Renouer avec les classes populaires
Le peuple n’en finit pas de consommer sa rupture avec ses élites. Il observe de manière distante ses dirigeants. Les effets d’annonce et le commentaire des évènements signent à ses yeux une impuissance inédite. Sans vision ni projet, les élus semblent ne pas comprendre l’essence même de ses besoins. Ils paraphrasent un discours sur les « valeurs », qui résonne faux et hypocrite à ceux qui n’ont ni les réseaux ni le bénéfice des passe-droits.
De l’impératif de sécurité
Quelles sont les attentes négligées à l’origine de ce divorce ?
De celles, les plus immédiates, face à la terreur incarnée par une frange de sa jeunesse qui a décidé de faire la peau à une autre. De ces 130 visages de novembre, si proche et si familiers, si représentatifs de l’incapacité de notre démocratie à assurer l’essentiel. Attentes sociales et économiques, la France représente un paradoxe en Europe. Elle jouit de filets protecteurs denses. Leur complexité alimente le procès à charge de leur inefficience sans dénouer cette peur grandissante du déclassement. Civilisationnelle, tant le succès enregistré sur la COP21 se double d’une attente forte sur les travaux pratiques.
Comment faire ensemble en vivant séparés ?
Le peuple français a envie d’unité et d’intérêt général. Comme dans la pièce à succès de Joël Pommerat sur la révolution « Ça ira – Fin de Louis », il rejette les castes refermées sur elles-mêmes. A l’image d’une frange significative de la représentation nationale qui n’a connu aucune expérience professionnelle en-dehors de la politique. Comment prétendre partager un horizon commun quand trop de parcours sont le fait des origines sociales, des héritages ou d’un ascenseur social en panne ? Notre société s’est progressivement sédimentée par milieux sociaux, par quartiers puis par communautés. Pire, nos représentants ont parfois failli en poussant à ces évolutions par simple clientélisme électoral.
Rendre visible, retrouver le sens commun
Nous nous sommes installés dans ce séparatisme les uns des autres. Ce faisant, l’idéal de l’après-guerre, de cette période où un pacte s’était noué entre toutes classes sociales qui avaient vécu ensemble le pire, nous a échappé. Novo Ideo fait état dans deux podcasts d’une expérience d’appropriation du quotidien de classes populaires par elles mêmes, au travers du reportage photographique. De ces jeunes du lycée professionnel René Cassin en grande périphérie de Metz qui font le récit de leurs vies, un portrait d’un bout de France marquée par l’abstentionnisme électoral et l’adhésion au « hors système ». En comprenant les tensions qui traversent cette France des marges, Marine Le Pen a construit un outil redoutable de conquête. C’est en prenant en compte à nouveau les attentes fondamentales de ces « invisibles », en les incluant dans un horizon commun, que les progressistes renoueront avec les classes populaires dont ils ne partagent plus le quotidien.
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Durant une année scolaire, la plasticienne Anne Delrez est intervenue régulièrement dans une classe de première professionnelle commerce du lycée René-Cassin, dans un quartier modeste de Metz. Avec le professeur de français, dans le cadre des heures de « projet », elle tente de donner du sens à leurs voyages les plus banals : leur trajet quotidien entre leur domicile et le lycée.
PODCAST
« Raconter la répétition de leur vie, une heure et demie de trajet le matin, une heure et demie tous les soirs »
Anne Derlrez, La Conserverie, galerie associative et Conservatoire national de l’album de famille, a prêté un appareil photo à des lycéens pour qu’ils fixent leur quotidien (1mn44s)
« Quel regard portent-ils sur leur propre vie…»PODCAST
Jean-Marc Pasquet, Novo Ideo (1mn28s)
Aller plus loin : lire l’article de La Croix à ce sujet
Entretien : Jean-Marc Pasquet
Montage : Nathalie Tiennot