Futur proche des villes moyennes
Faut-il quitter son territoire pour « réussir dans la grande ville » ? Les villes moyennes, juste équilibre entre la ville et le bourg, entre l’urbain et le naturel, seraient à l’heure climatique et du télétravail l’espace en devenir ? Réalisations d’aujourd’hui pour penser demain
Une note de Novo Ideo après la publication de sa contribution avec le mouvement Territoires De Progrès dans La Tribune sur « Le temps de la ville moyenne ».
Si les villes moyennes ne sont pas celles que l’on pense à évoquer en premier lieu lorsque l’on parle d’urbanisation, elles représentent tout de même près du quart de la population française soit environ 17 millions d’habitants.
de la population vit dans une ville moyenne
Longtemps délaissées, elles font aujourd’hui l’objet de différentes politiques publiques de revalorisation. Les évènements politiques, socio-économiques et écologiques qui frappent nos sociétés semblent de plus en plus les pousser vers le devant de la scène. Ainsi, nous nous efforcerons de considérer certains de ces évènements et politiques permettant de favoriser un mouvement de revalorisation de ces territoires moyens. Cette expression désigne notamment les territoires mêlant urbanité et ruralité. Ce ne sont ainsi pas uniquement des villes car ils combinent certaines des caractéristiques de la ville, du village et du bourg et concernent aussi les territoires ne présentant pas un tissu urbain très développé.
Le 12 juin 2020, France stratégie publiait une note d’analyse présentant l’influence du lieu d’origine sur le niveau de vie. Elle mettait en avant le rôle central que jouait le territoire d’origine sur le niveau de vie à l’âge adulte. Ainsi, cette instance de réflexion notait la place essentielle des politiques publiques prenant en compte ces enjeux afin de permettre une meilleure égalité entre les individus. Dénotant un « effet de région » particulièrement développé (inégalité de niveau de vie plus ou moins accentuée selon la région d’origine), elle alléguait toutefois du rôle des politiques publiques permettant l’inclusion des territoires défavorisés. Or, certaines de ces villes moyennes constituent, avec les zones rurales, des espaces défavorisés notamment en terme de possibilité d’emploi. Ainsi, la prise en compte de leur rôle aujourd’hui pourrait permettre une amélioration des conditions de vie des individus demain.

La fonction écosystémique des espaces verts au service de la ville
Avec la montée en puissance de la conscience écologique, la question de la prise en charge des paysages est désormais au centre de la réflexion sur la gestion des villes. Jean-Marc Bouillon, paysagiste et ancien Président de la Fédération française du paysage, au centre de ces problématiques depuis plusieurs décennies, porte ainsi un nouveau projet par le biais de son fonds de dotation Intelligence nature qui est notamment la promotion de la voiture autonome. Selon lui, celle-ci libèrera de grands espaces pouvant et devant être réutilisés pour rendre la ville plus viable grâce à une bonne gestion de ces nouveaux espaces libres.
"On pourra fournir le même niveau de mobilité avec 90% de véhicules en moins"
Se basant sur des études faites sur le sujet, il avance les chiffres selon lesquels cette voiture roulera 14H par jour contrairement aux 50 minutes en moyenne qu’elle parcourt aujourd’hui, et portera non pas 1,1 mais 3 passagers en moyenne, ce qui diminuera le besoin d’un parc automobile aussi large que celui qui existe actuellement. Partant des statistiques évoquées, il considère que l’on pourra fournir le même niveau de mobilité avec 90% de véhicules en moins. Cet espace urbain libéré qui accompagne les infrastructures routières est en réalité un espace classé domaine public, donc non cessible. Cela permettra ainsi de réutiliser ces surfaces et de créer des espaces verts qui serviront à drainer les eaux de pluies, rafraichir l’air et dépolluer les sols … La ville, trop « urbaine », pourra ainsi se reconnecter aux écosystèmes naturels. Partant du constat de la mauvaise gestion des espaces urbains, J. M. Bouillon remet en question la réponse dite technique apportée depuis plusieurs décennies aux problèmes de gestion urbaine. Il vante la réponse « naturelle » aux problèmes urbains particulièrement frappants en période de « tension » que sont les épisodes de grande pluie et ceux de fortes chaleurs. La ville d’aujourd’hui, « bitumisée », « cimentée » ne parvient pas à gérer les aléas climatiques d’année en année plus prégnants. Ainsi, réintégrer la nature en ville permettrait d’utiliser ces fonctions notamment écosystémiques au bénéfice de la gestion des villes. L’arbre pourrait ainsi devenir un véritable climatiseur urbain, tandis que le ruissellement de l’eau de pluie dans le sol permettrait d’économiser sur les infrastructures d’épuration grâce à leur rôle de régulateur hydraulique. Les problèmes d’inondation et de canicule seraient compensés voire solutionnés par une bonne gestion des espaces urbains.

