L’environnement : un pilier de la Green Défense

La publication du Rapport Brundtland, il y a presque 30 ans, fut l’effet d’une bombe dans la façon de penser l’avenir de notre planète, de gérer les secteurs économiques et de lier des thèmes qui semblaient jusqu’à alors totalement séparés. Développement durable et armée. Pourtant, alors que la France va accueillir, à partir du 30 novembre, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) à Paris ; le secteur de la défense, l’un des principaux acteurs mondial de la pollution ne va pas être partie prenante de cet évènement qualifié de dernière chance pour sauvegarder notre monde. Au delà, une « Green Defense » pose le constat du lien entre la dégradation socio environnementale et les conflits autant qu’elle se doit d’anticiper les risques encourus sur la sécurité. Les enjeux sont donc immenses.

Une armée « verte »?

D’un premier abord, il peut apparaître assez surréaliste de vouloir « rendre les armées plus verte ». Il est vrai que l’image du soldat défendant l’environnement est loin d’être familière. Au contraire, elle rime plus avec la destruction, au regard des traces que les multiples conflits des siècles passés, mais encore plus de ces dernières décennies, ont pu laisser sur des territoires entiers entre les pollutions au plomb (territoires d’Alsace, Lorraine suite à la Première guerre mondiale), au mercure, au défoliant chimique (agent Orange utilisés par les États-Unis sur les forêts vietnamiennes), comme la présence de munitions non explosées (Irak ou en Serbie) et sur de nombreux territoires français, puisque chaque année plusieurs tonnes de munitions sont retrouvées.

Malheureusement, l’environnement est aussi atteint en période de paix. Cette pollution est principalement issue des manœuvres militaires que cela soit par l’émission de gaz issues des véhicules en entraînement (pensez à la consommation d’un char, d’un Rafale) ou par des contaminations aux métaux lourds (plomb, cuivre, …) du fait de l’utilisation de millions de balles durant des décennies sur des champs de tirs. Mais ces pollutions de sites par l’essai d’armes conventionnelles, ne sont rien à comparer des sites où des expérimentations nucléaires militaires ont été réalisées comme dans les îles Marshall, et l’atoll de Mururoa. Certains servent toujours de zones de stockages de déchets nucléaires pour des siècles. Les conséquences environnementales et sanitaires commencent d’ailleurs à peine à être admises et traitées.

Il ne serait pas honnête de dire que différentes armées à travers le monde (dont là nôtre) n’ont pas pris conscience du lien « climat et défense ». Cependant ce lien est trop souvent observé et réfléchît sous l’angle des risques sécuritaires pour l’Etat (« invasion » de réfugiés climatiques) et non pas sous l’angle de la protection de l’environnement (donc en amont) pour éviter et diminuer ces risques sécuritaires. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans la conférence organisée par le Ministère de la défense « Climat et défense : quels enjeux ? » le 14 octobre 2015. Les efforts sur cet axe primordial existent bien évidement, mais ils restent faibles. Les armées tentent ainsi de réduire leur empreinte carbone et l’impact de leurs opérations militaires qu’elles peuvent avoir sur le climat et l’environnement. Si nous prenons le cas du Ministère de la défense, cela s’est traduit par un Brienne de l’environnement (juillet 2008) et là publication d’un rapport Développement durable. Ces mesures ont engendré des actions importantes comme la gestion des déchets, la réduction de dépenses d’énergie ou le démantèlement d’équipements selon des procédures environnementales. Et les enjeux sont de taille. Ils touchent à la double nécessité de réduire certains postes de dépenses exponentielles[1] et de mobiliser un potentiel de RD porté par un tissu dense d’entreprises incluant de nombreuses PME/PMI innovantes.

 Le ministère de la Défense doit monter au front

Malheureusement, malgré le recours accrus à des systèmes de simulateurs de vols et de conduite de chars, pour diminuer l’empreinte carbone, il faut bien constater que les actions réalisées de l’implantation de panneaux solaires, au classement « Natura 2000 » de certains sites, furent trop faibles au regard de la réalité des enjeux. À l’opposé, les industriels de ce secteur ont compris qu’il y avait un gain économique à réaliser en produisant des systèmes moins polluants ou en facilitant le démantèlement des navires contenant des matières très polluantes ; des mesures qui répondent à des normes de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). L’engagement du ministère de la défense au démantèlement de 290 000 tonnes de matériel sur la période 2009/2016 doit à ce titre être renforcé.

