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Quelle réforme pour la Politique de la Ville ?

Le rapport du XI Plan([ Béhar 1999)] révélait « l’épuisement de la politique de la Ville comme levier de transformation des politiques publiques ». Plus récemment, le rapport à la Commission des Finances du Sénat sur l’impact des interventions de l’Etat ([Novembre 2007, partie VI)] concluait sur un cadre d’analyse de cette politique « mieux structuré ». Comment évaluer la politique de la Ville : par le traitement des quartiers en difficulté ou la capacité à transformer les politiques ordinaires ? Il est vrai que la matière étudiée est tour à tour un public ([Selon un sondage CSA du printemps 2011, 81% des répondants des communes concernées se déclaraient « satisfaits » des répercussions sur leur qualité de vie des interventions dans ce cadre)], un territoire, un processus?

La diffusion de l’exclusion territorialisée doit elle nous faire conclure à l’échec relatif de la politique de la Ville et donc à son impossible évaluation ?

Les travaux de la Délégation Interministerielle à la Ville (DIV) ont permis de formaliser des processus d’évaluation et des méthodes. En se référant à des grands objectifs nationaux, à des cibles qui conduisent à des programmes d’action évalués selon des référentiels sur des sites donnés. « L’augmentation du niveau de qualification des jeunes sur le territoire » peut ainsi donner lieu à un programme de formation sur x individus (réalisation), évalué par un taux de réussite à un test au sortir de leur cursus (résultat) et la mesure de l’évolution de l’employabilité de cette « cible » (impact).

Plusieurs difficultés liées à la nature de cette politique

Le rapport de la Cour des Comptes (novembre 2007) pointe des évaluations incomplètes sur des objectifs « rabattus » au détriment de l’emploi et au bénéfice de l’insertion par exemple ou le manque d’articulation avec d’autres contrats existants (contrats locaux de sécurité). La DIV surligne elle-même ([Annexe 3, note de cadrage relative à l’évaluation des CUCS, 5 Juillet 2007)] la difficulté de trouver de « bons indicateurs » : disponibles, précis sans être pléthoriques. Comment discerner ce qui résulte des actions menées dans le cadre des contrats, des politiques ordinaires ou du contexte socio-économique ? Quelle légitimité des référentiels quand ils sont construits par rapport à des « villes moyennes » du territoire concerné ? En juillet 2012, le rapport de la Cour des Comptes ([La politique de la Ville : une décennie de réformes, Juillet 2012)] soulignait ainsi que certains outils mis en place tels que la Dotation de Solidarité Urbaine (DSU) n’intégraient pas en amont une évaluation de leur résultat. Les rapports que les collectivités doivent renseigner pour justifier de son utilisation ne comportent pas d’évaluation de réduction d’inégalités prévues par exemple.

Ces difficultés d’évaluation peuvent être dépassées

Des objectifs et des indicateurs ont été mis en ?uvre par la Loi du 1er août 2003 renforcés par une meilleur connaissance de ces politiques par la création de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) et une culture de l’évaluation financée notamment par le ‘programme 147’ de performance. Mais l’évaluation de la Politique de la Ville ne doit elle pas être davantage appréhendée en terme de plus value ?directe ou indirecte- apportée à l’action publique ? Dans ce contexte, l’évaluation d’une « dynamique de rattrapage » tend à cristalliser dans les bassins populaires ou en reconversion des oppositions binaires là où se développe le plus souvent un éventail de fragilités. Elle peut aussi s’avérer vaine dans la mesure où les lieux de décision sont extérieurs aux territoires considérés.

Dés lors que l’évaluation porte sur les actions développées par la Politique de la Ville et ses modes d’action, elle atteint ses objectifs. En termes de mise à niveau des politiques publiques que de dynamiques articulées de développement et de solidarités, son ambition est d’apprécier la qualité conjointe Etat/collectivités signataires vis-à-vis des collectivités « externes ». C’est bien ce déficit d’articulation notamment entre l’effort historique de rénovation urbaine et les volets sociaux que les acteurs de ces politiques ont pointés i ([85% des 31 000 emplois dans le cadre des PNRU résident en zones sensibles, les volumes d’heures réalisés sont bien souvent inférieurs aux objectifs.)] Sa résorption doit être un critère de refonte des réformes à venir.

Vers une territorialisation de la Politique de la Ville ?

