« Exploration urbaine » par Julien Foucher — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0.

Vers un « subprime » des collectivités ?

Réformer la fiscalité locale

Grand angle – Novo Ideo

PHILIPPE FREMEAUX, ÉDITORIALISTE AU MAGAZINE ALTERNATIVES ECONOMIQUES ET PRÉSIDENT DE L’INSTITUT VEBLEN POUR LES REFORMES ECONOMIQUES

Un peu d’histoire

Cette histoire ne date pas d’hier. En France comme beaucoup de grands pays industrialisés, du fait du ralentissement de la croissance économique dans les années 1970, l’ensemble des pouvoirs publics, de l’Etat aux collectivités locales, ont été confrontés à une demande croissante des dépenses publiques. Les citoyens veulent davantage de sécurité, plus d’infirmières, un environnement mieux préservé. Et dans le même temps, pour d’excellentes raisons, nous souhaitons payer moins d’impôts. Cherchez l’erreur. Une dette publique s’est progressivement accumulée jusqu’à la crise des subprimes (2007), une dette persistante qui n’engendre pas forcément une croissance suffisante pour empêcher l’effet boule de neige. Et lorsque la crise des subprimes est arrivée, la dette accumulée était déjà de 60 % privée. Cette crise, la plus violente du capitalisme depuis les années 1930, a entraîné une forte baisse de l’activité. Et cette chute a été en partie enrayée grâce au fait que l’Etat et les collectivités territoriales ont maintenu un niveau de dépenses qui sinon nous auraient entraînés un effondrement important de l’économie. Cette dette n’aurait pas crû autant si, dès 2005 avec les mesures de Dominique de Villepin puis avec les nouvelles mesures prises par Nicolas Sarkozy lors de la première année de son mandat, la fiscalité n’avait pas été fortement réduite en France. Ce qui a représenté plusieurs dizaines de milliards d’euros de pertes de recettes publiques. Lorsque François Hollande arrive à la présidence, il hérite d’une situation catastrophique (dette publique conséquente, économie entrant en récession) mais son optimisme lui a montré un infléchissement de la courbe du chômage se profiler. Le président pensait qu’il y aurait une certaine relance au niveau européen, pouvant instaurer une politique d’austérité qui à terme aurait contrôlé une dette qui était en train de dépasser le PIB. Cette espérance ne s’est pas réalisée. Le choix qui a été fait d’envoyer des signaux aux marchés financiers afin de les rassurer pour éviter un surendettement supplémentaire avec des taux d’intérêts de plus en plus conséquents.

On peut dire que la crise a été bénéfique car elle a eu pour effet de creuser les écarts de taux entre pays à grands risques et moindres risques. De fait notre charge globale aujourd’hui n’est pas très différente de ce qu’elle était dans les années 1990, qui à l’époque représentait 45% du PIB. Ce que je dis là c’est que cette politique de réduction de la dette est une politique qui a été nécessaire en l’absence de relance européenne. Et le choix d’une politique d’austérité s’est traduit par une baisse des prélèvements sur les entreprises. Tout en cherchant à réduire les déficits publics. Le choix qui a été fait en 2012 fut d’augmenter les impôts sur le revenu de manière très significative avec un effort porté sur les plus aisés. Puis un deuxième plan, avec coupes dans les dépenses. Et c’est bien ce qui nous occupe aujourd’hui.

Philippe Fremeaux

Cette politique de réduction de la dette a été nécessaire en l’absence de relance européenne

Philippe FremeauxEDITORIALISTE AU MAGAZINE ALTERNATIVES ECONOMIQUES ET PRESIDENT DE L’INSTITUT VEBLEN POUR LES REFORMES ECONOMIQUES

Pour une fiscalité locale assise sur les revenus

Jusqu’à présent, toutes les agences publiques, et pas seulement les collectivités territoriales, avaient relativement échappé à l’austérité. Au cours des dernières années il y a eu une assez vive progression des dépenses et des effectifs de personnels. Tout ceci s’explique par la décentralisation. Lorsque vous transférez le personnel d’entretien des collèges et lycées ensemble aux départements et aux régions, cela à un effet. Je ne vous fais pas la liste mais évidemment il y a plus de prérogatives qui ont été transférées aux collectivités locales qui, de fait, se sont senties une responsabilité dans la lutte contre la crise. Les collectivités territoriales représentent deux tiers de l’investissement public, ce qui représente une frange importante du chiffre d’affaires pour les entreprises du BTP par exemple. Et puis une politique d’embauche, soit en interne, soit par le biais des structures issues de l’Economie Sociale et Solidaire. Aujourd’hui nous avons 1,8 million d’emplois dans les collectivités territoriales alors que l’on n’en compte plus que 2,3 millions dans la fonction publique d’Etat. De 2002 à 2012 il y a une progression constante de 2,8% par an de l’emploi dans les collectivités locales alors que les effectifs de la fonction publique diminuaient de 1,1 % chaque année. Cela a été rendu possible par le fait que la fiscalité locale, avant 2012, est restée très dynamique. Le fait est que l’Etat aujourd’hui impose une austérité par le biais de la réduction des dotations. Le seul moyen dont l’Etat dispose pour maitriser les dépenses locales, c’est d’imposer une contrainte budgétaire globale extérieure. Ce qui, dans une situation budgétaire assez difficile, provoque l’ire de nombreux élus aujourd’hui.

Par ailleurs, la fiscalité locale archaïque renforce le fait que les communes sont attachées à une dotation importante. Or la fiscalité locale est une fiscalité archaïque que l’Etat se refuse à rénover. D’une part parce que le Sénat, assemblée représentant les collectivités, est parfois réticent à une réforme pour des raisons électorales. D’autre part parce que le principe de la taxe d’habitation est extrêmement inégalitaire. Idem pour la base de la taxe foncière. Il serait beaucoup plus logique de remplacer la taxe d’habitation par une taxe additionnelle à l’impôt sur le revenu et d’asseoir la base des taxes foncières sur la vente des terrains. Ce qui serait un critère assez objectif. Quant à la fiscalité d’entreprise, elle a été réformée avec la suppression de la taxe professionnelle (2009) et son remplacement par différentes cotisations financières des entreprises. Il est important que celles-ci demeurent élevées pour qu’elles continuent à être une ressource intéressante pour les communes et les agglomérations.

Ce qui est annoncé aujourd’hui, pour 2015 et chaque année jusqu’en 2017, c’est une baisse de 3,67 milliards d’euros des budgets des collectivités territoriales. En gros, cela correspond à 1,8 % de baisse de votre budget répétée sur 3 ans. Ce qui est tout de même substantiel.

Une des premières conséquences de la politique d’austérité est une baisse importante de l’investissement public. Baisse qui se répercutera notamment sur l’emploi, ainsi que sur le financement des services publics locaux, directs ou indirects. Sans être un libéral forcené, il est vrai qu’il y aurait sans doute des gains de productivité à dégager dans la gestion des communes. Mais ce qui va être menacé à court terme, ce n’est pas l’emploi direct, mais les emplois indirects qui risquent de souffrir, et bien évidemment les populations qui ont le moins de ressources. Toute baisse de la capacité de d’intervention publique se répercute sur ces populations.

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