Le ministère de la Défense doit également tirer les enseignements de la réalité de nos menaces du XXIe siècle : par une implication directe sur les problématiques écologiques et environnementales. Les conflits en Afrique, qui poussent des milliers de personnes à fuir, comme d’un grand nombre d’Etats du Moyen-Orient ou d’Asie, sont alimentés par le manque de ressources en eau, la sècheresse et la prédation des matières premières. La protection de l’environnement doit être un nouveau pilier des missions de la défense, et doit devenir une réalité lors de ses interventions extérieures. Elle est un facteur clé de la résolution durable des crises. Nos armées doivent ainsi intégrer dans leurs méthodes d’engagement une planification écologique complète du moment ou celles-ci entrent en action jusqu’à la fin des opérations armées. Cette politique répond en outre aux carences capacitaires de nos armées dont « le juste besoin technologique » ou l’interopérabilité sont des variables de nature à renouveler le cadre conceptuel[2] et modifier l’équilibre budgétaire. Cela passe donc nécessairement par la création de nouvelles formations au sein de nos écoles d’officiers pour que nos militaires acquièrent pleinement ce postulat.

En impulsant une nouvelle branche au sein de la politique de défense de notre pays qui aura comme seul objectif de protéger et de prévenir la destruction de notre environnement, nous nous assurerons donc une meilleure sécurité. Cet engagement militaire existe d’une certaine manière déjà, puisque notre marine comme nos gendarmes par exemple protègent et surveillent une partie des zones les plus sensibles du monde face aux pêches illégales qui financent le crime organisé[3] et face au pillage aurifères dans les forêts de Guyane. D’autres armées à travers le monde réalisent des pratiques similaires permettant ainsi de réduire les conflits. Même si le degré de coopération internationale en est à ces balbutiements pour la protection de l’environnement et la promotion d’une économie bleue, celle-ci est devenue une réalité sur notre toit du monde, l’Arctique. Cette zone géopolitique et environnementale de première importance, qui est de plus en plus attractive (sur les plans économiques, diplomatiques, militaires, touristiques) voit ainsi les Etats de cette zone (tels les Etats-Unis et la Russie) mettre en œuvre des procédures commune de sécurité et de protection environnementale depuis la Déclaration de Nuuk (12 mai 2011).

D’autre part, une politique de gestion du coût des sites en amont de toute implantation militaire doit être mise en place, induisant de prévoir une politique de reconversion (tant environnementale, qu’économique). La réflexion sur l’empreinte environnementale des systèmes d’armes produits comme des moyens de transports doit aussi être pris en compte sur l’ensemble de leur cycle de vie (de sa création à son démantèlement) sous peine d’une totale incohérence. La question récurrente des navires militaires souligne la nécessité d’une organisation industrielle de cette filière. Cette réflexion permettra enfin de connaître la réalité du coût complet d’un programme militaire, comme tout produit civil et de voir quel est son impact environnemental. Le gouffre économique des atolls polynésiens actuellement en dépollution suite au programme nucléaire militaire, en est un bon exemple.

Promouvoir ce nouveau pilier pour stabiliser les conflits

La France s’est posée comme défi de réussir cette COP 21 ; exclure les « militaires » qui sont un des premiers pollueurs de la planète, les propriétaires de près de 3000 immeubles et qui doivent en être désormais les protecteurs serait donc un non sens. A l’extérieur, les conflits, trop souvent couteux se révèlent inefficaces parce que la phase de stabilisation – la plus sensible – est également la plus longue et la plus difficile. L’intégration de la question écologique au sens large procède d’une plus grande maîtrise de la reconstruction post-conflit. Elle favorise le nécessaire dépassement d’une doctrine valorisant l’avantage militaire qui annihile les coopérations européennes. Sans ennemi identifié à combattre sur le continent européen, la France peut être à l’initiative d’une meilleure prise en compte de l’effet déstabilisateur des risques climatiques. La fédération des moyens qu’elle suppose, leur rationalisation, sont des moteurs efficaces de prévention des conflits, de leur évitement et de leur règlement.

