1er volet du dossier «Apparatchiks et élus professionnels: une génération Thévenoud?»
Préambule : Pourquoi s’intéresser aux moins de 40 ans ?
Le premier volet de ce dossier est consacré aux députés élus en 2012 à moins de 40 ans. Il est en effet éclairant de comprendre le profil et les origines de la nouvelle génération, afin de renseigner la dynamique de remplacement des précédentes cohortes.
Ce groupe est constitué à 86% de primo-élus : seuls 9 députés sur les 61 qui le composent siégeaient déjà sous la XIIIème législature. Méthodologiquement, il est le groupe pour lequel la compréhension de l’origine professionnelle de ses membres est la plus aisée. Telles que conçues par la HATVP, les DIA (questions 1 et 2) interrogent en effet le parcours professionnel des élus sur la période de 5 ans précédant l’élection de juin 2012, mais pas au-delà. De telle sorte que l’on ne peut renseigner avec la même précision les activités professionnelles des députés élus sous les précédentes législatures.
Enfin, le poids de ce groupe dans la XIVème législature a progressé sensiblement par rapport à 2007-2012 : en 2007, seuls 4,5% des députés avaient moins de 40 ans au moment de leur élection, contre 10,5% en 2012. Il est donc intéressant de rechercher si un processus particulier est à l’œuvre. En soi, le rajeunissement de l’Assemblée nationale est réjouissant. Reste à déterminer si l’analyse des faits confirme cet a priori.
1 .Une forte progression de la part des députés élus à moins de 40 ans
D’une législature à l’autre, le nombre de députés âgés de moins de 40 ans au moment de leur entrée à l’Assemblée est passé de 25 à 61 .
Stables chez les centristes (2), les effectifs augmentent du côté d’EELV (de 1 à 3), qui profite de la croissance globale de son groupe (de 3 à 18 députés). Les mouvements les plus significatifs se trouvent toutefois du côté de l’UMP et du PS.
La progression la plus remarquable concerne l’UMP, qui compte désormais 15 députés élus à moins de 40 ans, contre 13 précédemment. Cette croissance, numériquement peu significative, l’est beaucoup plus en termes relatifs. Les jeunes députés UMP représentent désormais 8% de leur groupe parlementaire (15/197) , contre 4,5% précédemment (13/304). Cette évolution est contre-intuitive au moment où le groupe a perdu plus de 100 députés. Dans un contexte de défaite électorale, l’ancienneté de l’implantation politique amortit généralement, dans une certaine mesure, les mouvements induits par la dynamique nationale : on aurait donc pu s’attendre à ce que le nombre et la proportion de jeunes élus diminuent pour le groupe d’opposition. Il est donc probable qu’un phénomène particulier a joué pour arriver à ce résultat (cf. infra).
En ce qui concerne le PS (groupe socialiste, républicain et citoyen), on relève une croissance substantielle des effectifs constitués par les députés élus à moins de 40 ans. Portés notamment par le contexte national favorable, ils sont désormais 38, contre 9 sous la précédente législature, soit 13% de leur groupe (38/290) contre 4,5% précédemment (9/195). Cette progression significative autorise à s’intéresser au profil des nouveaux arrivants et à tenter d’y déceler des tendances.
2. Une nette majorité de députés n’ayant pas connu l’expérience de la vie professionnelle
Plus de la moitié des jeunes députés PS ne peuvent se prévaloir de connaître réellement la vie professionnelle
L’enseignement principal de la lecture des DIA des 38 députés du groupe SRC élus à moins de 40 ans est leur distance au monde du travail.
Antérieurement à leur entrée à l’Assemblée nationale, 23 d’entre eux (soit 61%) ne font état d’aucune activité professionnelle autre que des fonctions d’assistant parlementaire, de collaborateur d’élu local ou d’élu au scrutin de liste.
61%des jeunes députés PS n’ont exercé aucune activité professionnelle
Ces profils seront désignés par la suite comme « apparatchiks » . Ils seront distingués des « élus locaux professionnels », qui partagent avec les premiers le fait de ne pas être insérés dans le monde du travail, mais qui ont déjà été élus au scrutin uninominal. Elus sur leur nom, ils ne sont pas à ce titre totalement tributaires pour leur avenir d’une décision de leur parti, ce qui les différencie des apparatchiks.
Pour la quasi-totalité de ces 23 députés, les trois dimensions de la construction de la carrière (collaborateur d’élu local, élection au scrutin de liste, assistant d’un élu national) sont tellement intriquées qu’il est difficile d’établir des statistiques séparées sur ces grandes filières. Quasiment tous l’ont été successivement, voire cumulativement.
On peut néanmoins esquisser quelques grands schémas de déroulés de carrière, sur le modèle de l’exercice pratiqué par la députée et ancienne ministre Michèle Delaunay sur son blog (pour des résultats assez proches).
« Ils ont fait sciences- po, passé ou non un concours de l’administration, regardé autour d’eux… Et finalement trouvé un poste d’attaché parlementaire ou un job dans une collectivité et, pour les plus chanceux ou les plus habiles, dans un « Cabinet ».
