Réforme des régions : pas qu’une question de taille

TERRITOIRES REFONDES, REGIONS CONSACREES

Quelle place peuvent jouer les Régions dans la refondation territoriale à l’oeuvre ? Doit elle-être revue à l’aune d’une considération d’autonomie budgétaire ou plus largement sur le plan des normes et d’une organisation renouvelée de la clause générale de compétences ?

Posons le constat préalable la situation bien mal en point de nos finances publiques et la contribution nécessaire de nos collectivités au redressement des Comptes publics. D’une part, parce que dans chaque euro de dotation transférée aux collectivités, il y a près de cinquante centimes d’emprunts d’Etat qui y sont adossés. D’autre part, parce que cela ne peut que renforcer l’idée d’un partenariat renouvelé et durable du couple Etat-collectivités, binôme trop souvent marqué par les revirements et l’instabilité permanente. Enfin, et c’est là l’essentiel, parce que les énergies ne peuvent continuer à se diluer dans un mercato territorial inachevé, entre fruit de notre histoire et conservatismes.

Deux contreparties à tirer de ce premier constat :

L’absolue nécessité de refonder un modèle qui donnerait un sens réel à l’autonomie consacrée par la Loi organique du 29 Juillet 2004 et à la simplification de notre organisation politico-administrative, plus lisible pour les citoyen-ne-s et apaisée entre ses acteurs.

C’est également l’opportunité de passer un deal historique moyennant un retour des dotations locales à l’Etat, une responsabilisation accrue des collectivités alliant levier fiscal et une identification territorialisée de leurs moyens d’intervention.

Quelques jalons de cette feuille de route :

La clarification des compétences dans un objectif de lisibilité ;

l’autonomie réelle, ce qui signifie concrètement d’en finir avec le jeu de dupe de substitution d’impôts locaux par des Dotations d’Etat ;

le prima de la péréquation objectivée au détriment de « la dépense historique » ;

l’innovation dans un esprit de responsabilité sur le plan fiscal notamment.

Concernant cet aspect, le « panier régional » pourrait être constitué d’un mix entre une fiscalité générale, à l’assiette large, et une fiscalité spécialisée (Ces axes de travail ont été développés en audition de Jean-Marc Pasquet, Président de Novo Ideo, à l’occasion d’un séminaire sur décentralisation organisé par la Région Bretagne début 2013), dédiée à cet acteur majeur de la compétence Transports notamment.

Cette fiscalité générale, c’est la réforme de la CVAE qui est à privilégier. Nous devons reconsidérer son lien avec le territoire par un pouvoir de taux à la Région et la reconnaissance du binôme Région / EPCI (intercos) dans la compétence économique. La Région doit pouvoir en assurer le chef de filat. Cela suppose de reventiler entre ces deux acteurs la partie de la Contribution Foncière des Entreprises (CFE) transférée aux EPCI. Cela peut être également la création d’un impôt marginal sur le revenu à l’échelle régionale dans une perspective de lisibilité et de justice.

L’innovation, nous pouvons la porter sur une fiscalisée spécialisée, dédiée aux Régions, en lien avec les compétences affectées : la taxe d’apprentissage doit être dans cette perspective totalement affectée aux Régions. Nous devons aller également vers une généralisation du Versement Transport pour appuyer le financement des TER. La mutualisation d’une partie du produit de la Carte Grise comme je l’avais exprimé dans un article du Monde de Juin 2011 doit assurer de nouveaux débouchés à ce niveau et une contribution inter-régionale à une fiscalité écologique. La possibilité d’accroître le pouvoir de modulation sur les différentes couches de la TIPP ainsi que la création d’une IFER sur les Sociétés d’autoroutes (ainsi qu’accorder la possibilité de moduler la fiscalité sur toutes les IFER?), etc.

Tout cela viendrait compléter ce panier fiscal, plus dynamique et lisible par rapport au lien entre les politiques et le citoyen.

Pour autant, les évolutions territoriales à venir ne sauraient se résumer à ce seul jeu de domino fiscal pour englober une dimension plus politique de la Décentralisation et de son Acte III à venir.

UNE APPROCHE POLITIQUE DE L’ACTE III

Dans cette perspective, la refonte de notre modèle territorial doit s’appuyer tout particulièrement pour nos Régions sur le double principe de l’expérimentation et du chef de filat.

Dans le domaine financier, en dérogeant par exemple au principe de dépôt obligatoire au Trésor pour favoriser la constitution d’épargne territoriale (sur des Livrets dédiés), ou pour prolonger les initiatives dans les domaines porteurs de la mutualisation des financements (Emissions obligataires solidaires?) ou de la lutte contre les Paradis Fiscaux. La Région est dans ces domaines la meilleure échelle de ces politiques publiques.

En matière de production de normes, la capacité normative des Collectivités doit être posée au niveau réglementaire et législatif en consacrant le chef de filat de la Région. Dans le domaine du Développement Durable par exemple, en donnant la possibilité d’imposer des normes de pollution à des Collectivités de niveau inférieur et aux partenaires. ([On pourrait donner cette possibilité dans le domaine de la Petite Enfance par exemple : aux Départements qui conservent un sens dans le domaine rural ou à des grandes agglos élues au premier niveau, réceptionnaires des compétences sociales des départements)]

Tout aussi fondamentalement, il faut en finir avec les serpents de mer de la réforme du mille feuille administratif en donnant la possibilité aux Collectivités d’organiser entre-elles le principe d’organisation de la clause générale de compétences : fusions, organisation de « guichets uniques » (dans le domaine de l’insertion, du développement économique?), articulation avec les pouvoirs déconcentrés. L’organisation du service public pourrait être revue selon le principe de territorialisation, mis en oeuvre dans le cadre d’un dialogue entre Etat et partenaires locaux.

L’HISTOIRE S’ACCELERE

Si la République a eu besoin de la centralisation pour se construire, elle a besoin d’un Acte refondateur et décentralisateur pour ne pas se défaire, pour reprendre le mot de Mitterrand.

Ce faisant, le gouvernement vient d’indiquer qu’aucun tabou ne pouvait être contourné, pas même la construction départementale héritée de Napoléon. Cependant, l’issue de notre refonte administrative ne saurait être considérée qu’au seul regard de la taille des acteurs.

Dans la nouvelle donne financière et durable des collectivités, la réflexion sur la Région doit être éminemment portée par les cadres européens qui sont aujourd’hui ceux des territoires en mutations. Crises écologique, sociale, les défis de l’aménagement et ceux soulevés par quelques Régions « hyperconcentrées »([ Les compensations de fiscalité supprimées ont d’ailleurs favorisé les Régions IDF et RA?)] questionnent, certes, les problématiques fiscales et des moyens d’intervention.

La nouvelle articulation avec le « bloc communal », l’émergence des agglomérations en concurrence de fait avec les Départements promis à la disparition, la survivance de la Région, toutes ces questions posent bien entendu la question du périmètre des acteurs territoriaux.

Plus fondamentalement, l’émergence d’un « nouveau modèle territorial français » ne passerait il pas par la fin du principe d’homogénéité tant sur le plan normatif que de l’organisation des services publics locaux ?