A la veille d’une nouvelle carte des quartiers prioritaires de la politique de la ville, le resserrement de la carte qui fait relativement consensus fera des perdants. En temps de pénurie, le repli de l’Etat risque de prendre la forme attendue d’un retrait des crédits « spécifiques » par rapport à ceux accordés dans le cadre du droit commun ([Le rapport de 2012 de la CC pointe l’exemple de l’éducation et des doublons entre Ministère et l’ACSE)]. Dés lors, les territoires risquent de se retrouver en première ligne sans que les cadres d’une gouvernance ne soient posés pour faciliter la cohérence de l’action entre les intervenants (Agences, Ministères…) et la meilleure affectation des crédits (31 euros sont affectés par habitant en Seine-Saint-Denis au titre de la PDV : soit 10 euros de moins que la moyenne régionale). En proie à une crise de ses ressources, le renouvellement de la Politique de la Ville ne passerait-il pas par une territorialisation de sa gouvernance et donc, de ses moyens ?

«?Attention à ne pas réaliser des arbitrages à la hache?»

Des « mini-RGPP » ?

Les difficultés actuelles de financement des collectivités sont-elles un levier pour l’approfondissement de la performance ou existe-t-il un risque de dénaturer la démarche??

Le contexte financier ne pousse pas à la réflexion stratégique?: actuellement, l’urgence financière commande les événements. Le gel des dotations, l’affaiblissement du levier fiscal pourraient à mon sens pousser les collectivités à mener des «?mini-RGPP?». On passe d’une logique de stabilité financière qui permet d’avoir le temps d’analyser la performance des politiques publiques à une situation où, sans action vigoureuse, les comptes ont tendance à dériver rapidement.

Cette évolution a selon moi quatre conséquences.

Tout d’abord, elle incite à procéder à des arbitrages «?à la hache?» plutôt qu’«?à la paire de ciseaux?», c’est-à-dire de tailler dans les dépenses sans en voir toutes les conséquences.

En deuxième lieu, le risque est grand de vouloir faire primer l’annualité sur la pluriannualité, c’est-à-dire l’équilibre budgétaire annuel sur l’analyse de plus long terme des politiques.

En troisième lieu, en privilégiant le court terme, ces mini-RGPP ne sont pas en mesure d’intégrer les effets systémiques de la décision publique, effets qui sont pris en compte dans l’évaluation des politiques publiques, qui demande un investissement important en temps pour mener une analyse ciblée et multidimensionnelle. Enfin, on risque de passer d’une analyse fine à une vision plus globalisante, en imposant un couperet sur l’ensemble des dépenses.

En résumé, ces démarches risquent bien d’être dénaturées?: à la combinaison harmonieuse que constituait leur double nature budgétaire et managériale risque de se substituer une logique uniquement budgétaire, à l’instar de l’État.

Quels sont les grands chantiers qui restent à mener, les outils qui restent à développer pour parvenir demain à des démarches de performance véritablement abouties??

Il reste un travail important à mener en ce qui concerne la mise en place d’indicateurs de performance. Si la plupart des collectivités ont mis en place une segmentation stratégique, la mise en place d’indicateurs de performance est en revanche moins développée (60% des collectivités dans l’étude de l’observatoire de la performance publique locale de 2008). En la matière, il reste un travail important d’appropriation à mener.

Implication citoyenne ?

Comment impliquer davantage demain les citoyens dans les démarches de performance?? Comment mieux les informer sur ce sujet?? Est-il possible de les faire participer??

C’est une problématique difficile. Certaines collectivités ont la volonté de mettre en place ces démarches participatives, mais leur réalisation est particulièrement délicate. Il est nécessaire d’être pédagogue et forcément simplificateur, ce qui est peu aisé s’agissant de politiques publiques complexes par nature. Il est ainsi difficile d’appréhender le succès ou l’échec d’une politique (le critère n’étant pas uniquement financier).

On peut se référer à l’exemple britannique, où il existe un reporting d’indicateurs obligatoires des collectivités locales vers l’État qui vise à montrer le bon emploi des deniers publics. Dans ce pays profondément démocratique où il existe des démarches locales de performance plus matures qu’en France, il est intéressant de noter qu’il n’existe que rarement des dispositifs de participation.

(…)

Cet article a été rédigé par Edouard Thieblemont et le groupe « Evaluation des politiques publiques » de l’INET pour le supplément du magazine « La gazette des communes », spécial « Entretiens Territoriaux de Strasbourg » du mois de décembre 2010. Il est issu d’un dossier dédié aux réformes territoriales réalisé par les élèves de l’INET, l’Institut National des Etudes Territoriales formant les hauts fonctionnaires de la Fonction publique territoriale.