« Que ce soit sur le domaine public ou privé, collecter, déplacer, stocker 1 m3 d’eau de pluie, avant de le traiter coûte entre 1 000 et 2 500€, déconnecter et infiltrer naturellement le même m3 coûte entre 150 et 300€ !
Cette prise en compte plus complète du rôle du paysage donne un sens concret à l’engagement environnemental des maitres d’ouvrage » Jean-Marc Bouillon (Takahé conseil)
Selon Jean-Marc Bouillon, la ville de demain semble donc définitivement « se construire avec le paysage » plutôt qu’en ne l’utilisant que comme un simple complément. Par ailleurs, il estime que ce changement se fera dans la décennie à venir. Or, cette période de temps couvre les durées de planification urbaine, des plans d’urbanisme. C’est la raison de la création de son fonds de dotation Intelligence nature, censé permettre la préparation intellectuelle, scientifique, législative … des élus afin d’encourager la création d’une infrastructure verte de la ville.
Dans cette construction de la ville de demain, les villes moyennes semblent être définitivement prêtes à occuper une place. Ainsi, se développent diverses politiques de valorisation urbaine notamment au sein des villes moyennes par le biais de certaines politiques publiques.
Le Havre filtre naturellement ses eaux fluviales
Un des exemples à évoquer en matière de réaménagement urbain d’une ville moyenne est celui de la ville du Havre qui depuis 2011 a entrepris une véritable transformation de son paysage urbain. Les projets de travaux se multiplient et permettent au Havre de s’affirmer comme « ville du XXIème siècle ». Celle-ci a amorcé un grand projet de réaménagement de sa principale entrée de ville prenant en compte les enjeux environnementaux et sociétaux de plus en plus prégnants dans le domaine du réaménagement urbain. La ville a débuté une transformation en profondeur de son entrée de ville en mettant de côté son image quasi autoroutière et bitumée, pour une « ambiance estuaire » appuyée par le recours à de nouveaux moyens de « circulation douce » et l’apaisement de son trafic routier. Pour cela, elle a notamment fait le pari d’un réemploi maximum des structures existantes, de l’introduction de nouveaux espaces naturels mais aussi d’une gestion des eaux de pluie rationnalisée.
Ainsi que le rappelait le Projet d’Aménagement et de Développement Durable du plan Local d’Urbanisme du Havre adopté en 2011, le but des aménagements était notamment de « proposer des solutions innovantes en matière d’environnement (dont une) gestion efficace des eaux pluviales ». Le principe de durabilité des aménagements est un des points importants de l’opération. Le projet s’est mis pour objectif de résorber les dysfonctionnements d’un système d’assainissement obsolète et d’améliorer la gestion des eaux de pluies alors renvoyées vers un réseau unitaire saturé.
C’est ainsi qu’a été décidé la mise en œuvre d’un principe alternatif de gestion des eaux pluviales sur la totalité de l’axe d’entrée de la ville. Le projet prévoit la création d’un parc accueillant notamment trois bassins plantés dont un jardin filtrant. Ceux-ci seront complétés par des mini-souterrains utilisés pour le stockage des eaux. Par ailleurs, les besoins en espaces verts, conciliant espaces de détente et bassins récupérateurs d’eaux pluviales, prendront la forme d’un « Parc des Roseaux » qui répondra à divers objectifs de traitement et de stockage des eaux, avant rejet dans une nappe phréatique ; mais aussi de biodiversité et d’offre d’un grand espace de loisir.

Les avantages apportés par un tel système seront bien visibles et ce notamment au regard des méthodes traditionnelles d’assainissement des eaux. En effet, si l’assainissement de la voie, était réalisé de façon traditionnelle, l’ensemble des eaux serait collecté dans un tuyau enterré dont la pente serait de 5 à 10 mm par mètre. Pour les 2,5km de la voie, cela signifierait qu’un tuyau conduisant l’eau d’un point A à un point B que serait le bassin de collecte de l’eau, avec une pente raisonnable y aboutirait entre 10 et 20m de profondeur (et raterait son exutoire naturel : la mer…). Un système de collecte des eaux traditionnel nécessiterait donc de réaliser soit des ouvrages de relèvements, vulnérables et consommateurs en énergies (pompes électriques notamment), soit des tuyaux dont la pente trop faible entraînerait leur colmatage, soit des aménagements présentant le plus souvent les deux inconvénients en même temps. À ces particularités viennent s’ajouter le fait que le réseau de collecte des eaux de pluies du Havre est unitaire. Ces eaux sont donc collectées en même temps que les eaux usées. Conséquemment, la station d‘épuration située en aval doit épurer des eaux sales, usées, diluées dans des eaux relativement propres (eaux de pluies). Ainsi, le projet d’urbanisme porté, prenant en compte ces contraintes par l’utilisation des fonctions écosystémiques des sols et des plantes, propose une stratégie de collecte des eaux dite « alternative », directement issue de l’analyse des contraintes et potentialités du site.
