A Paris, mobilités dans le brouillard

En 2014, l’actuelle maire de Paris s’engage pour “une ville plus agréable à vivre”. Qu’en est-il cinq ans plus tard ? Les réalisations de la Ville de Paris sont-elles à la hauteur des objectifs écologiques affichés et des enjeux climatiques ? 

Sur les grands thèmes, Novo Ideo a confronté les ambitions de la municipalité sortante aux concrétisations sur la mandature écoulée. Il s’agit de notre #ECOLOBAROMETRE. Notre état des lieux est assorti pour chaque item de “cartons” (vert, orange, rouge). A l’image des diagnostics énergétiques, ils sont représentatifs d’un existant, des jalons par rapport à ce qui reste à faire. Notre think tank propose enfin quelques pistes de travail écologiques pour Paris, en s’inspirant parfois de réussites, en France ou à l’étranger. Ce faisant, nous passerons dans notre dernier épisode les grandes listes candidates en 2020 à l’«Ecolotest».

Second épisode de notre série : les mobilités. Est-il possible de répondre aux objectifs de santé publique sans renoncer à la mobilité ?

Quelques enjeux

Le 24 octobre, après des années de mises en demeure, la Cour de Justice Européenne a condamné la France a payer plus de 11 millions d’euros d’amende pour non respect de la qualité de l’air dans les grandes agglomérations dont Paris. Elle alerte sur l’exposition aux dioxyde d’azote, gaz très toxique émis principalement par les moteurs diesels.

La lutte contre la pollution est une priorité de santé publique et la première préoccupation des français en matière d’environnement. 

Selon l’Institut de veille sanitaire, le nombre de morts supplémentaires lié à l’ozone était évalué à 500 en 2016. Airparif souligne que la qualité de l’air s’améliore globalement à Paris, « les concentrations de particules (PM 10) et de dioxyde d’azote (NO2) restent problématiques » mais le polluant le plus inquiétant est l’Ozone, le seul en augmentation, il provient de la réaction chimique d’autres polluants entre eux sous l’action des rayons UV. 

Selon cet organisme, la pollution concerne également le métro : « les quais des stations Franklin-Roosevelt, Châtelet et Auber, 50 % des concentrations de particules PM10 sont supérieures à 100 g/m3 quand les seuils de recommandation de l’OMS sont inférieurs à 10 ».

Selon Bruit Paris, près de 66 000 “années de vie en bonne santé” seraient ainsi perdues chaque année en lien avec les nuisances sonores des transports.

Notre appréciation générale sur la gestion des mobilités à Paris : carton ORANGE


Le développement des mobilités douces est partiellement accompagné des réseaux sécurisés nécessaires, d’une offre de transport alternative « intelligente », et manque de régulations pour décloisonner les offres entre elles
Éléments de bilan


Le plan vélo, réalisé au tiers, aura vu la réalisation de deux axes est-ouest, rive gauche rue de Rivoli et rive droite sur les quais

Comme les mandats de Delanoë avaient été ceux du retour du tramway et la création des voies de bus, celui d’Hidalgo aura été celui d’une relative stagnation et la capitalisation des acquis des mandats précédents. L’arrivée du Vélib première génération a permis de (re)découvrir le cyclisme urbain avec des aménagements, de qualité inégale, irréguliers; ou trop peu respectés. Le mérite du Plan vélo aura été de rendre plus visible les cyclistes parisiens et de mettre au vélo des populations qui n’osaient pas (femmes, personnes âgées…), ainsi que des enfants, accompagnés ou non. Le plan vélo a également pris du retard en raison d’une mauvaise volonté de la Préfecture sur certains grands axes (avec l’exemple du boulevard du Général Leclerc qui n’est pas fait pour cause de véto préfectoral). La pratique du vélo s’accélère ces douze derniers mois après deux années de panne, les déplacements par ce moyen sont désormais deux fois plus nombreux qu’en moto ou en scooter.

