQUIS DES REGLES

Ce serait se ranger implicitement derrière la thèse ??très diffusée chez les cadres des industries à risques?? qui veut que la sécurité des travailleurs et la sûreté des installations reposent sur une bonne formulation des modes opératoires et sur leur respect inconditionnel. Avec pour corollaire que tout incident tiendrait à un manquement aux règles, imputable aux faiblesses de l’esprit humain?: ce qu’on désigne souvent sous l’expression d’«?erreur humaine?». A l’épreuve des réalités du travail industriel, les chercheurs en sciences sociales ont montré que cette perspective est souvent un peu courte, que les règles ne sont pas toujours simples à respecter parce qu’elles sont peu réalistes, parce qu’elles sont contradictoires entre elles, quand elles ne sont pas simplement manquantes, certaines configurations rencontrées n’ayant pas été anticipées.

Pour en prendre la mesure, on peut examiner des configurations d’interactions ayant abouti à des incidents et en retracer les enchaînements. Ce sera à la fois l’occasion de présenter le travail dans le nucléaire comme pris dans une organisation, dans une division des tâches et des spécialisations, et l’occasion de justifier de procéder à son investigation par observation directe de la part du sociologue, pour dépasser certaines difficultés dans sa connaissance, qui ne saurait se réduire à celle des règles encadrant le travail.

(extraits, «?Chapitre 1?», pp. 27-29 puis pp. 32-33)

Enquête au c?ur d’un site à risques
de Pierre Fournier
232?pages – 23,50? ?En librairie le 18 avril 2012

Ces extraits sont issus de l’ouvrage de Pierre Fournier. Pour aller plus loin, son blog :

« Sans en faire un argument en faveur de son irréversibilité, il faut rappeler une spécificité technique de cet univers?: que le secteur continue à se développer ou qu’on décide de sa réduction, il est exclu qu’on cesse d’y travailler avant très longtemps. (?) La question du travail est donc durablement prégnante pour envisager l’avenir de cette industrie, quel qu’il soit. »
(Travailler dans le nucléaire, Conclusion, p. 218-219)

« N’est-il pas surprenant que les risques sanitaires et environnementaux qui sont associés à l’industrie nucléaire n’apparaissent dans le débat public qu’à propos des populations environnantes, comme à Tchernobyl et à Fukushima, et que les travailleurs qui les affrontent quotidiennement soient laissés hors champ ? »
(Travailler dans le nucléaire, Introduction, p. 10)

Remplacer les machines par les hommes (2)

Le coût relatif de la main d’?uvre pose deux questions

D’abord, celui de l’assiette des cotisations sociales : une grande partie de nos prestations sociales sont relativement bon marché (les dépenses de santé français en % du PIB sont très inférieures à celles des USA, pour une efficacité bien meilleure) mais elles pèsent sur une mauvaise assiette ? les salaires. La solution est simple : faire peser le financement de la santé sur d’autres contributions (le budget général, par exemple, ce qui revient à faire peser ce financement sur la première de ses recettes, à savoir la TVA). Ensuite, l’écart relativement modeste entre les salaires les plus bas et les salaires les plus hauts (donc le SMIC est la principale explication) : la faiblesse de cette écart n’est pas un problème en soi (plusieurs études tendent au contraire à montrer qu’une société trop inégalitaire est moins heureuse), mais les outils utilisés pour réduire ces écarts tendent à peser sur l’emploi peu qualifié.

Il existe deux solutions : faire employer massivement les personnes en bas de l’échelle des salaires par l’Etat (cas Danois, via les emplois de service à la personne et d’accueil des enfants), ou subventionner les emplois à bas salaire (qui est l’une des raisons d’être de la prime pour l’emploi) ? et sans doute un mélange des deux si l’on veut éviter de concentrer les personnels les moins qualifiés dans le secteur public et leur permettre, via la promotion interne, d’évoluer dans le secteur privé. Il existe des exemples de caissière passées responsables d’équipes de caissières puis chef de rayon, puis responsables de magasin : s’il n’y avait plus de caissière, le critère du diplôme empêcherait ces personnes d’arriver à de tels postes.

la tendance française à un management « froid »

Plus axé sur la technique que sur l’entraînement et la motivation des hommes et des femmes ? renvoie à des causes multiples, et profondément ancrées dans notre société. Un peu comme si le recrutement devait constituer la dernière solution à chaque problème, malgré les discours lancinants sur le thème « la véritable richesse de cette entreprises, ce sont les hommes ». Cette tendance culturelle est évidemment liée aux précédentes : si l’embauche de salariés est complexe et coûte cher, il est normal que se créent des habitudes qui tiennent compte de cet état des lieux, même une fois qu’il cesse d’être vrai. Ainsi les entreprises surestiment-elles encore massivement le niveau des charges au niveau du SMIC (de l’ordre de 20 % après allégements) : malgré un niveau de charges désormais modeste au niveau du SMIC du fait des exonérations de cotisations sociales, les entreprises raisonnent encore comme si les charges étaient élevées !

Remplacer les hommes par les machines

Les syndicats et une partie de la classe politique ont dénoncé les caisses automatiques, mise en place par plusieurs supermarchés. En permettant aux clients d’enregistrer eux-mêmes leurs achats, ces caisses menaceraient 80.000 à 200.000 emplois de caissières, selon les organisations syndicales.

De la même façon, les cinémas UGC permettent à leur client d’acheter leurs billets directement sur des automates. La SNCF a emprunté la même voie en orientant ses clients vers les automates (essayez d’obtenir un billet en moins de 20 minutes aux heures de pointes en passant par le guichet !). Cette évolution traduit plusieurs tendances :

– d’abord, l’évolution des métiers : il n’y a plus de poinçonneurs des lilas, remplacés par des automates dans tous les pays développés. De la même façon, les métiers les plus mécaniques sont appelés à être remplacés ;

– ensuite, le coût relatif de la main d’?uvre peu qualifiée dans les services, qui conduit les entreprises française à remplacer une partie de cette main d’?uvre par des investissements([ sur ce sujet, voir l’étude de Thomas Piketty publiée dans Economie et Statistique n?318)] ;

– plus généralement, une tendance française à traiter les salariés comme des machines, et si possible à remplacer les seconds par les premiers (cf les développements sur ce thème dans « Pour une sécurisation des parcours professionnels »).


Les deux dernières tendances relèvent de facteurs purement nationaux, et appellent donc à des solutions locales…