Cette contribution a été publiée dans la Revue Parlementaire sous la plume du Pdt du groupe EELV au Sénat, JV Placé, elle fait suite aux travaux de Novo Ideo sur la Défense sous la direction de Jean-Marie Collin et à une première publication en version courte le 10 Juillet sur le site de La Tribune : son blog.

[1] En l’espace d’une décennie, les dépenses de carburant du ministère de la défense sont passées de 361 millions (2003) à 566 millions d’euros (2013). (source : « annuaire statistique de la Défense 2013)

[2] « Le besoin de modération du paradigme techniciste et la réorientation des industries au besoin de la Green Defense », (source : « Livre vert de la Défense », 2015)

[3] Un préjudice mondial évalué par INTERPOL à plus de 23 milliards d’euros dont 1 milliard au détriment de la seule Afrique de l’ouest (2012)

Garder l’Euro, ajouter les Drachmes

ROME ET LES MONNAIES LOCALES

 

Loin d’être originale, la coexistence de deux ou plusieurs monnaies a été la norme pendant toute l’histoire humaine. Exemple le plus connu : Rome. L’empire avait une monnaie commune, le Sesterce, lequel coexistait avec plus d’une centaine de monnaies locales. Le Sesterce avait cours dans tout l’empire, comme l’Euro aujourd’hui, facilitant les échanges, tant commerciaux qu’administratifs (entre le pouvoir impérial et les Provinces). Le Sesterce, grâce à son universalité, servait au paiement des impôts au pouvoir central, finançant les infrastructures de l’empire (dont les fameuses voies romaines), mais aussi comme unité de comptes, et, plus prosaïquement, à la constitution de l’épargne de chacun.

En même temps, les Province et les ville majeures, surtout en Orient (En effet, d’après l’historien Gilles Bransbourg, les monnaies régionales sont surtout le fait des Provinces d’Orient, probablement en raison de la plus grande intégration de Rome, la Gaule, la Bretagne et l’Ibérie. De là à y voir un « noyau dur » équivalent à celui existant aujourd’hui en Europe à l’Allemagne et sa périphérie, il y a un pas qu’on ne franchira pas.)], émettaient une ou plusieurs monnaies locales (près de 350 au IIIème siècle AD), dont l’origine était antérieure à l’empire Romain, lequel a eu l’intelligence de les laisser perdurer. Ce faisant, Rome permettait à chaque économie de conserver une pouvoir de création monétaire propre, mais limité géographiquement. L’inflation potentielle étant circonscrite à la Province considérée, le Sesterce impérial restait stable (au moins pendant tout le Haut Empire), étalon d’un système monétaire à la fois multiple et unitaire.

FAIRE TOURNER LA PLANCHE A BILLET

 

Quel intérêt ? Tout simplement de faire « tourner la planche à billets » localement et assurer l’approvisionnement local en numéraire en fonction des besoins réels, sans dépendre du pouvoir central. De fait, ces monnaies locales, complémentaires du Sesterce, permettait aux Provinces d’apporter à leurs économies l’oxygène indispensable en cas de crise : des liquidités ciblées.

C’est exactement l’outil qui fait défaut aujourd’hui à la Grèce. Ne pouvant dévaluer sa monnaie, l’économie grecque est figée par la rigidité de l’Euro. L’austérité exigée par ses partenaires de l’Eurozone est légitime pour maintenir le rang de l’Euro, mais dévastatrice pour une économie au point mort. D’où la tentation de sortir de l’Euro et revenir à la Drachme, afin de pouvoir librement créer des liquidités, atténuer le poids de sa dette et investir pour transformer son économie.

DES DRACHMES AUX EFFETS INFLATIONNISTES CIRCONSCRITS

 

En reprenant l’exemple de Rome, la Grèce pourrait rester dans la zone Euro tout en émettant en parallèle des Drachmes régionales pour relancer son économie par la création monétaire locale. Le caractère régional permet d’éviter la confusion avec le retour à une monnaie nationale, laquelle doit rester l’Euro. Donc « des » Drachmes, une par région grecque, émises par des banques centrales régionales, fédérées par la Banque centrale nationale grecque, retrouvant un rôle de création monétaire, mais indirect, via les régions. En outre, l’intérêt de ces monnaies régionales est réduire l’impact inflationniste potentiel sur les autres membres de la zone Euro.