Cependant, les dysfonctionnements du service (avec une division par deux en deux ans du trafic Velib) s’ajoutent à une gestion brouillonne de l’offre d’autres opérateurs privés. Elle participe de l’encombrement et de la dangerosité de l’espace public Le manque «d’aménagements cyclables pour la plupart en travaux» et «d’espaces suffisamment sécurisés» est également, selon Charles Maguin, le président de l’association Paris en Selle, facteur d’accidents. Ils ont fortement augmenté : +12,5% entre avril 2018 et avril 2019.

A Paris, 147 cyclistes blessés le premier trimestre 2019

La fermeture des voies sur berges en 2016 est la mise en œuvre d’une mesure demandée par les Verts dans la campagne de 2001. Elle est une sorte de marqueur totémique de l’alliance des Verts et du PS. Il s’agissait plus de « rendre la Seine aux parisiens » (B. Delanoë) qu’une mesure de lutte contre la pollution. Les mesures d’Airparif ont montré que la fermeture des quais de Seine a diminué la pollution au niveau des voies sur berges mais elle a augmenté la pollution d’environ 10% sur les quais hauts. La pollution s’est déplacée. Le pic de cette dégradation (jusqu’à 15%) se situe à la fin de la zone piétonne à partir du quai Henri IV puis le long du quai de Bercy. Ce qui est fâcheux car les quais bas sont peu fréquentés en dehors des week-end. Ceux qui habitent, travaillent ou se déplacent à pied se trouvent sur les quais hauts.  

 » Le surplus de temps passé au volant par an représenterait plus de 6 jours à Paris » Un fabricant de GPS

La Cour d’appel administrative estime que « l’étude d’impact (commandée par la mairie) a délibérément occulté une partie notable des incidences du projet sur les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores »

En outre, contrairement à ce qui était prévu, la piétonisation des berges n’a pas été accompagnée d’une augmentation de l’offre en transports collectif sur l’axe de Seine. Un tramway avait été promis lors de la campagne de 2014, promesse irréaliste dans un contexte d’offre déjà très diversifiée sur cet axe (RER, ligne 1, bus). Cette erreur initiale n’a pas permis d’améliorer la situation sur les quais hauts, pire, la situation sur le front de la pollution s’est dégradée. 

Comment progresser

Le développement d’un plan de circulation métropolitain intégrant les circulations actives et la place de la Seine (à rebours du parc des Rives de Seine) doit préfigurer la réflexion sur la transformation du périphérique en boulevard urbain. Quarante millions de trajets quotidiens en Ile-de-France peuvent d’ores et déjà être fluidifiés par quelques adaptations. La connexion de nos écrans pour l’achat de billets, la facturation selon les usages, des tarifications réduites sur les heures creuses peuvent redonner sûreté, vitesse et praticité. Il faut redonner de la compétitivité et de la souplesse à l’idée d’intermodalité dans un contexte de baisse des coûts de l’automobile y compris électrique, hybride ou demain, autonome. Ou nous aurons une congestion de voitures intelligentes roulant à vide. Extra-muros, il faut s’inspirer des agglomérations qui ont réussi à décupler les déplacements à pieds, en vélo, en car express ou en tramway avec des gares de transports multimodaux dotées de parkings relais, propres et sécurisés. « Du super périphérique de l’A86 jusqu’aux limites de l’actuel, ce panel d’opportunités doit libérer le cœur de la métropole, irrigué par des couronnes désencombrées« , écrivions nous dans La Croix à l’occasion de la crise des Gilets Jaunes.

Faire du vélo et du développement des infrastructures dédiées une priorité pour atteindre un objectif de 20% des déplacements en petite reine (à l’image de Strasbourg) est plus ambitieux que de « doubler » une part qui revient à passer de 2 à 4%. Les associations « Paris en selle » et « Mieux se déplacer à bicyclette » proposent un « Vélopolitain« , 170 kilomètres de pistes sécurisées en miroir du métro. Cela suppose également de prendre à bras le corps la question des deux roues motorisés générateurs de bruit et de pollution pour beaucoup de parisiens. A Londres, leur stationnement est payant ainsi qu’à Châtillon et à Vincennes, qui en tirent de bons bilans.



