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Enjeux et portée d’une politique de santé autour du cannabis

12 millions de Bobos !

 

Le sujet, pourtant important, est traité par dessus la jambe, comme une affaire de m?urs, de morale. J’entends que « le chichon, ce n’est pas la priorité », que « Cécile Duflot cible les bobos du Canal St-Martin pour se faire élire ». En gros, qu’un truc qui concerne 12 millions de consommateurs occasionnels, génère 800 millions d’euros de chiffres d’affaires en économie souterraine et occupe une bonne partie des tribunaux ne serait pas important.

Pourtant, en parlant du cannabis on touche un sujet de société qui va de la santé publique à la sécurité, en passant à l’utilité de nos forces de police et de leur activité. Faut-il continuer à demander aux agents de serrer des adolescents pour 15 grammes, engorger les tribunaux avec des petits dealers, ou les laisser se concentrer sur des choses sérieuses, sur les vrais problèmes ?

Les drogues, un problème de santé publique

Il ne vient évidemment à personne l’idée d’inciter qui que ce soit de consommer un psychotrope. Tout comme personne ne songe à inciter à l’alcoolisme ou à fumer comme un pompier. Mais on constate aujourd’hui l’échec magistral des politiques de répression en France et de la guerre à la drogue en Amérique, pour ne prendre que ces deux exemples.

En effet, selon une étude européenne publiée et résumée par Le Monde, la consommation des drogues augmente en France.

25% DE HAUSSE DE LA CONSOMMATION EN QUATRE ANS

 

L’enquête réalisée par le Conseil suédois pour l’information sur l’alcool et les autres drogues, compare 36 pays. Selon des chiffres provisoires que Le Monde s’est procurés par un biais non officiel, l’évolution sur le cannabis est particulièrement problématique: l’expérimentation est en hausse de 25 %, le nombre de jeunes ayant consommé au moins une fois le produit passant de 31 % à 39 % en quatre ans. L’augmentation est même de 60 % pour la consommation au moins une fois par mois (de 15 % à 24 %).

Les causes d’une telle augmentation de la consommation de tous les psychotropes ? Une politique centrée sur l’interdiction absolue, des dangers irrationnels par rapport à une consommation régulière et qui fait l’impasse sur l’environnement et les raisons profondes des addictions.

« Je sais que nous pouvons être accusés de partialité, car nous n’étions pas d’accord avec la politique menée, mais l’enquête Espad montre bien que celle-ci n’a pas fonctionné », relève Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération addiction, une fédération d’intervenants du secteur. Il estime que la Mildt a faussement fait croire que la France, grâce à l’accent mis sur la répression des usages de cannabis, réussissait à résister. Résultat, elle est surtout, selon lui, passée « à côté de ce qui constitue le gros problème »: « l’environnement addictogène » dans lequel évoluent les adolescents dans une société qui favorise les sensations fortes et l’hyperconsommation (jeux vidéo, « binge-drinking », etc.).
«
« Le problème est que l’objectif a été d’éviter à tout prix le premier usage, alors qu’essayer le cannabis est un signe d’identification chez les jeunes, sans suivi après. Il est pourtant primordial de détecter précocement les usages réguliers » Jean-Michel Costes, directeur de l’OFDT de 1995 à 2011.»

Il critique « une politique qui n’a rien donné sur le cannabis et qui a laissé filer les consommations des drogues légales ». Une focalisation sur le cannabis critiquée par les spécialistes, alors que le tabac est une porte d’entrée vers cette substance, et que les jeunes sont des polyconsommateurs.

Le communiqué de la Fédération addiction, Adolescents : alcool, tabac, cannabis? Agir autrement ne défend pas autre chose qu’une cohérence globale à propos de toutes les substances psychoactives, drogues, tabac, alcools. Une politique de santé cohérente en fait, centrée sur les dangers réels auxquels s’exposent les consommateurs plutôt que sur des interdictions obsolètes et quasiment morales.

UNE PROHIBITION INEFFICACE ?

 

Quel est le point commun entre Sevran aujourd’hui, le Baltimore et le Chicago des années 1930 ? L’interdiction d’un type de produit qui conduit à la constitution de mafia qui pourrissent des quartiers entiers de la ville, corrompent jusqu’aux plus puissants.

