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Transports publics régionaux : les moyens d’une nouvelle ambition

Poussés à la périphérie de nos centre ?ville, les citoyens aux revenus modestes et de plus en plus de classes moyennes vivent au quotidien le séparatisme social. Il trouve sa traduction en terme de «bagnole », seule solution pour se déplacer vers des logements dévalorisés, et source de dépenses pour les ménages. En Ile de France, un quart du réseau est déjà à saturation et les conditions de voyage se dégradent sur un nombre croissant de lignes. L’article 11 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en ?uvre du Grenelle de l’environnement encourage désormais la participation des Régions aux charges de régénération du réseau.

Mais avec quel argent ?

Pour éviter la dispersion des ressources, la réforme territoriale en cours aurait pu simplifier la carte de notre organisation administrative. Il n’en sera rien. Dans son rapport du mois de novembre 2009, la Cour des Comptes reconnaît que «s’agissant des transports non urbains de personnes, en l’état actuel du droit, il conviendrait que régions et départements recherchent une meilleure complémentarité entre les services organisés par les seconds au titre de leur compétence de droit commun en matière de transports par car, et les services routiers de substitution au »ferroviaire qui relève des premières ». L’exemple de l’imbroglio sur la question du contournement de la capitale révèle à quel point le Gouvernement se défie des collectivités, en comprend mal leur logique volontariste et démontre, dans ce domaine également, que le mouvement n’équivaut pas au changement.

Mais il y a plus grave encore. Le volet fiscal de cette réforme territoriale a consisté à supprimer toute possibilité d’utiliser le levier de l’impôt pour assumer la compétence Transports qui constitue aujourd’hui plus du quart du budget des Régions. Comment dès lors assumer cette responsabilité au «c?ur de métier régional » sans affecter nos autres priorités, notamment dans le domaine de l’emploi et du logement ?

Dégradation des conditions de transports, besoin d’une forte remise à niveau de nos infrastructures et des matériels tout en garantissant une participation équitable aux voyageurs. Dans un contexte d’attaque frontale de la droite sur les collectivités locales et de réduction d’autonomie fiscale, la tentation du statu quo n’est pas la nôtre.

A l’heure des transitions écologiques et sociales que nous souhaitons accompagner, pour créer des emplois tout en «décarbonant » nos économies, nous devons tout à la fois répondre aux urgences du moment, liées à la croissance du trafic et préparer l’avenir : celui d’une société moins addictive à la voiture et plus économe en ressources.

Cartes grises

Pour répondre à ces défis, nous faisons le pari de l’efficacité et de la solidarité. L’ensemble de nos collectivités collecte chaque année près de 2 milliards d’Euros au titre des Cartes grises pour un tarif moyen de 34 euros par cheval vapeur. Chaque année, beaucoup de Présidents de Régions ont l’?il rivé sur le tarif des voisins afin de pratiquer (ou d’empêcher), disons-le puisque c’est la réalité, un dumping fiscal pour s’attirer les immatriculations. Cette politique du moins disant fiscal, nous la condamnons quand le gouvernement la pratique. La cohérence et l’efficacité nous demandent d’interrompre cette spirale d’une concurrence qui assèche nos budgets régionaux et bride notamment notre effort en faveur de nos trains.

Pour cela, nous proposons une harmonisation des tarifs régionaux de Carte Grise en les alignant sur le tarif de 50 euros. Parce que nous sommes conscients que nous devons préserver les autres domaines d’intervention de nos collectivités, nous proposons de les affecter à un fonds commun des Régions, porté par un établissement public, et entièrement dédié aux Transports publics par le rail. La mise en commun d’une telle ressource au sein d’une «Caisse régionale des transports » présenterait bien des avantages. Elle serait une réalisation commune issue d’une volonté commune de nos collectivités de franchir ce plafond de verre du financement des besoins en transports collectifs. Elle représenterait un montant supplémentaire proche de 700 millions d’euros qui autoriserait cette «Caisse régionale des Transports » de lever des ressources sur les marchés financiers de l’ordre de 12 fois supérieur.

8 Milliards d’Euros. Cette somme est considérable : elle permettrait d’accroître d’un quart la capacité d’investissement totale de l’ensemble des Régions de France sur cette mandature. Isolée dans un fonds commun régional, cette ressource financerait nos équipements en transports collectifs par la taxation de la voiture. Voilà comment concrètement on pourrait financer notre effort de conversion des trafics de la route vers le rail et autres sites propres. Au-delà de l’intérêt pédagogique et financier d’un tel dispositif, notre proposition est également un acte concret de solidarité passé entre les Régions. Laissons de côté la question de la répartition régionale de cette nouvelle ressource que nous proposons de collecter. Si toutes n’ont pas en effet les mêmes besoins en matière de transports collectifs, elles pourraient ainsi bénéficier de la qualité de signature des plus importantes d’entre elles pour en collecter un financement abondant au meilleur prix.

