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Prévenir et éduquer

Expertise et indépendance

Quand on aura réglé les questions majeures et graves de l’indépendance de l’expertise, de la rigueur scientifique de l’information, de la formation et de la recherche médicale, de la protection des lanceurs d’alerte, alors restera encore à poser sérieusement la question de l’application du principe de précaution en matière de santé et à mener une réflexion technique et éthique pour limiter les risques de l’utilisation de nouvelles thérapeutiques, d’autant plus si celles-ci ne concernent pas des maladies particulièrement graves?

Plus généralement, l’affaire du Médiator prouve tragiquement que la logique ultralibérale ne peut pas suffire à répondre aux besoins collectifs de la population. En matière de santé, l’acharnement idéologique dans ce domaine est particulièrement coupable parce qu’il a des conséquences dramatiques et sacrifie des vies.

L’État et les politiques ont à se réapproprier une capacité d’intervention sérieuse dans le domaine de la santé, en se dégageant de l’influence de l’industrie pharmaceutique.

Il s’agit de mettre en place une politique de santé moderne, limitant la surconsommation de soins inutiles ou dangereux, pour développer une véritable politique de prévention orientée vers l’éducation pour la santé et la protection de l’environnement.

Pistes pour une réforme des politiques de la santé

Ainsi, un certain nombre de réformes deviennent de plus en plus indispensables :

– Il n’est pas acceptable qu’une partie importante des médecins fasse davantage confiance à la publicité de l’industrie pharmaceutique qu’au travail scientifique de la revue Prescrire, revue réellement indépendante et dont la fiabilité ne peut pas être mise en cause. Ne sont pas acceptables les énormes budgets publicitaires actuels de l’industrie pharmaceutique, permettant d’envoyer des agents de publicité intitulés « visiteurs médicaux » dans tous les cabinets médicaux, auprès de chaque médecin qui accepte de les recevoir, de même que dans les services hospitaliers, auprès des médecins hospitaliers, ainsi que des étudiants en médecine, organisant le plus tôt possible la confusion entre formation médicale et publicité. Ces budgets permettent aussi de financer la plupart des revues médicales et les congrès médicaux ou paramédicaux. Ces budgets étant inclus dans le prix des médicaments, ils sont financés par la sécurité sociale !

De la même manière, l’industrie pharmaceutique justifie souvent le prix des médicaments par les dépenses de recherche, mais une grande partie de cette recherche est orientée vers des intérêts commerciaux davantage que vers les bénéfices à attendre pour la santé publique.

Dans ce contexte, il est nécessaire de restreindre les budgets publicitaires en réduisant le prix des médicaments et de dégager ainsi des budgets publics servant à développer une politique publique de recherche, d’information et de formation médicale.

– Il n’est pas acceptable de laisser perdurer une possible confusion entre l’expertise technique et les intérêts industriels dans les cabinets ministériels, dans les agences de l’État ou dans les commissions d’experts.

L’ensemble des déclarations d’intérêt des membres de ces instances doivent être accessibles au public, une réglementation doit imposer de les limiter dans chaque instance et des sanctions importantes sont à prévoir en cas de manquement à ces déclarations. Par ailleurs, s’il est compréhensible qu’on puisse vouloir changer de travail, il est nécessaire d’interdire de quitter une responsabilité publique dans un domaine donné pour prendre directement un poste de responsabilité servant des intérêts privés dans le même domaine.

– Il n’est pas acceptable que les « lanceurs d’alerte », professionnels qui font la preuve à la fois d’une expertise et d’une exigence éthique, puissent être l’objet de dénigrement, d’intimidation, voire de menaces.

Une nouvelle réglementation est à mettre en place sur cette question et il suffit pour cela d’appliquer la loi proposée par les élus Europe Ecologie ? Les Verts puisqu’un amendement déposé par Les Verts dans la loi Grenelle 1, et voté à l’unanimité, prévoit une instance spécifique de garantie de la qualité de l’expertise qui aura pour mission :

– la garantie d’indépendance (vérification des déclarations d’intérêts et des protocoles);
– la protection des lanceurs d’alerte et une suite donnée à leurs alarmes;
– la médiation en cas d’expertises contradictoires voire la commande de nouvelles recherches

Un système de santé malade : comment s’en sortir ?

Car, enfin, le problème ne date pas d’hier et l’on ne peut pas dire que l’on ne savait pas. Le Médiator était, dès le départ, le cousin germain de médicaments interdits car réputés dangereux. De plus, il n’avait pas d’intérêt sur le plan thérapeutique. La seule revue française d’information médicale réellement indépendante de l’industrie pharmaceutique, parce qu’elle ne vit pas de la publicité, Prescrire, faisait le point sur le Mediator dès 1997.

Les politiques ont failli à leur mission et le système d’expertise et d’autorisation des médicaments en France répond davantage aux intérêts financiers de l’industrie pharmaceutique qu’aux objectifs d’une politique de santé pour la population. Il est plus qu’étonnant de voir le ministre de la santé actuel, Xavier Bertrand, se scandaliser et promettre la transparence maintenant que l’affaire est en procès, alors qu’il a lui-même décidé de poursuivre le remboursement de ce médicament en 2005, contre toute logique de santé et contre toute logique de gestion de la sécurité sociale.

Conflit d’intérêt

Le fait que deux experts de son cabinet ministériel étaient liés professionnellement aux laboratoires Servier n’y est sans doute pas étranger? Il est certain que, au moins depuis l’année 2008, le laboratoire pharmaceutique Servier a en effet poursuivi ses objectifs de bénéfices financiers de façon cynique, au mépris de la santé de la population, puisque il ne pouvait pas ignorer les données scientifiques objectives.

La carence des politiques publiques en matière de santé est attestée par le fait que Jacques Servier, PDG de l’entreprise, a été décoré de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy en juillet 2009, alors que toutes les connaissances étaient disponibles, ceci après que Nicolas Sarkozy ait travaillé en tant qu’avocat pour ce même laboratoire Servier !

Tous ces faits sont établis et sont maintenant en lumière sur la place publique. Les procès se tiendront et la justice indemnisera les malades, ce qui est la moindre des choses.

Mais il faut aussi se demander pourquoi le système de santé français dysfonctionne à ce point, depuis si longtemps, et malgré les scandales précédents comme les morts du sang contaminé ou de la canicule. On ne peut pas en rester à la dénonciation ponctuelle de scandales à répétition et il faut aujourd’hui mettre en lumière les causes dysfonctionnements pour amener des réformes qui ne soient pas de la poudre aux yeux.