« Permettre à chacun de devenir autonome »
Marylise Léon est issue de la fédération CFDT de la chimie et de l’énergie. Elle est élue secrétaire nationale, en charge des questions industrielles, au sein de la commission exécutive de la CFDT. Elle répond à nos questions sur la question du travail.
Novo Ideo : Votre organisation a remis au Premier ministre un document dense sur les réformes à mener. Il souligne dans son introduction que « la vraie clé pour faire reculer le chômage, c’est bien d’impulser une stratégie d’investissements publics et privés dans les emplois de demain… ». Qu’est-ce-à-dire exactement ?
Marylise Léon : On constate que les investissements au maintien ou à l’amélioration de la qualité et de l’innovation ne sont pas suffisants.
Pour faire reculer le chômage et améliorer l’emploi, il faut s’engager vers un nouveau mode de développement, basé sur la qualité (des biens et des services produits, des emplois, de la vie au travail, des relations sociales…). Bien sûr, la stratégie publique d’investissements doit être consolidée et mise en cohérence avec ces objectifs au niveau européen. L’État stratège a un rôle majeur à jouer pour cibler les investissements publics et orienter les investissements privés vers la transition écologique, numérique, l’innovation.
Améliorer l’emploi et réduire le chômage passe aussi par le fait de permettre à tous les salariés de monter en compétences et en qualification, via l’accès à la formation tout au long de la vie, le développement des compétences, l’accompagnement des transitions professionnelles.
Puis, au regard des mutations en cours : technologiques, industrie du futur, il faut donner les moyens aux salariés d’être partie prenante tout comme aux filières, aux territoires et aux entreprises. Il faut pour cela développer des projets d’écologie industrielle et d’économie circulaire en prenant en compte la réalité de chaque territoire, entreprise et filière dans un dialogue économique et social de qualité à tous les niveaux.
Face à la fin des carrières linéaires, la CFDT plaide en faveur de l’universalisation des droits, rattachés à la personne, avec l’outil du Compte Personnel d’Activité. Plus de 5 millions de nos concitoyens sont exclus de l’emploi, cela demande des investissements colossaux…
Il est vrai que les carrières linéaires menées au sein d’une seule entreprise sont de plus en rares et ne répondent peut-être plus aux aspirations des uns et des autres. Aussi il faut adapter notre modèle économique et social à ces successions d’expériences diverses, parfois sous des statuts différents. Les évolutions technologiques ont transformé la nature du travail et son organisation. Le chômage de masse et la dualisation du marché du travail ont fait apparaître de forts besoins en mobilité professionnelle et géographique et l’émergence de nouvelles formes d’emploi, impulsée notamment par le numérique.

« Le CPA pourrait permettre d’expérimenter de nouvelles voies professionnelles en garantissant un « droit au retour », si nécessaire, pour sécuriser le choix d’une nouvelle orientation professionnelle »
Aussi la CFDT porte-t-elle la mise en place d’un accompagnement global personnalisé pour permettre à chacun de devenir autonome et pour lever les freins à l’emploi.
A cette fin, la dimension professionnelle et sociale doit être prise en compte. Il faut mettre du lien et de la coopération entre les opérateurs de l’accompagnement social (travailleurs sociaux) et ceux de l’accompagnement professionnel (Pôle Emploi, Apec, Cap Emploi, etc.). Le CPA est en ce sens un formidable outil ; mais la question du financement de cet accompagnement global et plus généralement du CPA se pose.
Pour poursuivre cette démarche, on pourrait intégrer une banque du temps dans le CPA. Avec un « compte temps », le CPA pourrait être l’instrument d’une meilleure conciliation des différents temps de la vie active (professionnelle ou non professionnelle) et pourrait permettre de gérer harmonieusement des temps tout au long de la vie, en tenant compte du contexte d’allongement de la durée de vie, du besoin d’autonomie accrue des individus, etc.
Avec un « droit au retour » (ou « droit à l’expérimentation »), le CPA pourrait permettre d’expérimenter de nouvelles voies professionnelles en garantissant un retour en arrière, si nécessaire, pour sécuriser le choix d’une nouvelle orientation professionnelle.
Ce faisant, vous dépassez le cadre de la réforme du Code du travail pour aller vers une « codétermination à la française ». Qu’entendez-vous par là ?
Dans l’exposé des motifs du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances, les mesures pour le renforcement du dialogue social affichent l’ambition de « simplifier et renforcer le dialogue social et ses acteurs, notamment au travers d’une refonte du paysage des institutions représentatives du personnel, plus en phase avec la réalité des entreprises et les enjeux de transformation dont elles ont à débattre ». Pour la CFDT, il faut parvenir à faire du dialogue social un enjeu de qualité du travail et de compétitivité des entreprises. C’est un enjeu de démocratisation de l’entreprise, et pour cela la codétermination est une voie intéressante. Concrètement, cela consiste à faire en sorte que sur les sujets codéterminés, employeur et salariés ont des droits égaux. Ils peuvent tous les deux lancer des initiatives et doivent se mettre d’accord. Il leur appartient alors de négocier avec la volonté sérieuse d’aboutir et aucun des deux ne peut bloquer les échanges par un droit de veto. Si la négociation aboutit à un désaccord, les parties peuvent recourir à l’arbitrage. Il faudrait alors définir les thématiques dans lesquelles ce mécanisme serait mis en place. Pour la CFDT les thèmes comme la rémunération des dirigeants, l’utilisation des aides publiques ou encore l’organisation du travail, devraient faire l’objet de cette codétermination.
