Faire décoller (enfin) le « Triangle de Gonesse »
EUROPA CITY, PLUS FORT QU’EURO DISNEY
Il s’agit d’un équipement commercial à deux pas de l’aéroport, coincé entre l’A1, l’ex-N17 et la commune de Roissy. Étalé sur près de 80 hectares de terres agricoles, ce complexe commercial devrait être composé de 450 000 m2 d’activités et d’un tiers de loisirs dont une piste de ski artificielle. Pas moins de « 20 à 40 millions de visiteurs » par an selon ses promoteurs, soit autant que le Forum des Halles et deux fois plus qu’EuroDisney. On évoque entre deux prises de parole le chiffre de 4000 emplois? puis de 8000.
DES DECISIONS AU DOIGT MOUILLE
En de telles occasions, les protagonistes sont peu avares en certitudes. La plus déterminante porte sur l’équilibre du projet, pourtant lié au fait que l’Etat tienne son engagement de réaliser ici, au milieu des champs, une nouvelle station de Métro. Sans la moindre étude de marché ni la plus petite évaluation des répercussions sur les autres centres commerciaux ou le concurrent Mickey, l’argument économique est pourtant mis en avant. Il fait illusion tant le Val d’Oise, et particulièrement ses territoires les plus à l’Est, concentre les maux économiques, sanitaires et sociaux.
Plus fort taux de chômage des moins de 25 ans d’Ile de France après la Seine-Saint-Denis, classé avant-dernier pour l’espérance de vie des femmes (Données DRES 2007)] ou pour la part des plus de 15 ans sans aucun diplôme. Rien n’est épargné à ce département, pas même sa dernière place au « classement écologique 2010 » du magazine « La Vie »([Enquête 2010 de Géopopulation mixant 6 critères dont le poids de l’agriculture biologique)]. Dans ces temps de crise exacerbée, il faut même avoir un certain cran pour contester ce projet véritablement tombé du ciel. Pourtant, des zones d’activités, Gonesse en compte déjà une demi-douzaine et son taux de chômage est invariablement supérieur de 5 points par rapport à la moyenne.
Encore faudrait-il s’interroger sur les causes réelles de cette paupérisation croissante de cette frange francilienne et son absence chronique de « décollage ». Si dans le « 9-5 », près d’un salarié sur six part travailler chaque matin en Seine-Saint-Denis, c’est parce que le taux de création d’entreprises y est un des plus faible de la région et la sous-qualification de la main d’?uvre, la plus importante. Pourtant, ce département devrait bénéficier de la présence de l’aéroport mais contrairement à une idée reçue, Roissy recrute sur une aire diffuse, allant bien au-delà des frontières régionales. Son offre de travail ne correspond que faiblement aux caractéristiques des travailleurs potentiels locaux.
Justement, que fait-on pour les « locaux » ?
A Gonesse, rare commune à ne pas être intégrée dans une intercommunalité, deux sections de techniciens supérieurs (BTS) ferment au premier semestre 2011. A deux pas, à Goussainville, aucune ligne de bus régulier ne vient desservir les actifs à leur aéroport et on ne doit la réouverture du dossier du raccordement de cette commune à la future desserte « à haut niveau de service » qu’à l’intervention des élu-e-s régionaux EELV. Dans ce contexte, on ne peut être que frappé par le décalage entre ces réalités quotidiennes et cette fuite en avant dans un projet pharaonique dont ni l’équilibre économique ni ses conséquences sur les autres activités ne sont évoquées.
CRITIQUE FACILE ?
Comment sortir de l’ornière cette zone de plus en plus reléguée sans tomber dans d’hypothétiques et coûteux mirages qui, au mieux, ne feraient que déplacer les emplois en allongeant davantage les temps de trajets?
Avec la crise de la qualité de l’alimentation, on aurait tort de relativiser l’intérêt des 1000 hectares de terres agricoles « parmi les meilleures de France » ([Selon le rapport de Mars 2010 de la DDEA du Val d’Oise)] et aux portes de Paris. A l’heure des circuits courts, la dynamisation d’une agriculture de proximité dans cette Plaine de France comme sur le plateau de Saclay pourrait être couplée à un projet innovant de développement de la filière agricole rurale. C’est le sens de l’interpellation du « Collectif Pour le Triangle de Gonesse », fédérant une douzaine d’associations citoyennes et environnementales. Selon [une étude des services de la Direction de l’Equipement ([Rapport Mars 2010 commandé par l’EPA « Plaine de France »)] , les terres agricoles menacées dans le secteur représentent à l’horizon 2025 l’équivalent de la consommation de 500 000 personnes en pain pendant une année.