Dans ce nouveau système, les eaux de pluies suivront un chemin tout tracé : elles seront « récoltées » puis stockées dans divers bassins, au niveau du Parc des roseaux pré-évoqué et des bassins plantés. Elles seront ensuite épurées, à débit régulé par un système biologique naturel situé au niveau du Parc des roseaux que sont les jardins filtrants. Ceux-ci seront plantés de plantes de berges ou de plantes aquatiques immergées à fort pouvoir épurateur.
La station d’épuration n’a plus à traiter ces eaux
De cette manière, les eaux de pluie ainsi filtrées pourront être acheminées vers le bassin de récolte des eaux afin que la station d’épuration n’ait plus à traiter ces eaux relativement propres. Ainsi que le rappelle le plan d’urbanisme, « Chaque année, c’est ainsi environ 140 000m3 d’eau qui n’auront plus à être épurées ». Les arbres plantés autour de ces bassins et le long du chemin de récolte et de filtration des eaux seront des arbres supportant bien l’humidité du sol (aulnes, saules, peupliers). Par ailleurs, l’eau de la nappe phréatique située au niveau du parc, de qualité médiocre du fait de l’histoire du site (anciennes implantations industrielles) sera puisée par des éoliennes et ramenée au niveau du filtre à roseau. Ce dispositif permettra progressivement d’épurer les eaux de la nappe, et d’en améliorer la qualité par un processus de dépollution douce.
Ainsi, l’ensemble du processus, portera non seulement une approche environnementale de la question, mais aussi sociétale, l’environnement aménagé étant sans conteste favorable à un bien-être des habitants. Par ailleurs, la rationalisation du site permettra une économie en terme de moyens consacrés à l’épuration des eaux usés. La ville du Havre s’est donc lancée dans un véritable projet de transition écologique vers un « urbanisme vert », démontrant ainsi de la capacité d’innovation des villes moyennes.
L’agglomération roannaise et ses trames vertes et bleues
L’agglomération roannaise a entrepris depuis plusieurs années d’effectuer une transition vers un mode de gestion plus « écologique » de son territoire. Elle a adopté en 2009 puis en 2016 deux « Plan Climat Air Energie Territorial » successifs. Elle a ainsi validé un ambitieux programme de transition écologique. Ce programme comprend notamment des actions en vue de la réduction à 50% des émissions des gaz à effet de serre et d’un taux de couverture de la consommation par 50% d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. Cela lui a notamment permis d’être reconnue comme « Territoire à Energie Positive pour la Croissance Verte » par l’État et ainsi de recevoir de nouvelles subventions lui permettant d’accroître ses investissements notamment en matière de rénovation énergétique et de promotion des énergies renouvelables.
Pour atteindre ces objectifs, la ville de Roanne, englobée dans la structure intercommunale Roanne agglomération et financée par divers fonds a entrepris de grands projets d’aménagement comme l’installation d’une centrale photovoltaïque au sol et de plusieurs parcs éoliens. Elle entend par ailleurs encourager les mobilités électriques et douces ainsi que proposer des aides à la rénovation des logements, notamment en vue d’une meilleure isolation thermique et de l’installation de systèmes photovoltaïques en toiture.
L’agglomération roannaise est par ailleurs engagée dans le dispositif Contrat Vert et Bleu (CVB) qui vise à intégrer la préservation du patrimoine écologique et paysager dans le développement du territoire. C’est un outil proposé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui permet de rendre opérationnels les objectifs de préservation de l’environnement et des paysages. Ainsi, dans ce cadre a été dégagée la « Trame Verte et Bleue » propre à l’agglomération roannaise. Les trames vertes désignent un ensemble de boisements, espaces pâturés et cultivés parcourant l’agglomération tandis que les trames bleues se composent des zones humides et des cours d’eau sillonnant le territoire.
