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Olivier Ferrand : « on manque d’idées neuves ! »

Terra Nova a reçu le mercredi 29 juin le trophée du « think tank français de l’année » (Dans le cadre de la première « cérémonie des Trophées des Think-Tanks », organisée par l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie, l’Observatoire français des think-tanks et le groupe i&e.) qui salue trois années de travaux et une remarquable stratégie de communication. Dans un paysage marqué par l’émergence de quelques acteurs de taille moyenne et une kyrielle de micro-structures, Olivier Ferrand, son Président, revient dans cet entretien exclusif accordé à Novo Ideo sur la place particulière du think tank dans l’écosystème intellectuel et les facteurs d’une réussite. Pour que « les idées aboutissent sur la table des partis » : mode d’emploi.

Les quatre vagues des think tanks

Ils sont historiquement nés pour « faire avancer une idée jugée essentielle par les milieux intellectuels, mais que les décideurs politiques n’avaient pas encore perçue clairement »([Les think tanks. Cerveaux de la guerre des idées, par Stephen Boucher et Martine Royo Ed. le Félin, 2006, 118 p., 9,90 euros.)].

Stephen Boucher et Martine Royo établissent un historique du phénomène en révélant un certain retard français.

Le plus ancien « think tank » recensé, la Fabian Society, a été créé en Grande-Bretagne en 1884 pour favoriser le changement social après la révolution industrielle. Sa première étude paraît en 1889, à la suite des manifestations des ouvrières de l’industrie des allumettes. En 1900, la Fabian Society se joint aux syndicats pour fonder le Parti travailliste qui influence directement la création du premier système social en 1911

Après la seconde guerre mondiale, le concept de « think tank » se développe rapidement en relation avec la volonté américaine de rompre avec l’isolationnisme de Washington : création en 1946 de la Rand Corporation, directement financée par le Département de la défense, et particulièrement novateur pour l’époque dans l’utilisation des méthodes dites quantitatives.

La troisième vague de création de « think tanks » a lieu après les chocs pétroliers des années 1970, se font plus spécialisés et défendent des points de vue particuliers. On parle alors de la naissance des « advocacy tanks » qui ne sont plus les réservoirs de pensée mais d’arguments , leur développement tient davantage aux clivages politiques. ([Il en est ainsi de la très conservatrice Heritage Foundation, créée en 1973.)]

La quatrième vague de création de « think tanks » aux Etats-Unis et en Europe s’est produite dans les années 90, après la chute du mur de Berlin , dans un contexte où la puissance des pays occidentaux s’établit dans un environnement mouvant et de nouveaux acteurs émergents (Chine?). L’effondrement des régimes communistes a provoqué une vague de création dans les ex-pays de l’Est : ces think tanks ont fortement influencé l’agenda des privatisations, etc.

La période actuelle est aussi marquée par une internationalisation croissante de ces centres de recherche à vocation opérationnelle. Les « think tanks » spécialistes de l’UE sont ainsi passés d’une dizaine fin des années 80 à plus d’une cinquantaine aujourd’hui en participant à l’élaboration des normes de décisions à Bruxelles.

PROCHAINEMENT

En France, les think tank sont pauvres. Pourquoi ? Le patron de Terra Nova reviendra la semaine prochaine sur les modèles économiques existants. Face au risque de perte d’indépendance, les contours d’un système de financement novateur, citoyen, sur le modèle de la précédente campagne de Barack Obama. Puis nous poursuivrons cette série de podcasts en répondant aux questions de la possible concurrence entre think tanks. Olivier Ferrand dévoilera enfin pour nos lecteurs-trices les priorités de Terra Nova pour 2012.

Les pionniers

Nombre de « laboratoires à idées » se sont installés à Bruxelles et peinent à renverser cette situation d’omniprésence de centres anglo-saxons. D’autant que relativement peu d’entre eux font de la recherche et lancent de nouvelles idées. Selon Youssef Aït Akdim (« A quoi servent les think tanks », Le temps, septembre 2009)] « les espaces d’expression et de débat publics ont du mal à émerger. Ce qui pousse certains à prendre la forme d’agences d’événementiels, multipliant colloques, conférences à l’impact médiatique rapide, sans travail d’accompagnement éditorial ou autre ».

Quelques « pionniers » tels que le Center for European Politics Studies (CEPS) impriment au contraire leur influence en proposant dès la fin des années 80 les grandes lignes de ce qu’allait devenir l’Union économique et monétaire.

Le paradoxe est que les « think tanks » les plus influents sont presque tous d’origine britannique, pays qui, de par sa relation spécifique avec les Etats-Unis, a développé le plus un refus vis-à-vis de politiques européennes intégrées.

Il a fallu attendre 2005 pour qu’on voit apparaître à Bruxelles des centres de recherche ouverts à l’influence d’autres pays européens. [Bruegel (Brussels European and Global Economic Laboratory) est particulièrement actif. Il est dirigé par le français Jean-Pisany-Ferri, né d’une initiative franco-allemande, il est d’obédience sociale-démocrate. Quant à l’IFRI, centre français, il dispose d’une déclinaison européenne (Eur-ifri). Ces deux « labos à idées » travaillent sur « le modèle social européen ».

Ailleurs, en Europe, l’Allemagne a une place particulière : l’Etat et les lânders financent des centres de recherche dont une multitude est spécialisée et certains sont proches des partis politiques (Pour les Verts : le Heinrich boll stiftung doté d’un budget de plus de 40 millions d’euros)]. Les plus connus sont néerlandais telle la fondation Cicéro qui étudie surtout les relations internationales. En Belgique, la fondation écolo [Etopia est structurée sur une base proche de sa cousine allemande et développe un modèle économique fondé sur la formations auprès d’élus.