- l’affaire dite « Thévenoud » a contribué à médiatiser l’un d’eux : exercer les fonctions de directeur de cabinet (ou de simple collaborateur) d’une structure intercommunale tout en étant conseiller municipal de la ville centre, en devenir le vice-président lors du mandat suivant, et cumuler par ailleurs un autre mandat local (en l’espèce celui de conseiller général) ;
- le deuxième schéma consiste en un type particulier de cumul, entre l’exercice de mandats électifs (adjoint au maire et vice-président de la structure intercommunale par exemple) et des missions de collaborateurs (d’élus d’autres collectivités ou de parlementaires) ;
- le troisième schéma débute par des fonctions au sein d’organismes proches du PS (mutuelles et syndicats étudiants, organisations anti-racistes par exemple) avant de se poursuivre auprès d’élus d’envergure nationale, que ce soit au parlement ou, si la conjoncture nationale s’y prête, en cabinet ministériel.
Au total, l’analyse des parcours de ces 23 députés fait ressortir 6 élus locaux professionnels et 17 apparatchiks.
- Un constat identique peut être dressé à l’UMP
Les députés UMP élus en 2012 à moins de 40 ans sont certes moins nombreux que leurs homologues du groupe SRC, mais ils sont également une majorité (9 sur 15) à ne pas avoir connu l’expérience de la vie professionnelle.
La taille de cet échantillon est insuffisante pour déduire de sa composition des hypothèses fiables. En revanche, la comparaison des 2 groupes complets (SRC et UMP) est susceptible de fournir un certain nombre d’enseignements.
3. PS et UMP : deux moteurs bien distincts dans la promotion des jeunes députés
La comparaison à l’échelle des groupes laisse entrevoir les stratégies déployées par les deux principaux partis français pour promouvoir leurs jeunes éléments. Alors que le PS a clairement tiré profit des ressources que lui a assuré la conquête des collectivités locales de 2004 à 2014, l’UMP s’est au contraire appuyée sur la détention et l’exercice du pouvoir d’Etat pour faciliter et accélérer la trajectoire de ses jeunes membres.
L’influence qu’ont pu avoir les parcours en collectivités locales pour les 23 députés PS de profil « apparatchiks » a été détaillée précédemment. L’étude des profils des autres députés de moins de 40 ans du groupe SRC tend à confirmer l’importance des collectivités locales.
Il est en effet notable que parmi ces 15 autres députés, le profil le plus répandu (4 députés, devant les enseignants ou chargés d’enseignement) corresponde à des cadres A de la fonction publique territoriale exerçant un mandat local en parallèle de leurs missions de fonctionnaire.
La présence dans ce groupe d’un seul fonctionnaire d’Etat et l’absence de représentant des grands corps tendent à accréditer l’importance relative que revêt désormais le personnel (élus, fonctionnaires) des collectivités locales pour le PS.
A contrario la composition du groupe UMP relève quasiment du miroir inversé. Parmi les 15 députés élus à moins de 40 ans, c’est le profil des énarques sortis dans les grands corps qui est le plus répandu. L’on ne recense en revanche qu’un seul élu local professionnel, contre 3 assistants parlementaires et 2 éléments directement promus par le parti, que ce soit par l’investiture à des scrutins de liste (élections européennes en 2009 puis élections régionales en 2010) ou par la succession de fonctions au sein de cabinets ministériels.
On peut donc supposer que l’exercice du pouvoir au niveau national permet de « blanchir » un certain nombre de jeunes recrues : après un parcours au sein de l’appareil d’Etat, ils se voient investis par leur parti aux élections législatives et y reçoivent l’onction du suffrage universel, qu’ils considèrent pour la suite de leur carrière comme le sésame susceptible de faire oublier leur inexpérience du monde du travail.
Le PS, quant à lui, a été privé de telles perspectives entre 2002 et 2012. Mais il a su mobiliser l’extraordinaire levier qu’a constitué la maîtrise de la majorité des collectivités locales de 2004 à 2014. Ce levier lui a permis d’une part de confronter de jeunes éléments à la conduite des affaires publiques et d’autre part de se constituer un vivier de recrutement non négligeable.
Avec la reconquête d’une majorité des villes de plus de 10 000 habitants par l’UMP en mars 2014 et le vraisemblable basculement des départements et régions en 2015, les élections nationales de 2017 permettront de tester la robustesse de ce modèle : face à combien de jeunes socialistes formés par l’exercice du pouvoir se présenteront ces jeunes élus locaux UMP ? PS et UMP joueront-ils à front renversé en 2017 ? S’il se confirmait, ce modèle tendrait à mettre en lumière une forme d’immuabilité dans la sélection du personnel politique, au-delà des résultats produits en apparence par les différentes alternances.
4. Une nette sous représentation des députés issus du secteur marchand
S’il est en revanche une dimension où les deux grands partis du système politique français se rejoignent sans ambigüité, c’est sur la nette sous-représentation des jeunes députés issus du secteur marchand : seulement 2 pour chacun. En ce qui concerne le groupe SRC, il est notable que ses 2 représentantes – Karine Berger et Valérie Rabault – figurent parmi les parlementaires les plus actives dans le débat engagé avec le gouvernement sur la politique économique, sans pour autant se ranger du côté des « frondeurs ».
1. Pour une « Loi de respiration de la vie politique »
2. Impossibilité de cumuler dans le temps plus de deux mandats successifs
3. Création d’un statut de l’élu intégrant un fonds d’indemnisation et de reconversion
4. Accès des élus au système de Valorisation des Acquis de l’Expérience (VAE)