L’autre (immense) avantage de cette solution qui laisse perdurer l’Euro en Grèce est d’éviter la spoliation des épargnants grecs et donc la ruée inévitable vers les banques en cas de sortie de l’Euro. Car s’il est un danger réel d’une sortie de l’Euro, c’est bien celui-ci : l’assèchement des circuits bancaires, non pas seulement en Grèce, mais en Espagne, au Portugal, en Italie, en France… bref, la fin de l’Euro et du système bancaire actuel.

Concrètement ? Pour lancer quelques pistes, posons que la monnaie régionale aura cours légal uniquement dans la région d’émission. La Drachme macédonienne en Macédoine, la Drachme Athénienne à Athènes, etc., pour effectuer tous les paiements de produits et services locaux : alimentation, artisans, loyers, impôts locaux, spectacle, etc. Corollaire du cours légal régional, les commerçants et propriétaires de la région seront obligées d’accepter tout paiement effectué en Drachmes, exception faite des biens industriels directement importés sans transformation locale (tel un iPad par exemple).

MONNAIE REGIONALE, FONDANTE ET ELECTRONIQUE

 

Les Drachmes seraient fondantes, c’est à dire que leur valeur disparaît après une période de temps, par exemple 2 ans. Cette caractéristique évite la thésaurisation et oblige à sa circulation, pour irriguer l’économie locale. Ces Drachmes régionales seraient sous forme électronique, type Moneo, ce qui permet de gérer plus facilement leur caractère fondant (comme sur Skype lorsqu’on a pas utilisé son compte crédité). Enfin, leur conversion en euros ne serait ouverte qu’aux seuls commerçants (et non aux particuliers) pour les Drachmes reçues en paiement, avec une décote de 5 % (bien entendu, ces mêmes commerçants pourront utiliser ces Drachmes à valeur pleine pour payer leurs fournisseurs).

Leur émission s’effectuerait via les salaires et les traitements des fonctionnaires, lesquels seraient versés en partie en Euros et en partie en monnaie régionale, par exemple pour un quart en monnaie régionale. Une suggestion : que ce premier versement s’accompagne d’une augmentation de 25 % sur la partie payée en Drachme, afin que le message soit clair pour toutes et tous : il s’agit d’un outil de relance.

EXEMPLE

 

Prenons un fonctionnaire de Thessalonique, payé aujourd’hui 2 000 euros à titre d’exemple. Il recevra 1500 Euros et 500 Drachmes de Thessalonique majorée de 25 %, soit 625 Drachmes. Ces 625 Drachmes lui serviront à payer par exemple ses courses auprès de la coopérative des agriculteurs locaux, une sortie au Theatro Dassous et payer une partie de son loyer : bref, faire marcher l’économie locale. Et ce, en préservant la valeur de l’Euro, étalon de notre système monétaire, en lui souhaitant la même longévité que le Sesterce : cinq siècles !

Retrouvez les contributions de Franz Vasseur, Avocat à la Cour sur [son blog :

Lisbonne : la crise est-elle moins pénible au soleil ?

– Regarde au pieds du pont du 25 avril !

En contrebas, mon guide pointe ce qu’il considère comme le « Portugal d’avant ». Quelques dizaines de baraquements regroupés en une petite favela, des gosses remuants qui fuient la canicule dans une eau boueuse. En surplomb, des manufactures abandonnées, cernées par des décharges sauvages. Sur la rive de Cacilhas, la cité portuaire qui fait face à Lisbonne laisse à l’abandon des entrepôts sans occupation. Un port en perte de vitesse, des commerces à l’arrêt et une population populaire au régime sec.

A côté des débarcadères où accostent les ferrys de la capitale toute proche, même la traditionnelle table à cinq euros pour une patate-sardine ne fait plus recette. Cela ne date pourtant pas d’hier. La petite industrie s’est fait la malle avant la crise de 2009, vivement concurrencée par l’intégration des nouveaux entrants de l’Union. Rien ou presque n’a pris le relais.