Le programme concernant la Trame Verte et Bleue prend notamment en compte le réaménagement des bords de Loire mais aussi des travaux d’adaptation des espaces naturels aux contraintes que connaît le territoire. Si l’objectif initial était principalement un embellissement de la ville censé satisfaire les habitants et favoriser l’attractivité, la question des « services rendus par la nature » commence à être de plus en plus abordée. Ainsi, ont notamment été évoqués les « services écosystémiques » que peut rendre la biodiversité au territoire. Par exemple, au sein de l’agglomération roannaise où les ilots de chaleur urbains augmentent les températures dans les centres villes, ont été mis en avant les zones humides qui jouent un rôle d’éponge, limitant non seulement les risques de feu mais aussi les risques d’inondation, épurant l’eau et favorisant le rafraichissement du centre de l’agglomération. Par ailleurs, a été favorisée l’utilisation de haies qui permet de limiter l’érosion des sols (dans une région traversée par la Loire et divers cours d’eau) et donc les risques d’inondation importants dans ce territoire, de filtrer les eaux de ruissellement ou d’abriter les cultures de l’effet du vent. Dans le cadre de la Trame Verte et Bleue, des efforts ont été faits pour permettre la conservation des espaces verts accueillants insectes pollinisateurs et oiseaux régulant la prolifération des insectes. Par ailleurs, des recherches prospectives sont en cours, en relation avec le syndicat des eaux, pour organiser une politique volontariste de gestion des eaux pluviales par un zonage des eaux de pluies et des mécanismes de filtrage et stockage naturels (tranchées drainantes, écoulement vers les espaces verts …).

La ville de Roanne a rénové la Place des promenades en centre-ville, un espace vert de 3,7 ha avec une zone humide à 3 bassins qui limite l’îlot de chaleur
Ainsi, l’agglomération a pleinement pris en compte les avantages écologique, paysager ainsi que la valeur d’usage des Trames vertes et bleues et donc l’importance de leur conservation et de leur aménagement dans l’intérêt du territoire. On peut notamment le constater dans le cadre du vaste projet d’aménagement des bords de Loire qui opte pour une démarche précautionneuse des enjeux environnementaux. On peut citer le miroir d’eau qui l’agrémentera, faisant office de rafraichisseur naturel ou l’arbre à vent qui permettra d’alimenter en électricité le système d’éclairage public alentour, ainsi que la forte végétalisation de la zone. Celle-ci a notamment été aménagée de manière à jouer un rôle de dépollueur de par sa concentration en espaces verts et en corridors hydrauliques notamment végétalisés.
Les villes moyennes disposent de l’ingénierie et des ressources nécessaires
C’est ainsi, par le biais de projets novateurs, que les villes moyennes comme Roanne ou Le Havre entendent modifier l’approche de l’urbanisme de demain. Leur statut de ville moyenne leur confère pour ce faire deux avantages fondamentaux : celui de la taille d’abord. En effet, contrairement aux grandes agglomérations où les changements sont difficiles à mettre en œuvre de par les surfaces à modifier, les villes moyennes profitent de leur surface plus réduite pour engager des projets de grande envergure. Celui des fonds ensuite. Contrairement aux « petites villes », les villes moyennes possèdent des portefeuilles notamment municipaux assez importants pour engager ce genre de projets sans atteindre trop fortement à leur trésorerie. Ainsi, c’est notamment cela qui fait dire à certains que la transition écologique se fera, en premier lieu, au travers des viles moyennes.
Analyse
Dans l’imaginaire collectif, le pavillon et la maison avec jardin sont les représentants du cadre de vie idéal. Malgré des paysages de plus en plus urbanisés et un exode rural plus que marqué depuis le XIXème siècle, demeure cette vision d’un cadre de vie « naturel » à proximité des espaces verts et avec assez d’espace pour évoluer. L’épidémie de Covid-19 n’a fait qu’ancrer plus profondément cette image dans l’esprit des gens. En témoigne le quasi « exode urbain » qu’a causé l’annonce du confinement en Mars 2020 en France et la « fuite vers la campagne » d’un grand nombre d’habitants notamment d’Île-de-France. Beaucoup ont préféré s’exiler le temps du confinement afin d’éviter d’avoir à subir les contraintes causées par la vie en agglomération en temps d’isolement.
Ainsi, couplé au mouvement de télétravail de plus en plus marqué qui a saisi les entreprises, ces évènements pourraient favoriser une revalorisation des villes moyennes. Comme le remarquait le journal Le Monde dans un article du 24 Août 2020, « la pandémie de Covid-19 a profondément modifié l’attitude des entreprises face à cette pratique largement appréciée des salariés. En Allemagne et au Royaume-Uni, environ 40% des entreprises envisagent d’y recourir de façon pérenne ». Ce mouvement, tout autant encouragé en France, pourrait ainsi s’installer dans la durée et pousser les entreprises à revoir leur système de fonctionnement. Cela donnerait notamment aux salariés une plus grande liberté de mouvement et réduirait les contraintes géographiques imposant une proximité entre lieu de résidence et lieu de travail, et on peut se demander si ces évènements n’encourageront pas un « retour à la nature » de certains individus.
Dans ce scénario, les villes moyennes ont un rôle à jouer, juste équilibre entre la ville et le bourg, entre l’urbain et le naturel, elles pourraient réellement devenir la « ville de demain ».