«La performance, c’est avant tout la qualité de service, le bien-être de la population»

Communication et logique de compétition


Quel est votre regard sur les «?démarches locales de performance?» aujourd’hui?? La démarche reste-t-elle cantonnée aux «?grosses?» collectivités?? Est-elle vraiment diffusée en profondeur ou reste-t-elle cosmétique??

Ces démarches se sont vraiment développées depuis 3-4 ans, même si quelques collectivités ont débuté plus tôt. On note une pénétration progressive de la démarche et une diffusion au-delà du cercle des grosses collectivités?: des collectivités de taille plus modeste (20 à 50?000 habitants) nous sollicitent en ce sens.

Malgré cela, la démarche reste souvent cosmétique?: seul un petit nombre de collectivités s’impliquent en profondeur?; dans les autres, la performance est essentiellement un outil de communication à destination des citoyens ou s’inscrit dans une logique de compétition avec les autres collectivités.

Les difficultés actuelles de financement des collectivités sont-elles un levier pour l’approfondissement de la performance ou existe-t-il un risque de dénaturer la démarche??

Je n’aurai pas de réponse tranchée?: les deux sont possibles. La mise sous tension financière peut avoir un effet incitatif plutôt positif?: la nécessité de dégager des marges de man?uvres oblige à faire des choix, alors que jusqu’ici on s’était contenté de réallocations de moyens.

Dans ce contexte, la démarche de performance apporte des outils de pilotage, d’aide à la décision.

Le risque de limiter la démarche au seul prisme financier est toutefois réel, alors que la performance, c’est aussi et avant tout la qualité de service, le bien-être de la population et la réponse à des besoins de services publics.

Dans un article, vous évoquez une démarche «?administrative?» avec un faible portage des élus. Comment parvenir demain à faire intégrer cette dimension??

Si l’on regarde les autres pays, on voit que l’État est au centre du système en Grande-Bretagne, tandis que le modèle nordique donne une place importante au citoyen. En France, on a institutionnalisé ces démarches, essentiellement par mimétisme avec l’étranger et les autres collectivités. Mais, en l’absence de portage des élus, cela reste essentiellement des évaluations à destination de l’administration.

Dès lors, il y a plusieurs solutions. La première est de laisser faire les collectivités. Mais la réussite dépend alors du niveau de conscience des élus?: ainsi, le sénateur Jean Arthuis a mis la performance au c?ur de son action au conseil général de la Mayenne. Mais si l’élu est moins impliqué, la plus-value de la démarche est faible.

La solution semble malheureusement être la promulgation d’une loi, comme je l’ai indiqué lors d’une audition au Parlement. Il faut un corps dédié d’évaluateurs externes, d’auditeurs externes de la performance. Mais plutôt que ces évaluateurs se rendent sur place, ce qui est peu efficace et vécu comme une intrusion, je pense à un mécanisme similaire à celui de la certification?: les auditeurs certifieraient les informations et non les opérations. Ce mécanisme obligerait les collectivités à mettre eux-mêmes en place des dispositifs de production de l’information, de véritables rapports annuels d’activité.

La mise en place d’indicateurs d’efficience nécessite une mesure fiable du coût des actions. Est-ce envisageable sans le levier de fiabilisation des comptes que constitue la certification??

Effectivement, tout est lié. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de l’information locale qui est de faible qualité, à commencer par le compte administratif, qui est peu informatif. Mais il faut une vraie loi sur l’ensemble de cette question de la performance locale. S’il s’agit uniquement comme dans les universités de faire certifier les comptes administratifs par des commissaires aux comptes, la plus-value est très faible. Tout est à revoir dans un cadre cohérent, des comptes à la comptabilité de gestion en passant par le management.

La performance est au c?ur de la rénovation de la gouvernance locale, pour sortir d’un système opaque et, au final, nuisible à la démocratie. Tout cela me fait pencher pour la solution d’un audit étendu (incluant dans son périmètre l’efficacité et l’efficience), à la façon des anglo-saxons, prenant en compte les spécificités publiques et à destination interne (administration et élus) et externe (population).

Cet article a été rédigé par Edouard Thieblemont et le groupe « Evaluation des politiques publiques » de l’INET pour le supplément du magazine « La gazette des communes », spécial « Entretiens Territoriaux de Strasbourg » du mois de décembre 2010. Il est issu d’un dossier dédié aux réformes territoriales réalisé par les élèves de l’INET, l’Institut National des Etudes Territoriales formant les hauts fonctionnaires de la Fonction publique territoriale.