Petite histoire d’une ascension sociale

Rapatrié, juif pied noir et homo, Charly nous explique sa réussite et son ascension sociale

Il nous raconte son parcours, sa famille, ses valeurs, son héritage social qu’il n’a jamais renié et qui a toujours guidé son chemin.

L’histoire de Charly commence en Algérie, en 1962, où il est né. Il grandit dans l’univers de la pêche, du poisson et du petit commerce… Son grand père est pêcheur, sa grand-mère vend le poisson rapporté à Oran. Dans les jupons de celle-ci, il découvre sa passion et vocation :

Puis l’indépendance pousse la famille à regagner la France. En 1967, ils se retrouvent à 6 dans un 15 m2.

Charly grandit mais n’est pas bon élève. Il est sauvage, têtu, un peu « voyou ». Il veut réussir et vite. Aux bancs de l’école, il préfère les bans de poisson. Et en 1980 il obtient son CAP de poissonnier.

Travailler, s’en sortir, accéder à un statut social, vite. Charly ne s’autorise aucune tolérance « Le fait de manquer de tout, je voulais réussir vite ».

Cette volonté de réussir est d’autant plus inflexible et empressée, que Charly sait qu’il est différent, « Je suis né homosexuel, il fallait d’autant plus que je réussisse, je ne voulais pas choquer mes parents ».

Rapidement Charly abandonne le milieu de la mer pour celui de la nuit et ouvre un piano bar à Marseille. Le Don Camillo. Charly dirige le lieu et en assurera la Direction artistique pendant plusieurs années. Le lieu est un endroit de mélange, de mixité, de partage, des valeurs chères et essentielles dans la vie de Charly. « Tout le monde se cotoyait, se mélangeait, des gens très différents. Il y avait une liberté de partage et d’expression ».

Puis arrive sa rencontre avec Olivier, son compagnon. Dés lors, Il monte à Paris, et repart à nouveau de Zéro. Avec la ferme intention de « réussir de ses propres mains » et de vivre de sa passion : la poissonnerie, le commerce, l’échange et le partage.

« Quand je suis arrivé à Paris, je ne voulais aucune relation de Marseille. Je voulais réussir de mes propres mains. Repartir à Zéro »

Avec 50 francs en poche, il galère. Il croise Emmaüs, rencontre des gens qui lui ont tendu la main, et ses futurs patrons…

« En tant que rapatrié, émigré, que l’on veut réussir, et vivre de sa passion, que l’on a la rage de vaincre, les gens le ressentent. J’ai frappé à une porte et j’ai dit à cette personne : Ecoutez, avant de me prendre, je vais vous raconter ma vie, je vais être honnête avec vous car vous m’avez ouvert les bras ».

Il travaille comme poissonnier rue du cherche midi puis pendant plus de 10 ans à la poissonnerie de la rue Rambuteau. Puis un jour, sa rencontre avec Mme Lacroix.

En 2004 il reprend à son compte, la Poissonnerie Lacroix, 44 rue Oberkampf, dans le XIé.

La poissonnerie n’avait pas bonne réputation quand il l’a acheté. Charly décide d’apporter autre chose et d’en faire un lieu atypique. Un lieu d’échange, de partage et d’implication. Un lieu qui fédèrerait les gens. Qui combinerait ses passions, celle de la mer, celle de la fête, celle des contacts et de l’entraide.

Il s’implique dans la vie de quartier et veut faire bouger les petits commerces de proximité et habitants du 11è.

« On peut vivre de sa passion et en même temps faire autre chose pour animer son quartier ».

Il n’hésite pas certains soirs à rouvrir sa boutique et détourner sa poissonnerie en bar improvisé pour des fêtes avec ses clients ou animations locales (expos, restaurants éphémères, vernissages, apéros solidaires, concerts, animations en lien avec le quartier…) puis lui vient l’idée de transformer ses murs en galerie d’art, en proposant gratuitement aux artistes du quartier de présenter leurs œuvres. Ainsi tout les mois un artiste du 11é est mis à l’honneur, avec soirée de vernissage.

Il travaille sans repos, en se levant aux aurores pour aller chercher ses poissons à Rungis. Il ferme sa boutique chaque soir à 20h. Il s’engage pour la qualité et la fraicheur de ses poissons.

Rapidement, son savoir-faire, la qualité de ces produits, son accueil et ses conseils lui valent en 2008, le prix de Meilleur poissonnier de France décerné par le Gault & Millau. En 2009, il reçoit la médaille d’argent du meilleur artisan de la ville de Paris, en 2010 il est élu meilleur écailler d’Europe. Il enchaine émissions télé, articles de presse, radios, pour ses nombreux engagements ou pour ses actions novatrices. Car Charly est un homme fédérateur d’idées, d’initiatives. (Va chez ton poissonnier, pêcher des idées !)

Il innove dans sa poissonnerie/galerie, comme par exemple ne plus proposer de sacs plastiques pour emballer ses poissons et cela bien avant que la loi sur « l’Interdiction des sacs plastique à usage unique en caisse » passe. Revenir à la feuille de kraft pour « encorneter » ses bulots, comme le faisait sa grand mère, à Oran.

« Ma poissonnerie est le premier commerce de bouche à supprimer les sacs plastiques à Paris »

Innover encore en proposant aux artistes du 11è de détourner ses sacs plastiques en œuvres d’art et de les exposer en opération culturelle dans sa boutique.

Parce que ses sacs plastiques sont le fléau des océans et prédateurs des espèces marines, Charly, oeuvre pour la préservation des ressources de la mer. Il les aime ses poissons, et est engagé auprès de l’association SeaWeb Europe et est signataire de leur charte d’approvisionnement durable en produits de la mer.

Il a suspendu l’achat d’espèces en voie de disparition, il est aussi militant contre la pêche en eaux profondes, il propose du poisson bio, français et de saison avec étiquette de traçabilité.

Ses engagements ne s’arrêtent pas aux poissons. Charly est impliqué dans de nombreuses actions pédagogiques, sociales et solidaires.

Il reçoit des écoles maternelles pour les initier aux animaux de la mer, des jeunes en situation de handicap, des démunis du quartier. Il est entre autres l’un des premiers à avoir rejoint l’association Le Carillon, qui propose de rendre des services aux personnes de la rue par un réseau de commerçants et habitants solidaires du 11è.

« Avec le Carillon, c’est aider les gens qui sont près de moi. Et prés de moi, c’est d’abord prés de chez moi, ce sont les gens du 11é. »

Une entraide, un partage, tout comme au lendemain des attentats du Bataclan situé à deux pas de la poissonnerie dans laquelle Charly n’a pas hésité à proposer une soirée d’accueil, de soutien, d’écoute et d’échanges aux habitants du quartier, où chacun était convié à s’y retrouver autour d’une soupe solidaire de poissons. (Cf épisode #1 des chroniques de Charly)

« Il faut une humanité, un partage. Ce partage vient de mes grands parents qui sont pieds noirs, du fait aussi qu’ils ont toujours été des commerçants. Ils m’ont appris à donner avant de recevoir.

Retrouvez la précédente « chronique du quartier du Bataclan » : « Après les évènements, les gens se sont plus ouverts… »