Le certificat qualité de l’air (CRIT’air) est un document sécurisé qui permet de classer les véhicules en fonction de leurs émissions polluantes. Apposé en évidence sur les véhicules, il est sensé être un outil de régulation lors de pics de pollution

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Dans la grande “zone de faible émission” dans laquelle elle est normalement en vigueur, l’obligation d’affichage n’est pas respectée. Il suffit de jeter un œil aux pare-brises des voitures garées à Paris pour vérifier qu’un grand nombre en est dépourvu. Le périmètre où CRIT’air s’applique est élargi, il mériterait d’être doublé dans la zone hyper-dense d’un zonage aux conditions plus restrictives. Les critères d’interdiction sont également très laxistes par rapport à des villes comme Berlin. Les verbalisations sont insuffisantes et rendent hypothétiques l’interdiction effective du Diesel à horizon 2024. A cet égard, le passage en motorisation électrique de la flotte municipale doit être généralisé et accéléré.

2%

des procès verbaux sont dressés pour faire respecter aux véhicules les normes de pollution

La plupart des centre-villes historiques des villes italiennes en sont dotés de Zones à Trafic Limité” (ZTL) au sein desquelles seules les circulations des transports publics, des services d’urgences, des riverains et des titulaires d’autorisations expresses sont autorisées tandis que celle des autres automobiles est réservée à certaines heures. Il en existe à Nantes, pourquoi pas à Paris ?

Plus tard, la voiture automatique transformera notre manière de nous déplacer, moins tournée vers la propriété et davantage sur la mutualisation des usages modélisés. Elle permettra, avec le développement des applications de services, de gagner de la place en rendant obsolète les modèles qui ont été développés par la municipalité, fondés sur une délégation longue à un opérateur unique, d’une technologie peu tournée vers les évolutions du marché. On évitera la fausse bonne idée qui imposerait cette solution technologique comme un totem face à un changement de paradigme qui s’impose. 

Quel serait il précisément ?

A Helsinki, ville la plus avancée dans le domaine de la “mobilité comme service”, avec une seule application sur son smartphone, au lieu de la demi-douzaine qu’un citadin utilise chaque semaine, un habitant peut facilement organiser ses déplacements en métro, en tramway, en bus, en vélo en libre-service, en taxi ou en voiture de location.

  • Pour 60 euros par mois, il a droit à deux allers-retours en transports en commun par jour, du vélo partagé à volonté, et l’équivalent de 10 euros de taxi
  • Pour 500 euros par mois, l’accès aux transports collectifs est illimité avec deux heures de location de voiture sans frais par jour

A Helsinki, avec une seule application sur son smartphone, un citadin utilise peut facilement organiser ses déplacements en métro, en tramway, en bus, en vélo en libre-service, en taxi ou en voiture de location.

En encourageant le design thinking, la ville pourrait se positionner comme accompagnatrice de cette révolution des usages en contraignant tous les opérateurs à ouvrir l’accès à leurs données pour pouvoir mettre en place de vrais services multimodaux et accompagner une vraie stratégie métropolitaine de machine learning. Cela éviterait la formation d’oligopoles ou de “trous de données” en cas de disparition d’opérateurs.

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Méthodologie

Notre comité scientifique est composé d’un professeur des universités, d’une architecte-urbaniste, d’un professeur et consultant paysagiste, d’un consultant sur les mobilités, de deux élus municipaux de la majorité et de l’opposition, ainsi que d’un Haut fonctionnaire. Cette enquête a fait l’objet d’un questionnaire transmis au cabinet du Premier-adjoint de la Mairie de Paris (9 septembre 2019), sans réponse. Le texte « Paris qui ose » est retenu comme base des engagements de la municipalité en 2014.