Dans l’extrait suivant de The Wire, un commissaire explique à un agent que la lutte policière contre les drogues ne sert à rien. Pas plus que la Prohibition américaine contre l’alcool n’a empêché sa consommation ni la constitution de puissantes mafias, dont le célèbre Al Capone.

C’est exactement le discours de Stéphane Gattignon, maire de Sevran, qui avait remis le débat sur le tapis en 2010. Son statut de « maire de banlieue » et d’ancien du PCF le protégeait des procès en bien-pensant des beaux quartiers, bobo-écolo. La réalité des quartiers quadrillés par les dealers, où les garçons de 12-13 ans font le guet et les grands-mères servent de nourrice aux paquets, lui et ses équipes la connaissent.

Les positions de Gattignon lui avaient valu le soutien d’un prof de pédiatrie via Le Monde, preuve que le débat sur la santé n’est pas si fermé que ça. L’utilisation thérapeutique du cannabis est d’ailleurs possible dans de nombreux pays, et même Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, soutient aujourd’hui Duflot sur cette question médicale.
Les drogues, un problème pour les démocraties

Un passage de la tribune de Stéphane Gattignon, Le trafic se porte bien, comment va la démocratie ? doit nous intéresser tout particulièrement :

« Dans nos territoires, qui a vraiment le pouvoir dans telle ou telle rue, entre telle et telle barre HLM ou copropriété dégradée ? Sait-on qu’un bail d’emplacement de vente de drogue peut se revendre 25 000 euros ? Le trafic va bien ! Pas la démocratie. Nous « comptons » les victimes des règlements de comptes. Les groupes de vendeurs de produits stupéfiants se multiplient. Les armes en circulation sont des gros calibres, des fusils à pompe genre Uzi achetés via les filières de l’Est ou autres Magnum barbotés au grand banditisme avec gilets pare-balles et tout l’attirail nécessaire à la guerre des microgangs. C’est aussi à coups de pied et de poings qu’on tue. C’est à coups de parpaing qu’on casse les têtes. Le lynchage et la lapidation lourde font partie des usages de la vengeance localière.»

La fin de l’état de droit sur des zones entières. Toute proportion gardée, c’est ce qui s’est passé au nord du Mexique où les combats de l’armée mexicaine contre les trafiquants de drogue conduit à une quasi guerre civile, où journalistes et simples citoyens blogueurs ou twittos sont massacrés.

FINANCEMENT DES TALIBANS

 

Ce qui se passe au Mexique peut arriver au Sahel, au Cap vert, en Guinée Bissau. C’est peut-être déjà le cas dans les zones de chaos où gouvernent des chefs de guerre. Les Taliban afghans se financent en partie grâce à la culture du pavot.

Certes, les situations françaises et mexicaines ne sont pas comparables, ni le shit et la cocaïne ou l’héroïne, mais alors que le Portugal a réussi à s’en sortir et que l’Onu pointe l’échec des guerres à la drogue, nous devons chercher des solutions au-delà de la morale qui soit satisfaisante à la fois en terme de santé publique, de sécurité et de protection de la démocratie.

Quelles solutions ?

Dépénalisation, réglementation, légalisation… peu importent les termes : il faut oser le débat tant la situation actuelle n’est pas tenable. Il est possible de faire preuve d’imagination.

En 2006, Malek Boutih, qui aime bien sortir des rails, sortait un rapport sur une filière 100 % française du chanvre :

pour M. Boutih, le cannabis  » est la clé de voûte de la ghettoïsation et de l’insécurité dans les quartiers populaires ».

Plutôt que sa dépénalisation, il recommande donc une « régulation » par l’Etat et lance quelques idées audacieuses, inspirées du modèle néerlandais, pour « une nouvelle filière agricole ». Le responsable socialiste imagine ainsi des « coopératives chanvrières outdoor (plein champ) » cultivées par des agriculteurs « sur des surfaces sécurisées » et « restreintes à 2 hectares ». Ces coopératives « garantissent la production de masse du haschich et de l’herbe de consommation courante ». Des « chanvrières sous serres », limitées à « 1 hectare », permettraient de cultiver des « boutures de variétés de cannabis » et de « soutenir la concurrence qualitative avec les marchandises d’importation ». Enfin, toujours « indoor » (sous serre), des horticulteurs exploiteraient des surfaces de 500 m2, et les producteurs « indépendants », 50 m2. Pour les particuliers, « une surface de 2 m2 de floraison « indoor » et 10 pieds « outdoor » par foyer semble une limite raisonnable, précise le rapport. Les cannabiculteurs les plus passionnés devront se professionnaliser. »

LA PISTE DE LA REGULATION

 

Côté distribution, des « associations pourront ouvrir des clubs de consommateurs », de 18 heures à minuit en semaine, jusqu’à 2 heures le week-end, à condition de ne faire aucune publicité extérieure.