Le corpus de réformes gouvernementales comprend une refonte de l’assurance chômage et une réorientation des fonds de la formation professionnelle. La CFDT a toujours été favorable à une activation des dépenses de retour vers l’emploi. Mais ne faut-il pas craindre, avec le basculement de cotisations vers la CSG, une forfaitisation de l’indemnisation chômage ?
L’assurance chômage est un outil essentiel de la sécurisation des parcours professionnels des salariés, face aux évolutions du marché du travail. Les partenaires sociaux ont assumé depuis 60 ans leurs responsabilités quant à la définition des règles et à la gestion du régime, en finançant de fortes dépenses qui relèvent de la politique publique (pré-retraites, budget de Pôle Emploi, politique culturelle, non remboursement des pays frontaliers).
Pour la CFDT, une réforme de l’assurance chômage doit combiner un socle universel de solidarité pour l’activité et l’insertion, et un régime complémentaire assurantiel et contributif assurant un revenu de remplacement en cas de perte d’activité.
La CSG ne peut pas financer un revenu de remplacement. Le basculement des cotisations salariales vers la CSG risque, pour la CFDT, de transformer en profondeur l’indemnisation des demandeurs d’emploi vers une indemnisation forfaitaire, emportant de surcroît le risque de retrait du consentement des revenus moyens et supérieurs (sans parler des retraités et fonctionnaires), amenés à participer très largement au financement pour une indemnisation limitée.
Il y a cette inquiétude de « l’inversion des normes »…
Il convient ici de préciser clairement de quoi il s’agit. D’une façon générale en droit français et pas seulement en droit du travail, les différentes règles obligatoires sont organisées sous une forme pyramidale et chaque niveau inférieur ne peut sauf exception être moins favorable que le niveau supérieur. Ainsi en ce qui concerne le code du travail, il est régi par la loi. Si on décline ce principe cela signifie que les accords collectifs (de branche/secteur d’activité ou d’entreprise) ne peuvent pas être moins favorables aux salariés que ce que la loi dispose, l’accord d’entreprise ne peut pas être moins favorable pour les salariés que l’accord de branche (sauf exceptions) et pour finir le contrat de travail ne peut pas être moins favorable que ce que prévoit l’accord d’entreprise.
« Donner la possibilité à la négociation
d’entreprise et de branche
d’adapter le droit aux situations concrètes,
sans déroger aux droits fondamentaux
des salariés et sous certaines conditions strictes :
les accords devront être majoritaires à 50 %.
S’il n’y a pas d’accord, le droit existant s’applique.
Personne n’est donc obligé de négocier »
Cependant il existe déjà dans le droit du travail de nombreuses dérogations à cette architecture : les lois Auroux en 1982 ont créé « les accords dérogatoires » en matière de durée du travail notamment. Par ailleurs, il s’agit bien de laisser la négociation s’exprimer au plus près des réalités pour les salariés, c’est-à-dire dans l’entreprise. C’est d’ailleurs ce qu’est venue faire la loi travail : donner la possibilité à la négociation d’entreprise et de branche d’adapter le droit aux situations concrètes, sans déroger aux droits fondamentaux des salariés et sous certaines conditions strictes : les accords devront être majoritaires à 50 %. S’il n’y a pas d’accord, c’est le droit existant qui s’applique. Personne n’est donc obligé de négocier.

Pénibilité : « L’évolution de la prise en charge de quatre facteurs va permettre à plusieurs milliers de travailleurs de partir en départ anticipé à la retraite dès 2018 »
(photo : Anne Bruel)
Que répondez-vous au gouvernement quand il évoque la difficulté concrète de mise en place du compte pénibilité notamment dans les PME ?
La mise en place du compte pénibilité était une revendication majeure pour la CFDT : véritable mesure de justice sociale pour un grand nombre de salariés, ce compte permet de prendre en compte la pénibilité de certains métiers et de leur impact sur la santé des salariés. Au sujet des annonces récentes du gouvernement, la CFDT attend les propositions concrètes afin d’en mesurer leur portée réelle.
L’évolution de la prise en charge de quatre facteurs va permettre à plusieurs milliers de travailleurs de partir en départ anticipé à la retraite dès 2018. Cependant, cette évolution ne doit pas se traduire uniquement par une gestion médicalisée de la pénibilité.
Six facteurs sont maintenus en l’état et la CFDT s’engagera pleinement à ce que les accords collectifs traitant de la prévention prennent en compte les parcours professionnels afin que les salariés concernés par les quatre autres facteurs puissent également bénéficier du droit à la formation et du passage à temps partiel.
Les salariés des Très Petites Entreprises ne doivent pas être exclus de ce compte alors qu’ils sont peut-être les plus concernés !
Désormais dénommé Compte professionnel de prévention, ce droit doit devenir une réalité pour tous les salariés exposés aux travaux pénibles.