Plaidant pour une intervention dynamique sur ce territoire, ces experts précisent que « les franges de contact avec la population pourraient être aménagées pour être plus accueillantes pour des usages loisirs, en fleurissant des jachères et en entretenant mieux les chemins et les haies ». Des réflexions semblables peuvent s’adapter également à la zone de Tremblay, fort enclavée. Tout cela ne relève pas de rêves de doux utopistes : de nombreux exemples réussis d’un travail fondé sur un métissage entre la ruralité et le péri-urbain y sont cités.
Mais puisque l’argument des partisans d’Europa City réside dans les potentialités d’emplois de ce projet, étudions une autre piste de création. Locale et sérieuse celle-là. Un rapport du Conseil Economique et Social ([Rapport du CESR du 21 octobre 2010)] souligne la très faible densité de la démographie médicale dans ce secteur. Le Val d’Oise est, dans ce domaine également, en avant-dernière position en Ile de France pour ce qui est du nombre de médecins généralistes et spécialistes et en queue de peloton pour le nombre de dentistes pour 1000 habitants. Plus préoccupante, l’enquête ADELI 2009 pointe la dégradation de la situation pour ce qui concerne la présence des infirmiers ou des orthophonistes ([Moins de 500 infirmiers pour 1000 habitants)] .
La baisse de la population médicale est certes constatée sur toute l’Ile de France. A l’heure où 20% des infirmier-e-s formés localement quittent la région, une opportunité de développement d’un pôle de formation des métiers du sanitaire et du social à dimension régionale devrait mobiliser sur ce territoire l’ensemble des acteurs locaux (On notera d’ores et déjà une avancée dans une commune proche et également défavorisée, Villiers-le-bel, 30 000 habitants : une maison de santé pluridisciplinaire située en périmètre de ZUS a ouvert le mai 2010 comprenant 17 professionnels) .
Nul besoin d’attendre la tenue d’une promesse d’une chaîne commerciale
Dés lors, sur quels autres leviers locaux peut-on s’appuyer ?
IL EXISTE UN PLAN B POUR CES TERRITOIRES
Avec ses 2500 salariés, le nouvel hôpital de Gonesse est reconstruit à quelques dizaines de mètres de l’ancien, désormais fermé. Celui-ci, au lieu d’être cédé à des promoteurs comme cela est prévu, devrait constituer de notre point de vue le nouveau c?ur de l’agglomération et son moteur d’emplois durables. Sa surface, les locaux existants et son parc de plusieurs milliers de mètres carré sont l’occasion de recréer en c?ur de ville un centre régional d’accueil-hébergement, de formation et d’information([ La promotion d’un lieu d’accueil et d’échanges des professionnels de santé est promue par une Directive européenne (Directive 2006/123))] des métiers du sanitaire et du social.
à deux pas du futur hôpital de Gonesse qui comprendra 550 lits : il s’agit d’une occasion unique de rapprocher les personnels en formation, « d’améliorer les conditions de vie étudiantes et (de) les accompagner sur le plan social et après le début de carrière » ([Préconisation du rapport du CESR du 21 octobre 2010, « Territorialité et offre de soins », page 100)] .
En générant les synergies entre un gisement d’emploi local et le regroupement ou la création de formations dans des corps de métiers variés ? ([allant du médical pur, couvrant les professionnels du social : un IUT de carrières sociales pourrait être créé dans ce lieu répondant par ailleurs au déficit de formations BAC+2 dans le département)] , cette perspective doit détourner de la tentation de dissoudre le millier d’hectares de terres agricoles à proximité par la spéculation immobilière qu’engendrerait un complexe commercial de trop.
Il s’agit pour les décideurs locaux de changer de braquet, de réunir leurs forces sans attendre qu’un miracle fasse tomber du ciel de l’or. Sans miser sur les marchands du temple ou les hypothétiques développements qui seraient créées spontanément par des infrastructures de transports.
En s’appuyant sur les ressources agricoles existantes et en les valorisant, en facilitant des développements autour du plus gros employeur local déjà existant, il s’agit simplement de faire le pari de la libération du potentiel du territoire. Celui du développement endogène aux couleurs du Val d’Oise.