Prêt à penser
Il existe aujourd’hui, de la même manière qu’en 2012 avant les présidentielles, une forme de naïveté – à gauche- sur ce qui attend notre pays après 2017. Parfois, par ceux là même qui disaient, à la fin de la mandature précédente, « vous allez voir ce que vous allez voir si la gauche arrive ».
On a vu.
Face à la forte augmentation de la dette publique sous la Présidence Sarkozy (de 1200 à 1800 milliards en six années), on peut reprocher beaucoup au Président de la République sortant. Sa lenteur au démarrage, son cœur pusillanime, ces arbitrages en faveur de « l’offre » sans préserver le grain à moudre nécessaire pour des contreparties. Le fait de ne pas dire les difficultés, de donner le sentiment de valses hésitations. Tout cela (et quelques autres renoncements majeurs comme sur la déchéance de nationalité) a beaucoup fait pour exaspérer son électorat. Mais il reste que les fondamentaux de notre Etat social ont été maintenus dans ce contexte. Et le cas est inédit en Europe. Malgré la persistance d’un chômage de masse, à peine contenu à ce jour.
Qu’on regarde les mois de salaires perdus par les fonctionnaires en Espagne et au Portugal, une réforme des retraites en Grèce (portée par Tsipras) qui va se traduire par une baisse de la dépense publique. En France, nous « ralentissons la progression » des budgets sans toutefois nous atteler pleinement à la question cruciale de leur efficience.
Willkommen in Deutschland.
On cite l’Allemagne et sa générosité à l’heure migratoire. C’est vrai que, là bas, on peut bénéficier d’une année d’aide sociale ou récupérer des bouchons en plastique pour les rapporter à son supermarché qui complètera votre pension par un salaire rémunéré à l’heure travaillée. Tout en restant en dessous du seuil de pauvreté, ce qui est le cas de près de 13 millions d’allemands.
L’attitude d’une partie du mouvement et de la gauche de la gauche serait justifiée par « la politique de Valls », en réalité, la copie conforme – à une dizaine de milliards, un creusement du CICE et quelques coups de mentons près – de celle pratiquée par Ayrault. Il semble qu’au prêt à penser « anti-sarkozyste » de 2012 se soit substitué une mode 2017 toute en Hollande-Valls bashing. On sait le temps que dure les saisons et beaucoup d’activistes seraient inspirés d’anticiper le coups d’après si tant est que le cœur n’efface pas leur raison.
Ils ne semblent pas se représenter, à moins qu’il ne s’agisse que d’un calcul strictement politicien, ce que recouvrent les annonces des différents candidats à la primaire de la droite. Pire, l’actualité ramené à un best-of d’anecdotes fait peu de cas du projet en cours. Citons en vrac, en rupture même avec la tradition d’une certaine droite orléaniste ou gaulliste : coupe de 100 à 130 milliards des dépenses publiques (un tiers du budget de l’Etat ou plus de 20% de nos dépenses de protection sociale), suppression du statut de la Fonction publique territoriale, dégressivité des allocations chômage, retraite repoussée dans un premier temps à 65 ans, fin des 35 heures, pour ne prendre que les dispositifs qui font consensus entre les principaux prétendants.
Au delà, l’opinion ne se préoccupe plus des gesticulations de « l’autre gauche », réduite à un cartel apparatchisant sans colonne vertébrale commune, élevée pour partie d’entre elle aux coups médiatiques. Pour elle, il suffirait au mieux de « faire payer les riches », de « lutter contre les fraudes ». Un peu comme dans les économies fermées des années 70, et puis c’est tout.
Quand on lit les réseaux sociaux, nombre d’entre ses membres raisonnent comme dans le monde « d’avant ». Avant les attentats, le vote des jeunes et d’une frange croissante des déclassés pour le FN. Avant la mondialisation, la résurgence de la question religieuse et l’effondrement des valeurs collectives. Rien ne semble mobiliser davantage les attentions que les micro-évènements.
Il y a pourtant des chemins.
Y’a (pas) qu’à.
Il est vrai qu’entre les croyances nucléaires de nos Grands corps, la rupture avec le monde professionnel d’un nombre croissant d’élus, l’uberisation de l’économie …tout semble en place pour que les lieux de pouvoirs réels se déplacent progressivement hors de la sphère publique. Tout est prêt pour que l’opinion donne son coups de pieds de l’âne dans quelques mois en renvoyant la gauche critique à ses chères pancartes indignées.
N’y a-t-il donc d’autre voie que de « faire payer au PS » le prix de ses propres renoncements, à changer le réel..
N’y a-t-il donc comme autre voie que de dire que des réformes sont nécessaires pour casser les plafonds de verre qui bloquent Kevin et Rachida dans leur ascension sociale et qui nourrissent leur aigreur ou leur repli identitaire.