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2,01 enfants par femme, et après ?

« La France, bientôt championne d’Europe » entend-on en boucle sur les ondes. On se rapprocherait de l’Irlande qui est à 2,09 enfants par femme.

Moi, je n’aime pas trop ces fanfaronnades, parce qu’un enfant, ce n’est pas qu’un pourcentage, et une femme, ce n’est pas qu’un corps qui sert à engendrer.

Et puis, si l’INSE pointe que l’âge moyen de la maternité est de 30 ans, pour ma part, je pointe que 30 ans, c’est aussi l’âge où les femmes sont insérées dans le monde du travail.

Or, si nous estimons qu’il faut encourager les femmes à ne pas déserter le marché du travail, sous peine d’aggraver les inégalités professionnelles, la question de l’accueil de la petite enfance prend toute son importance.

Alors, qui va garder les enfants ?

Selon les rapports, il manque de 300 000 à 400 000 places pour l’accueil des tout-petits. ([Rapport Tabarot juillet 2008)]

Le gouvernement claironne depuis 2009 son projet de création de 200 000 places d’accueil, 100 000 en accueil collectif et 100 000 en individuel. Or la ([CNAF Caisse nationale des allocations familiales)] n’’a inscrit le financement que de 30 000 nouvelles places en accueil collectif dans la convention d’objectifs et de gestion pour les années 2009-2012.

Pour ce qui est des crèches, on va donc recourir à l’amélioration du taux d’occupation, ce qui n’est pas une aberration en soi. A condition que ni les enfants, ni les familles, ni les professionnel-les n’en paient le prix cher. Or, le plus souvent, améliorer le taux d’occupation d’une structure collective type crèche, revient à faire partager la même place par 2 enfants à des horaires différents. Des enfants accueillis à mi-temps, pour des familles obligées à travailler à temps-partiel.

Quant à l’augmentation des places en individuel
, elle va dépendre bien sûr de l’augmentation du nombre d’enfants accueillis par les assistantes maternelles. Passer d’un agrément de 3 à 4 enfants, est-ce bien raisonnable, si l’on envisage le bien être de l’enfant et la qualité de son accueil ? Les profesionnel-les de la Petite Enfance réuni-es dans le collectif « Pas de bébés à la consigne » en doutent fort.

Les Maisons d’Assistantes Maternelles, prévues par la loi adoptée le 9 juin dernier, actent l’assouplissement des normes et la déréglementation concernant les structures collectives. De fait, ces MAM ressemblent à des crèches au rabais : structures collectives pouvant accueillir 16 enfants pour 4 assistantes maternelles, elles ne bénéficient ni de l’aménagement, ni des moyens, ni du haut niveau de qualification de l’encadrement en vigueur dans les crèches déclarées comme telles.

Alors certes, le taux de natalité augmente, mais la question de la qualité de l’accueil de la Petite Enfance demeure.

Pour une instance indépendante défenseur des enfants

L’institution du défenseur des enfants a été créée par la loi du 6 mars 2000 comme autorité indépendante. Claire Brisset puis Dominique Versini depuis trois ans, ont assuré la fonction de Défenseure des Enfants. 20.000 enfants ont bénéficié directement des services de cette institution. Sa mission est de veiller à ce que le Droit des enfants soit respecté en France, et de défendre ce droit. Or, supprimer cette institution indépendante, en diluant ses missions au sein d’une nouvelle instance non spécifique pour les enfants, « un défenseur des droits », et en limitant ses objectifs, consiste à en faire une instance entièrement contrôlée par le pouvoir politique.

Cela ne rappelle-t-il pas les questions déjà posées sur l’indépendance de la justice déjà écornée en France par le statut des procureurs qui dépendent du pouvoir politique ?

Une spécificité remise en question

La spécificité aussi du droit des mineurs est remise en question de façon insidieuse : menaces répétées de disparition de la juridiction des mineurs, tentative d’abaisser l’âge de la majorité pénale et de ne plus se référer à l’ordonnance de 1945 sur le primat du préventif et de l’éducatif et non du répressif.