QUESTIONS AUTOUR D’UNE BANQUEROUTE

Comment ce pays qui semblait bénéficier à plein des effets de l’intégration économique au début des années 2000 s’en retrouve à demander au FMI l’équivalent de la moitié de son PIB ? Ou sont passées les réalisations d’un endettement public et privé qui représente 300% de la richesse nationale ? Plus qu’ailleurs, la récession a révélé les faiblesses d’une économie fragile, dopée à l’euro.
Qu’a-t-il manqué au Portugal pour être acculé à une telle banqueroute ?
Probablement l’essentiel, analyse Joao Jarvis,, économiste doctorant à Porto. «De ne pas avoir cru en notre propre avenir. Des productions banalisées, des salaires trop élevés par rapport à d’autres pays qui comme nous ont raté le virage de la qualité et de l’économie de la connaissance ».

Il ne trouve pas beaucoup de circonstances atténuantes aux majorités successives, frappées par le discrédit quand ce n’est pas le mauvais usage de l’argent public. « On dira ce qu’on voudra, mais c’est bien la pression internationale qui a fait renoncer José Socrates (1)Le précédent premier ministre socialiste à un second aéroport lisboète ou au gouffre annoncé d’une ligne à grande vitesse reliant la capitale à Madrid. Dans le même temps, on a dilapidé les fonds européens ou on les a mal utilisé en reculant devant la modernisation d’un grand port comme Sines par exemple, très en dessous de ses potentialités. Mais le plus grand échec est probablement lié à notre jeunesse, grande sacrifiée des politiques. »

DEFICIT DE FORMATION

L’OCDE évalue le nombre des détenteurs de diplômes d’enseignement secondaire à environ 20 % des Portugais entre 25 et 64 ans, contre 70 % en moyenne dans l’ensemble des pays membres. La moitié de la population active n’a pas atteint 9 années de scolarisation. Selon un récent rapport du Sénat , « ce manque de formation n’a pas été sans incidence pour les entrepreneurs au détour des années cinquante et soixante. Ceux-ci n’ont pas su réinvestir les sommes liées à un premier décollage économique »(2)Rapport d’information n° 249 -(2010-2011) de M. Jean-François HUMBERT, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 19 janvier 2011. Le taux de prélèvement obligatoire du Portugal, proche de celui de la Grèce, est près de dix points inférieur à celui de la France. « Forcément, notre système de santé et d’éducation reflètent ces choix : nous avons dépensé trop en autoroutes et insuffisamment dans les hommes ».

La grande crise fait ici davantage de ravages. Par un phénomène brutal de substitution, la proportion d’étudiants promus serveurs de bars s’est considérablement accrue depuis 2010. Les non diplômés, la grande majorité, se trouve rejetée à la plus grande périphérie du déclassement social : gareurs de voitures, vendeurs à la sauvette, survivants des allocations sociales. Ces derniers sont amicalement poussés par les associations locales à remplir les stades vidés par la crise pour ne pas peser, dit-on, sur le moral des joueurs. Un internaute du forum des « Framboètes » (3)http://www.facebook.com/groups/framboetes/?ref=ts , des français lisboètes signale : « le centre commercial Dolce Vita Tejo voit ses boutiques fermer quasi quotidiennement faute de clientèle ». Même du côté des cadres, le parfum de la dépression vire au vinaigre. Maria, diplômée du supérieur, est chargée d’immobilier d’affaires. Elle a toujours un job en phase avec son niveau de formation et s’estime privilégiée. Pourtant, son salaire majoritairement constitué d’une part variable s’est effondré depuis deux ans. Elle aussi fait plus attention qu’avant.

Dans la tempête, quelques gagnants. Une chauffeur de taxi affirme bénéficier du changement des comportements : « les jeunes font de plus en plus de covoiturage, la crise a plutôt augmenté le nombre de mes courses mais a vidé un peu les bus », lâche-t-elle dans un grand rire.

ECONOMIE A CREDIT ET CORRUPTION

Je file en taxi sur la route des plages, à quelques minutes de Lisbonne. Par la fenêtre, défilent des maisons murées, taguées à l’encre rouge d’un « Aqui podia viver gente » (Ici pourraient vivre des gens), signées par le « Bloc des gauches », coalition de la gauche radicale. Un panneau publicitaire vante les tours partiellement occupées de « la ville du futur ». Dans un café qui longe la côté toute proche de Costa da Caparica, le patron pleure l’année précédente. Aujourd’hui, les locaux délaissent la carte des poissons pour celle des crédits à la consommation, réglant sandwichs à bon marchés, remboursés sur deux ou trois ans. Le pouvoir d’achat portugais est le plus faible des pays de la zone euro mais il a été puissamment soutenu par les banques, « plus enclines à financer les ménages que les entreprises »(4)Rapport du Sénat, Janvier 2011 .