Parce que l’imagination et la solidarité restent nos meilleures armes pour ?uvrer à la conversion écologique des territoires,nous appelons à ce mouvement qui loin de rallonger la liste déjà longue des souffrances des salariés et des familles doit être une nouvelle source d’émancipation et de progrès social.

Cette tribune a été publiée le Jeudi 2 juin 2011 sur Lemonde.fr

Vers une nouvelle bataille du rail…

Un « gouffre financier »?

Le rail est régulièrement dénoncé comme un « gouffre financier ». L’intervention récente de l’économiste Rémy Prud’homme ([La Tribune du 27 mars 2011)] en fournit un bon exemple. Selon lui, le rail coûte 10 milliards par an au contribuable, et un ou deux milliards seulement pourraient être économisés par une meilleure gestion de la SNCF. Plus fondamentalement, se fondant sur l’exemple britannique, il met en cause la technologie ferroviaire elle-même.

Le train est un mode de transport guidé et circulant en site propre. Cette double caractéristique lui apporte une très grande sécurité, la vitesse, le confort, une capacité élevée qui lui permet d’absorber les pointes de trafic, enfin ? et ce point essentiel est trop méconnu – un rendement économique croissant avec le volume du trafic. Inversement elle implique des rigidités et des fragilités. Le rail est « unidimensionnel » (un train ne peut pas en doubler facilement un autre) et il est très sensible aux perturbations extérieures : actes de malveillance, agressions de contrôleurs, usage intempestif du signal d’alarme, suicides, manifestations, imprudences des usagers de la route aux passages à niveau,…

Souffrant de sous-investissement chronique, contrairement à la route et à l’aérien, le rail est aujourd’hui handicapé par l’état de ses infrastructures. Faute d’entretien, les performances de nombreuses lignes se sont dégradées. Depuis dix ans, le nombre des trains a augmenté plus vite que la capacité du réseau, et bien des n?uds ferroviaires sont saturés. Insuffisamment modernisée, la signalisation n’apporte pas la souplesse d’exploitation nécessaire. Les nombreux travaux en cours perturbent l’exploitation. Le maillage du réseau s’étant appauvri, un simple incident peut avoir un impact très grave sur le trafic.

De longue date, la SNCF est incitée par les pouvoirs publics à faire des économies à court terme qui finissent par peser sur les performances du train : suppressions de services déficitaires, de gares et de lignes ; disparition des réserves de personnel et de matériel roulant au mépris des règles de base de l’exploitation ferroviaire.

Une rigidité liée à une complexité de la gestion

Le rail est également handicapé par la complexité croissante de sa gestion, partagée entre de multiples institutions aux visions et intérêts souvent contradictoires : SNCF et exploitants concurrents, RFF, DCF, DGITM, ARAF, EPSF, régions,… ce qui accentue sa rigidité structurelle. Il souffre, de longue date, d’une absence de politique des transports clairement définie. Le Schéma national des infrastructures de transport constitue une première approche de coordination des investissements ferroviaires, routiers et aéroportuaires, mais on y trouve encore trop de projets inutilement concurrents. Les régions subventionnent le TER tout en aidant leurs départements à financer leurs routes ; ces derniers développent leurs services d’autocars et décident de leur tarification sans coordination avec le TER.

Enfin le rail est pénalisé par des conditions inéquitables de concurrence avec les autres modes. Le kérosène consommé par les avions est le seul carburant pétrolier à ne pas être taxé. L’automobiliste ne paie, en moyenne, qu’un tiers des coûts qu’il génère (et beaucoup moins dans les zones denses). Le camion est subventionné lui aussi par la collectivité. Le rail paie seul sa sécurité (2,5 milliards d’euros par an), alors que le coût de la sécurité routière est supporté par la collectivité([ 2,5 milliards d’euros, moins 1 milliard de recettes des amendes)]. Les accidents de la route coûtent environ 25 milliards par an à la collectivité, dont un à la charge de la Sécurité Sociale.

Outil à frais fixes élevés mais à rendement croissant, le rail peut fonctionner de manière économique, on le vérifie en Allemagne, aux USA, au Japon. S’il coûte cher aujourd’hui en France, ce n’est pas parce que sa technique est dépassée (les succès commerciaux du TGV et du TER le prouvent), mais parce qu’il est mal géré par la collectivité, qui ne sait pas valoriser ses atouts techniques, sociaux, énergétiques et écologiques.

Au lieu d’obérer ses possibilités de développement en limitant les investissements qui lui sont nécessaires, et de le priver ainsi d’une part importante de sa clientèle et de ses recettes naturelles, il faut d’une part lui redonner de la souplesse et d’autre part en faire l’ossature du système de transport à moyenne et longue distance en massifiant davantage ses trafics voyageurs et fret.