Quelle est donc la fonction pour le gouvernement de vouloir contrôler aussi l’institution du défenseur des enfants en la rendant dépendante de son pouvoir ?

Défendre les droits fondamentaux des enfants en France met en cause la politique actuelle du gouvernement qui ne les respecte pas dans leur intégralité. Citons ainsi :

* détention possible des enfants dans les centres de rétention
* conditions indécentes d’accueil des mineurs isolés étrangers.
* Accès aux soins et à la scolarisation non réalisé de fait pour tous les enfants vivant sur le territoire français
* Instrumentalisation des pratiques médicales telle les tests ADN

Nous le savons, sur tous ces sujets, Dominique Versini était intervenue en faveur du respect des droits de tous les enfants.

Pour la première fois, une consultation des jeunes « La parole aux jeunes » sur l’ensemble de la France, a été organisée par la défenseure des enfants. Elle s’est mobilisée avec toute son équipe, la participation de professionnel-les de l’enfance, d’associations, de bénévoles, des jeunes ambassadeurs civils volontaires, à partir d’une méthodologie rigoureuse, pour permettre aux adolescent-es de faire des propositions. Des thèmes fondamentaux pour eux-mêmes et notre société ont été choisis : famille, éducation, santé, justice, handicap, précarité…

Le 20 novembre 2009, date anniversaire de la convention internationale de l’enfant, Dominique Versini organise à la Sorbonne, un grand rassemblement où les jeunes présenteront leurs propositions aux parlementaires et au Président de la République.

Cette démarche de donner la parole aux jeunes, fait-elle peur ?

Peur de la jeunesse?

Que penser d’une société ou plutôt d’un gouvernement qui aurait peur de sa jeunesse ?

Pouvons-nous considérer l’enfant autrement que comme un risque de menace future pour la société, et le voir, le percevoir comme une ressource pour notre société, comme l’avenir de notre société. C’est déjà ce questionnement que nous avions posé après le dépistage proposé des troubles du comportement des jeunes enfants que le Président voulait voir figurer sur le carnet de santé de l’enfant, à partir des recommandations d’une expertise Inserm sur les troubles des conduites paru en septembre 2005.

Rappelons que le Comité national d’éthique s’était opposé à cette démarche.

Une pétition sur le net de plus de 200 000 signatures et un mouvement « pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans » avaient aussi demandé la non-application de cette recommandation, ce qui fut obtenu.

Dénonçons aussi la maltraitance institutionnelle faite à la Défenseure des enfants et à toute son équipe, par le gouvernement :

Elle n’a été « à aucun moment ni consultée ni auditionnée, malgré les demandes de rendez-vous qu’elle a formulées auprès de l’exécutif ».Quid de l’énorme travail effectué et de ses projet en cours ? Cette instance n’est pas un gadget, son personnel et les intérêts défendus méritent une toute autre considération. L’institution du Défenseur des enfants comprend 28 permanent-es, 60 correspondant-es territoriaux et 34 jeunes ambassadeurs volontaires effectuant leur service civil.

Rappelons aussi l’importance de soutenir le droit des enfants au niveau international :

Des enfants travaillent encore dans de nombreux pays, certains sont utilisés comme enfants soldats, alors que la C.I.D.E l’interdit.

Le comité des droits de l’enfant des Nations unies, dans son rapport du 22 juin 2009, demande au gouvernement de continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants. Au niveau européen, un réseau de 35 Défenseur-es est mis en place et Dominique Versini doit en assurer la présidence.

A un moment où les crises économique et écologique touchent de plein fouet les familles, les droits fondamentaux et spécifiques des enfants sont atteints par ricochet et nous demandent une grande vigilance.

Dominique Brengard,
psychiatre, thérapeute familiale,
médecin-chef du pôle de pédopsychiatrie
des 9e et 10e arrondissements de Paris,
membre d’Europe Ecologie-Les Verts.

Jean-Claude Tchicaya,
ancien adjoint au maire de Bagneux
chargé de la jeunesse,
praticien-chercheur Hautes études en pratiques sociales
intervenant à L’Association pour la promotion
de la citoyenneté des enfants et des jeunes.