La science avec une conscience selon Lipinski
C’est en 2005 que j’ai lancé le dispositif des Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) dans le cadre de ma vice-présidence à la Recherche au conseil régional d’Îlede-France. Le dispositif Picri permet de financer des projets de recherche qui doivent obligatoirement avoir été co-élaborés par des chercheurs académiques et des acteurs émanant de la société civile. Une fois retenus et financés, ces projets sont menés de façon coopérative. (Dispositif résumé par Sylvestre Huet dans le hors-série de Libération de novembre 2005 « pour réveiller la gauche » avant les élections nationales de 2007 : « Un labo plus une association, donc une subvention. C’est le trio du Picri (Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation). » La première année, le dispositif allait disposer d’un budget d’un million d’euros, ce qui déclencha chez Roger Karoutchi, qui présidait le groupe UMP de l’époque au conseil régional, la question de savoir si les Picri, c’était vraiment sérieux. C’était en effet très sérieux. Deux ans plus tard, j’obtiendrais que leur budget soit augmenté de 50 %.)
Un appel à projets est diffusé chaque année. Un jury composé de chercheurs et d’associatifs examine les projets soumis et en retient de dix à douze ? environ un sur quatre ? auxquels sont attribués jusqu’à 50 000 euros par an sur une durée qui peut atteindre trois ou quatre ans. En six ans, les domaines de recherche concernés se sont révélés très divers, de l’environnement à la santé, du droit aux libertés publiques, aux migrations de populations, aux relations Sud-Nord, des modes de consommation aux
arts, à l’innovation, du genre et de l’éducation à d’autres thématiques encore dans le champ des sciences humaines et sociales. (Voir la page Web du conseil régional d’Île-de-France dédiée aux Picri :
http://www.iledefrance.fr/recherche-innovation/dialogue-science-societe/
partenariats-institutions-citoyens-picri/.)
Lors d’un bilan d’étape réalisé en avril 2009 au conseil régional d’Île-de-France, les partenaires impliqués avaient confirmé le grand intérêt des projets et du processus, chacun s’accordant à reconnaître la pertinence et la richesse potentielle d’un dispositif qui permet d’aborder d’autres thématiques de recherche que celles qui intéressent les organismes nationaux de recherche ou l’ANR, ou même les grandes associations actives principalement dans les domaines de la biologie et de la santé. Cependant, d’un projet à l’autre, quelques difficultés récurrentes furent pointées, en particulier autour de la question de la temporalité.
Les intérêts des uns et des autres ne sont en effet pas totalement convergents ni simultanés. Les chercheurs ont l’habitude de partager leur temps de travail entre plusieurs projets de recherche, ne mettant que
rarement tous leurs ?ufs dans le même panier. Car ils sont évalués essentiellement sur leurs résultats, et aucun projet de recherche n’est jamais assuré de produire des résultats utilisables, c’est-à-dire publiables.
Les acteurs associatifs, de leur côté et de façon très compréhensible, sont impatients d’obtenir des résultats lorsqu’ils parviennent à ce qu’une recherche soit menée sur un sujet lié à l’objet de leur activité
associative. En outre, celle-ci se déroule le plus souvent en dehors des horaires de travail habituels et les membres des associations attendent un engagement des chercheurs qui ne pourrait s’apparenter qu’à une
activité militante.
Or, les chercheurs, même les plus motivés, considèrent le plus souvent que ces projets partenariaux devraient entrer dans leur pratique professionnelle, eux-mêmes pouvant avoir aussi des activités extraprofessionnelles qui les occupent au moment où ils sont attendus par leurs partenaires associatifs.
Dans l’idéal, il est clair que les chercheurs devraient aussi être évalués à l’aune de ce type d’engagement, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. (Les missions des chercheurs et enseignants-chercheurs telles qu’énoncées dans le Code de la recherche présentent une certaine diversité mais les résultats de recherche qu’ils produisent continuent de constituer le critère essentiel de leur évaluation par les pairs, et de là, de l ‘évolution de leur carrière.)
Ces difficultés à faire converger les agendas des parties prenantes, aussi bien au quotidien qu’à plus long terme, ont au demeurant été jugées mineures en regard des bénéfices affirmés de part et d’autre. Le bilan
largement positif tiré après six années de Picri en région Île-de-France pourrait inciter d’autres régions à s’en inspirer, à l’instar de la région Nord-Pas-de-Calais qui, dès 2011, a décidé d’investir 700 000 euros pour
un programme similaire. (C’est Sandrine Rousseau, élue Europe Écologie-Les Verts à la viceprésidence Enseignement supérieur et Recherche du conseil régional, qui a obtenu le lancement du dispositif « Chercheurs citoyens ». Ã noter également le dispositif « Appropriation sociale des sciences » mis en place depuis plusieurs années par le conseil régional de Bretagne.)Une réflexion approfondie devrait maintenant être menée pour examiner comment mettre en place de tels dispositifs de soutien à des « recherches à implication citoyenne » au niveau national.
Ce que des collectivités régionales ont su imaginer pourrait en effet « passer à l’échelle », y compris vers le niveau européen. (L’actuel 7e Programme-cadre européen de soutien à la recherche et au développement s’achève en 2013. La Commission européenne a déjà commencé ses consultations pour un nouveau programme-cadre qui englobera recherche, innovation et technologie.).
Là où les organisations non gouvernementales sont suffisamment puissantes, de telles recherches peuvent être financées sur leurs moyens propres. En France et dans beaucoup d’autres pays, cette situation est bien trop rare. (L’exemple français le plus pertinent est peut-être celui de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) créée après la catastrophe de Tchernobyl pour répondre à la désinformation mise en place par l’État.). C’est la raison pour laquelle il me semble qu’au delà des quelques collectivités qui auront agi en précurseurs, il appartiendra aux organismes nationaux de recherche et aux universités qui en ont la mission et les moyens de développer la culture scientifique de façon résolument innovante. Cela permettra en outre de former les acteurs associatifs à une approche scientifique des problèmes qui se posent à eux.