Les discussions de la clientèle, la plupart issue des classes moyennes de Lisbonne et de ses environs, évoquent à coups de « N?o faz mal » (C’est pas grave), une forme de fatalisme qui serait propre aux portugais et une corruption galopante. L’autre soir, une coupure de courant a interrompu un grand concert de fado dans l’indifférence des organisateurs. On se repasse en boucle l’histoire des trois fonctionnaires de la ville venus contrôler la conformité de travaux intérieurs d’une maison et les moyens employés pour faire passer son dossier au dessus de la pile.

« L’EFFONDREMENT DE LISBONNE »

A la une de ce magasine spécialisé dans l’immobilier, on titre sur le délabrement d’un bâtiment sur cinq et le marché délaissé par les propriétaires. A la veille des dernières municipales, les panneaux d’autorisations de rénovation ont été accrochés à la hâte à leurs fenêtres. Depuis, rien n’est venu si ce n’est les agents de la police qui sanctionnent les chantiers « illégaux » de résidents excédés par les lenteurs municipales.

Les récentes élections législatives ont porté une majorité de centre-droit au pouvoir. Cet entrepreneur expatrié d’un grand groupe approuve « les mesures qui visent à harmoniser avec la moyenne européenne les périodes d’indemnisation de chômage », c’est-à-dire en les diminuant. Il pointe également les contrats de travail qui ne sont plus résiliables après leur période d’essai, sauf en cas de licenciement collectif ou d’une « juste cause », comme autant de freins à l’embauche. La réalité est sensiblement différente. Si la législation du travail lusitanienne fait écho à une tradition protectrice de l’Etat, acquis de la « révolution des billets », elle n’a pas empêché le développement d’un marché de l’emploi le plus dual. La création des « recibos verdes » (5)Littéralement les « reçus vert », l’équivalent de nos autoentrepreneurs réservée à l’origine pour les professions libérales, sans droit aux indemnités chômage et maladie ni aux congés, est aujourd’hui souscrit par environ 20 % de la population active. L’État portugais emploie environ 140 000 personnes sous ce régime.

IMPASSE DE LA « RIGUEUR »

En focalisant sur les éléments d’équilibre budgétaire et de « fluidification » du marché du travail, les organismes internationaux prônent une cure d’austérité la plus dure depuis 1983. Elle ajoute à la difficulté de vivre de plus de 2 millions de portugais disposant de la moitié du salaire moyen et de 3% de la population qui s’approvisionne auprès des banques alimentaires. Ce faisant, les causes profondes du mal développement portugais risquent d’enrailler toute sortie du trou noir. Dans l’ancien quartier ouvrier du Bairro Alto, les cafés branchés drainent habituellement une foule jeune, bigarrée et les touristes attirés par une authenticité encore préservée. Carlo a obtenu l’équivalent du Bac et travaille comme comptable avec une paie de près de 800 euros, proche du salaire moyen.

« Si je veux reprendre mes études même sans m’arrêter de bosser, cela sera hors de prix. Qu’ont fait nos gouvernements depuis notre entrée dans l’Union ? Ils ont endetté le pays et tout cela pourquoi? Je ne peux même pas avoir accès à un diplôme pour progresser dans mon métier sauf à davantage m’endetter »

Cette inquiétude interroge aussi bien les priorités du gouvernement portugais réduit au coups de pieds de l’âne que les capacités du fonds européen de stabilité financière, jugé trop coûteux et insuffisamment doté. Cet Eté 2011 à Lisbonne, dans le haut du classement des nouveaux « spots » des capitales européennes : un peu moins de locaux, un peu plus de touristes. Encore faut-il-être prêt à les accueillir. L’objectif de réduction drastique des déficits ne laisse que peu de marge à une politique de formation, grande oubliée des deux dernières décennies.

