Solaire : « la poule aux oeufs d’or »

C’est pourquoi les efforts financiers concédés par la société au profit du photovoltaïque (PV) n’ont de sens que si celui-ci vise à assurer une part majeure de la couverture de nos besoins énergétiques (typiquement 50 %). Or, c’est pour un tel ordre de grandeur de la taille du marché mondial que la courbe d’expérience pourrait déboucher sur un coût soutenable.

Avec un PV qui deviendrait compétitif ? et donc se trouvait en compétition ? avec les sources d’énergie fossiles, l’idée d’un abus de position dominante des producteurs chinois serait à revoir. Se projeter dans cet état futur de l’économie, c’est peut-être ce qu’ils ont tenté de faire, en visant directement une cible de prix très faible et en supposant qu’à de tels prix, rendant caduque la question du subventionnement, le marché deviendrait, par comparai?son avec sa taille antérieure, quasiment infini.

C’était un pari risqué, consistant à traverser en apnée la période critique où, en suivant la courbe d’expérience, les quantités sont déjà colossales tandis que le surcoût est encore substantiel. L’échec d’un tel calcul pourrait avoir deux types de conséquences néfastes :

-trop de faillites peuvent durablement rendre les banques méfiantes à l’égard de stratégies ambitieuses en matière de PV, pariant sur l’atteinte de la zone de profitabilité au-delà du passage intermédiaire le plus délicat ;

-on pourrait même revenir à un marché très réduit, à la faveur d’un cercle vicieux : entreprises survivantes qui profitent de la faillite des autres pour remonter leurs prix / politiques de soutien de toutes natures qui deviennent de plus en plus restrictives à cause de cette remontée des prix / nouvelles faillites.

Pourtant, construire un modèle économique en partant de l’état futur, financièrement auto?suffisant, du PV, reste possible : c’est le modèle de la compétitivité pérenne. Hors financement des infrastructures de gestion de la variabilité, il ne demande qu’un seul sacrifice aux autorités publiques : renoncer par avance à revendiquer de nouvelles baisses de prix lorsque le PV aura rejoint les prix des autres énergies.

Dès lors qu’un tel engagement serait pris, les équipements de production des cellules et modules conçus pour atteindre la parité des prix avec les autres énergies n’auraient pas à craindre d’obsolescence commerciale (techniquement, le PV ne suit pas la loi de Moore qui est spécifique à l’électronique grand public du fait de sa nature très sensible à la miniaturisation). Il serait donc possible de passer à un mode de développement plus pérenne, réduisant le coût d’amortissement de tous les équipements les plus capitalistiques.

Vérifier la pertinence d’un tel modèle, en faisant travailler des économistes et des spécialistes de la productique, pourrait apporter une très nette valeur ajoutée dans le cadre de la préparation de la CoP 21, qui aura lieu à Paris en décembre 2015.

Par ailleurs, plus les prix des modules et des cellules baissent, plus l’effort sur les prix devra porter sur les autres composantes du coût, habituées à ne pas être soumises à une pression trop forte quand elles étaient encore relativement marginales : installation sur site, « balance of power », onduleurs, coûts de raccordement au réseau, marge commerciale. Ainsi, sur certains points, tels que le balance of power, le renversement des valeurs relatives des composants nobles et banals devra conduire à se contenter, pour ces derniers, de fonctions plus rustiques.

Pour d’autres, il faudra au contraire monter en gamme (gestion de la variabilité, services au réseau : production de puissance réactive ajustable ou non, lissage des harmoniques?). Il est difficile de savoir où en est la recherche sur le comportement de réseaux dont la référence de tension serait à la charge d’onduleurs alimentés par du PV mais, au pire, on peut en rester à une conversion par machines tournantes (moteurs à courant continu + alternateurs).

Tout ceci plaide pour une réhabilitation des grandes fermes solaires, même si le photovoltaïque est, en théorie, parfaitement divisible et décentralisable.

Emblème de ce débat entre centralisation et décentralisation, la « parité réseau » permettra au marché du PV de ne plus être dépendant du subventionnement, donc de tenir sa promesse d’une taille très supérieure à aujourd’hui ; mais s’en contenter serait renoncer à l’ambition de couvrir plus que, typiquement, 10 % des besoins.

Le stockage quotidien, par opposition au stockage intersaisonnier, bénéficie d’une différence fondamentale entre hydroélectricité et stations de pompage-turbinage (step) : les secondes, utilisées quotidiennement, ne seront affectées par aucun plafonnement des capacités dans les pays développés.

Parallèlement, une contribution du solaire à la fourniture d’électricité après le coucher du soleil peut provenir du CSP (concentrated solar power ? systèmes à concentration par miroirs), pour lequel l’étape intermédiaire « chaleur » permet un stockage de quelques heures. On peut d’ailleurs développer quelques synergies entre CSP et photovoltaïque.

Enfin, des lignes à courant continu et très haute tension (HVDC) – qui, comme le stockage, pourraient être financées par des prêts de type Banque Mondiale -, seraient le complément indispensable d’un développement important de l’électricité solaire (et éolienne), permettant un accès aux meilleures ressources et en fin de compte une mutualisation optimale (dans l’espace, dans le temps et entre modes de production) pour résoudre le problème de la variabilité.