« C’est la technologie du train qui est en cause »

Pour cause de trains bondés, sales, bloqués, retardés, en grève, vides, etc., les citoyens, les médias, bientôt les politiques, crient haro sur la SNCF, et parlent déjà de brûler Pepy – comme Savonarole à qui il ressemble étrangement. C’est se tromper de motifs, et de cible.

Ces dysfonctionnements, évidemment très pénalisants pour les usagers, sont les arbres qui cachent la forêt. Ce qui est grave, c’est surtout le coût du rail, et la ponction considérable qu’il exerce sur nos finances publiques. En simplifiant beaucoup, les dépenses du fer s’élèvent chaque année à plus de 20 milliards d’euros (dont 9 milliards pour les seuls salaires), alors que les recettes du fer, c’est-à-dire ce que payent les usagers, se montent à 10 milliards d’euros. Le rail couvre seulement la moitié de ses coûts. Il est donc financé par le contribuable – ou par l’augmentation de la dette publique, ce qui revient au même – à hauteur de plus de 10 milliards par an. Un développement non durable.

Un coût des TER 30% supérieur à celui des concurrents européens

Comment distinguer dans ce trou de 10 milliards ce qui provient de la gestion de la SNCF de ce qui s’explique par la technologie du rail ? L’opinion publique, qui aime les boucs émissaires, rend la SNCF responsable de ce gouffre récurrent. L’exemple du Royaume-Uni suggère que c’est au contraire la technologie du rail qui est en cause.

Non que la SNCF soit totalement innocente. Cette respectable maison cogérée par l’École polytechnique (c’est, dit-on, l’entreprise qui emploie le plus grand nombre de polytechniciens) et par la CGT, sous la houlette d’énarques politiques, n’est certes pas un modèle de gestion. Rigidités, salaires élevés, temps de travail réduits, placards dorés, luttes intestines, etc.e riment pas avec efficacité et productivité.

La SNCF elle-même reconnaît, dans une note « interne » devenue publique, que le coût de ses TER (transport express régional) est 30% supérieur à celui de ses concurrents européens. Il y a certainement beaucoup de boulons à serrer à la SNCF. Mais il y a aussi beaucoup d’intelligence, de dévouement, de connaissances, mobilisés à la SNCF. On y serre déjà des boulons : les salaires réels, par exemple, y augmentent plutôt moins vite qu’ailleurs. Il ne faut pas exagérer l’importance des gains à attendre d’une meilleure gestion. Le surcoût de 30% avoué porte sur les TER, pas sur les autres lignes (où il est sûrement moins élevé), et il ne concerne que les coûts de fonctionnement, pas d’investissement. Il y a peut-être 1 ou 2 milliards à économiser, probablement pas davantage.

Pour expliquer les 8 ou 9 autres milliards, il faut regarder du côté de la technologie. Le fond du problème est que le rail, qui consomme à la fois beaucoup de capital et beaucoup de travail, est une technologie coûteuse. C’est ce que montrent les exemples étrangers, de la Suisse à la Chine en passant par l’Allemagne. Concentrons-nous sur le cas du Royaume-Uni, le pays qui a inventé le chemin de fer. Les dépenses annuelles du rail y sont d’environ 14 milliards d’euros, les recettes de 7 milliards. L’activité du rail est 60% de ce qu’elle est en France. Les coûts unitaires, c’est-à-dire les coûts à la tonne/km ou au passager/km, sont donc encore plus élevés (d’environ 20%) au Royaume-Uni qu’en France. Les prix également. La part des coûts payés par le contribuable est la même qu’en France : la moitié. La principale différence est que ces résultats pitoyables sont affichés au Royaume-Uni et cachés en France.

« Les anglais aussi mal que nous »

En matière ferroviaire, nos amis anglais font donc aussi mal que nous. Cependant, depuis près de vingt ans, ils n’ont pour gérer le rail ni polytechniciens, ni CGT, ni énarques, mais de bonnes entreprises capitalistes. Le fonctionnement de leurs chemins de fer n’est pas assuré par une lourde SNCF étatique, mais par une vingtaine d’entreprises privées soumises à une vive concurrence. Le réseau ferré y a été possédé et géré par une entreprise privée, Railtrack, mais elle fonctionnait si mal qu’on a dû la renationaliser, ce qui n’a d’ailleurs guère amélioré son efficacité.

Le cas anglais devrait faire réfléchir ceux qui pensent que la gestion de la SNCF est la source de tous nos maux ferroviaires. Il suggère fortement que la source de ces maux est dans le fer lui-même, en tant que technologie souvent obsolète. Les vrais responsables sont ceux, et ils sont nombreux dans les régions, dans le pays et en Europe, qui veulent à tout prix augmenter l’importance du rail. Demander à la SNCF et à RFF de doubler le trafic ferroviaire et en même temps de réduire les subventions au rail, c’est demander l’impossible, et nous condamner à l’échec.

Article paru dans La tribune le 27 mars 2011.