Notes   [ + ]

Mali : on manque de drones

La France a envoyé 2 de ses 4 drônes de type Harfang (d’origine israélienne), qui volent à 5000 m d’altitude, réaliser des missions de surveillance et de renseignement. Ceux-ci opèrent à partir du Niger. Comme le Ministre de la Défense l’a reconnu « nous manquons de drones », d’où l’obligation d’avoir une aide américaine. Ce manque de moyen vient relancer le débat sur les drones, sur la nécessité de soutenir une industrie française ou de poursuivre une coopération européenne ? Ã moins que la solution ne soit d’acheter auprès des Etats-Unis ? Les réponses arriveront certainement lors des débats et des décisions issus de la loi de programmation militaire.

EADS et Dassault cherchent en tout cas chacun à conforter leur position auprès du Ministère de la défense. Le premier est ainsi en pourparler avec le Mindef pour prolonger le contrat du drone Harfang jusqu’en 2017 (et non plus 2013). De plus, cet industriel tente de franciser le drone US Reaper, un drone qui peut être armé. Dassault, lui poursuit son objectif de produire le drone Heron TP (en collaboration avec la société israélienne IAI) ; un drone plus onéreux qui avait le soutien de l’ancien Ministre de la défense G. Longuet.

Les Etats-Unis apportent une contribution importante dans la guerre du Mali, grâce à l’envoi du drone d’observation en haute altitude Global Hawk. Le Niger va accueillir ainsi sur son territoire des drones non armés de type Predator ou Reaper. C’est la première fois que les Etats-Unis disposeront de deux bases (la première étant à Djibouti) sur le continent africain.

L’ONU vient d’ouvrir une enquête sur le recours aux drones pour éliminer des terroristes ciblés dans les opérations antiterroristes. Le juriste britannique Ben Emmerson, émissaire spécial de l’ONU pour l’antiterrorisme et les droits de l’Homme est chargé de réaliser cette mission qui porte plus précisément sur 25 attaques réalisées au Pakistan, au Yémen, en Somalie, en Afghanistan comme dans les territoires palestiniens. Des attaques qui ont été perpétrées par les Etats-Unis et Israël. Il faut remarquer que cette enquête a été mise en place « grâce » au soutien très actif de la Russie, de la Chine et du Pakistan.

Nouvelles : Turkish Aerospace Industries, vient d’annoncer la fin des essais du nouveau drone Anka. Côté israélien, Israel Aerospace travaille sur la conception de drones miniatures en forme de papillons à des fins de renseignement. Enfin Berlin a testé, durant 6 heures, début janvier son drône à haute altitude EuroHawk, issu d’une coopération entre Northrop Grumman et Cassidian, filiale d’EADS. Ce système qui assurera des missions de renseignement devrait être livré en 2016.

« Arrêtez la bombe ! » : un cri de raison

«?Arrêtez la bombe?!?»*. C’est le titre de l’ouvrage que j’ai écrit avec Paul Quilès ancien ministre de la Défense et Bernard Norlain, général d’armée aérienne. ([P. Quilès, B. Norlain, JM Collin « Arrêtez la bombe ! », Editions du Cherche Midi, 28 février 2013.)] C’est aussi le message en substance qui a été délivré ces 4 et 5 mars 2013 lors de la conférence intergouvernementale sur les?conséquences humanitaires des armes nucléaires, organisée par la Norvège, où 132 Etats étaient présents pour comprendre, évaluer et savoir comment réagir face à l’impact humanitaire immédiat d’une explosion nucléaire.

L’armement atomique est classé dans la catégorie des armes de destruction massive (tout comme les armes chimiques et biologiques), en raison de son pouvoir de destruction non discriminant (les populations civiles comme les militaires), de ses effets dans le temps, sur l’environnement et sur toute forme de vie. Cette typologie, à la différence d’une arme utilisant des explosifs classiques, en fait donc une arme particulière, son utilisation constituant une menace directe pour l’humanité et la biosphère. Ce danger a été conceptualisé en 1983 sous le nom d’hiver nucléaire?: une théorie élaborée par Richard Turco et Carl Sagan. Ils démontrent que, suite à un conflit nucléaire, l’une des conséquences serait un refroidissement radical du climat, en raison des masses de poussières soulevées dans l’atmosphère, affectant la chaîne alimentaire donc la survie de la faune, de la flore et de l’homme.

