Articles

Comprendre les crises par leur histoire

Malgré ces nécessaires imprécisions, la théorie de Kondratieff permet de donner un éclairage historique à certains phénomènes :

– les conflits de répartition (pouvoir d’achat, protection des rentes,…) ne peuvent trouver de réelle solution que dans le démarrage d’une nouveau cycle, c’est à dire dans l’innovation et la croissance

– le rôle de l’industrie financière est ambivalent, puisqu’elle fournit à la fois les moyens de financement des innovations de première phase, et les mécanismes complexes qui facilitent les excès et qui préparent la fin de cette phase. La crise des subprimes illustre parfaitement ce second rôle, le premier correspondant davantage au rôle du capital risque ou du Nasdaq dans le développement des géants du logiciel et de l’internet américain.

– les politiques de la concurrence, les règles du commerce mondial et le système de protection sociale jouent également un rôle important, notamment dans le cycle actuel. En effet, en phase de « destruction créatrice », les entreprises vont chercher à atteindre une rentabilité qui ne sera plus à la portée de certaines d’entre elles. Pour cela, elles vont rechercher des marges de manoeuvre sur leurs principaux facteurs de production – dont le facteur travail (réduction des hausses de salaire, efforts de productivité,…). Elles le feront d’autant plus qu’elles sont concurrencées par des pays pratiquant des normes sociales nettement moins exigeants (et donc dans lesquels les entreprises trouvent plus facilement la solution à leur difficultés aux détriments des salariés). Par ailleurs la « destruction créatrice » sera d’autant plus difficile et douloureuse que le modèle social protège les statuts plutôt que les personnes (sur cette question essentielle, lire l’article lumineux de John Sutton).

Notons enfin qu’un bon indicateur de cycle à surveiller est le secteur d’embauche des jeunes diplômés. Les fonctions les plus valorisées marquent en effet les priorités d’une époque…

Le long chemin vers la reconnaissance

Pourquoi un faible taux de syndicalisation en France ?

Beaucoup de raisons sont avancées pour expliquer cette situation. La première réside certainement dans la difficile reconnaissance du syndicalisme français qui interviendra plus tardivement qu’en Angleterre ou qu’en Allemagne.

Il faut remonter à la Révolution pour voir avec la loi Le Chapelier de 1791 la première législation en lien avec le syndicalisme mais pas dans le sens souhaité. Pour combattre la montée du mécontentement social, les députés interdisent les associations professionnelles et le droit de grève. Ce texte fortement marqué idéologiquement va empêcher les ouvriers de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits.

Napoléon 1er renforce les dispositions répressives de la loi Le Chapelier en pénalisant davantage le fait de grève. L’Empereur met aussi des outils au service des patrons afin de mieux contrôler les ouvriers comme le livret ouvrier et le règlement d’atelier. Les conseils des Prud’hommes créés en 1805 sont eux inégalitaires, les employeurs y étant largement majoritaires. Leur fonctionnement n’est pas favorable aux ouvriers avec notamment l’obligation qui leur est faite d’apporter la preuve que le différend portant le cas échéant sur le salaire est bien de la responsabilité du patron.

Les ouvriers réagissent en n’hésitant pas à se mettre en grève et à détruire leurs outils de travail. Ils se regroupent également au sein de sociétés de secours mutuel finalement autorisées. Celles-ci sont chargées de verser des compensations à leurs adhérents en cas de maladie ou d’accidents de travail. Elles jettent les bases d’une protection sociale que le pouvoir refuse mais elles servent aussi à organiser et à financer en cachette des mouvements sociaux.

Napoléon III est le premier à comprendre qu’une politique uniquement basée sur la répression ne fait qu’encourager la montée des extrémismes chez les ouvriers. Il accepte donc de faire quelques concessions comme la création d’une société de secours mutuel gérée par l’Etat afin de mieux concurrencer celles d’origine ouvrières. Il tolère ensuite les chambres syndicales qui se mettent en place sur le modèle anglais.

Ces compromis ne sont qu’un rideau de fumée et la législation pendant ce temps reste toujours à la traîne. Une loi est adoptée en 1864 autorisant le droit de grève mais ce n’est que 20 ans plus tard que les syndicats sont officiellement autorisés grâce à la loi Waldeck Rousseau de 1884.

Le pouvoir politique cherche officiellement à constituer de véritables interlocuteurs face au patronat mais dans la réalité il s’agit de couper le mouvement ouvrier de ses tendances révolutionnaires.

Les syndicalistes ne sont pas au début très enthousiastes. Devoir déclarer à la préfecture les statuts et le nom des dirigeants maintient une certaine méfiance entretenue par deux siècles de répression.

Reconnus 60 ans après l’Angleterre et 15 après l’Allemagne, les syndicats français vont peu à peu se développer mais sans atteindre le syndicalisme de masse de ces deux grands voisins.

Seul l’avenir nous dira si ce retard est réellement rédhibitoire.