Beaucoup pensent que cette théorie n’est plus valide, car elle était fondée sur l’hypothèse d’un affrontement nucléaire mondial entre les Etats-Unis et l’URSS. Malheureusement, il n’en est rien. De récentes études et une amélioration de la modélisation climatique ont montré qu’une guerre régionale (Inde/Pakistan) aurait des conséquences tout aussi dramatiques pour l’ensemble de la planète. Devant le risque majeur, que ce type d’arme peut engendrer pour le destin de l’humanité, il est vital que les citoyens soient mis devant leurs responsabilités en acceptant d’attribuer à leur chef d’état ce «?droit du bouton nucléaire?».

Mais, pour être mis devant leur responsabilité, il est obligatoire que le dogme de la dissuasion nucléaire qui règne – depuis la mise en ?uvre de la composante nucléaire aéroportée en 1964 – soit ébranlé. Une religion d’Etat qui perdure, alors même que la Guerre Froide est terminée depuis près de 25 ans. Il faut dire que cette religion a inculqué une trinité bien étrange?: la sécurité, le prestige et le faible coût. Bien sûr, cette prière particulière à la Sainte Bombe se conclut par un Amen d’un genre étrange, celui du tabou, assurant un silence absolu face à toute opposition ou plus simplement face à toute interrogation sur la place et le rôle de cet armement non conventionnel dans la défense de la France au 21ème siècle.

Notons également que, dans cette communication doctrinale, les termes employés ont non seulement été sacralisés – renforçant une nouvelle fois le dogme? mais qu’ils sont quasi incompréhensibles pour les citoyens, qui, devant cette complexité de langage, s’en remettent obligatoirement «?aux experts?officiels ». Des experts qui, malgré les évolutions politiques, restent eux, en place. Les contre vérités sont, elles aussi, nombreuses et elles varient au fil du temps. C’est ainsi qu’hier, la dissuasion nucléaire constituait la garantie ultime du territoire, mais demain celle-ci devra être complétée par un bouclier anti-missile. Doit-on en conclure que, sans ce bouclier, nous serions en danger?? La dissuasion ne nous protègerait donc pas??

Le désarmement nucléaire est une obligation à laquelle la France s’est engagée en ratifiant (1992) le Traité de non prolifération nucléaire, comme en approuvant le document final de révision de ce traité en 2010, qui énonce que les puissances nucléaires s’engagent à « atteindre l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires ». Pour cela, elles s’engagent « à accélérer les progrès concrets sur les mesures tendant au désarmement nucléaire ». Les États-Unis et la Russie, ont les plus grands arsenaux, mais sont dans un processus de désarmement comme le démontre leurs actions et le récents discours sur l’état de l’Union du Président Obama. Les Britanniques, eux, s’interrogent sur l’avenir de leur système d’armes Trident pour des raisons d’utilité et budgétaire. Seule la Chine ne rentre pas dans cette catégorie. Notons cependant que sa doctrine nucléaire indique le principe du «?non usage en premier?» de l’arme, enfin Pékin accepte l’idée d’une Convention sur les armes nucléaires.

Notre pays a été actif dans le domaine du désarmement. Mais depuis trop d’années maintenant, il refuse de contribuer pleinement et positivement à ce processus mondial pour aller vers un monde sans armes nucléaires. D’ailleurs, cette opposition se manifeste par son refus de participer à la Conférence d’Oslo, comme par son regard négatif à l’égard des Etats qui supportent cette délégitimation de l’arme nucléaire.

Dans notre livre, nous indiquons comment la France pourrait agir concrètement pour participer à cet effort mondial. Ã travers des mesures fortes (cesser la modernisation de l’armement nucléaire, améliorer la transparence de ses arsenaux, ?) et une série d’initiatives diplomatiques (telle la promotion de l’élimination des armes nucléaires tactiques américaines d’Europe, ?). La France doit relever ce défi et ne plus être sous le joug de la bombe.

Tout comme il a été fait état pour la première fois à Oslo, de manière concrète, des conséquences pour les populations civiles de l’utilisation d’une arme nucléaire, nous souhaitons que, pour la première fois, une vaste réflexion et un débat soient lancés et s’installent durablement en France avec l’ensemble des acteurs politiques, scientifiques, universitaires et de la société civile.