Plus récemment, un journaliste de Slate tente d’imaginer une filière française du cannabis. Hélas, l’auteur de l’article oublie de citer les multiples utilisations du chanvre autre que la fumette : cordage, tissage, papier, construction… Une filière française du chanvre serait même bonne pour la Made in France !

Retrouvez les contributions d’Adrien Saumier sur son blog : http://adriensaumier.fr/index.php?

Une vision écologiste de la santé

Pourquoi le cancer et les maladies cardio-vasculaires progressent quatre fois plus vite que les changements démographiques ? L’Organisation Mondiale de la Santé évoque une « catastrophe imminente » liée aux maladies chroniques dont les causes sont liées à notre environnement notamment l’utilisation de pesticides, de sels, etc.  Entretien avec Andre Cicolella, chercheur en évaluation des risques sanitaires à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS).

Andre Cicolella

« Avoir une vision écosystémique de la santé, c’est prendre en compte la santé de la planète et c’est tout à la fois œuvrer en faveur d’équilibres durables de nos régimes sociaux »

Andre CicolellaChercheur en évaluation des risques sanitaires

l’affaire des éthers de glycol

André Cicolella, on vous connaît depuis 1994 pour avoir mis sur la place publique l’affaire des éthers de glycol : vous aviez pointé la toxicité de ces composants chimiques alors contenus dans de nombreux produits non-alimentaires courants. Pouvez-vous nous raconter cette affaire ? Vingt ans après, quelles conclusions en tirez-vous pour la santé publique ?

Une vision écologiste en matière de santé

Votre expérience de chimiste et de lanceur d’alerte vous a amené à écrire et à vous engager : vous êtes l’auteur en 2013 de Toxique Planète – Le Scandale invisible des maladies chroniques (Le Seuil). Selon vous, qu’est-ce qu’une vision éco-systémique en matière de santé ?

Entretien : Jean-Marc Pasquet

Image : copyright FTV

Montage : La fabrique documentaire

 

La pollution tue en ville

Péril sanitaire.

On sait depuis les études Apheis ([Etude sur 26 villes européennes, 2002)], Erpurs (Etude pilotée par l’Observatoire régional de la santé en Ile-de-France, 2009) et Aphekom (2009/2011) ([Etude regroupant 60 équipes de recherche)] que la simple réduction du niveau des polluants à la norme de l’OMS permettrait de rallonger la durée de vie d’un homme (vivant à Paris, Lille, Lyon ou Strasbourg) de 30 ans de 6 mois!

Ces études suggèrent que les polluants induisent à la fois des maladies chroniques et des épisodes aigus. Les maladies respiratoires sont ainsi fortement accrues : 15 à 30% des enfants asthmatiques (de 0 à 17 ans) font des bronchites et la hausse des hospitalisations pour crise d’asthmes est de 18%. Chez les personnes âgées (>65 ans) l’hospitalisation pour des accidents vasculaires augmente de 27% sous l’effet des polluants sur la santé. Selon l’Apheis et l’Afsset (2004), le nombre de cancer pulmonaire a été multiplié par 4 entre 1952 et 2000 le nombre de particules fines présentes dans l’air entraînerait près de 5000 décès sur une population de 15 millions d’habitants.


Face a retard pris par la France
en matière de restriction de la circulation routière dans les zones densément peuplées, des villes comme Paris et Saint-Denis expérimentent la limitation de l’accès à 4 catégories de véhicules dont les 2 et 3 roues mis en circulation avant juillet 2004, les voitures particulières et utilitaires légers antérieurs à octobre 1997, et certains bus et autocars antérieurs à octobre 2001. La Ministre Kosciusko-Morizet a ainsi proposé lors des premières assises nationales de la qualité de l’air un plan d’action sur les « Zones d’action prioritaires pour l’air » (Zapa). Dans les milieux environnementalistes Bulletin ([« Liaison », Mai 2011)], la critique porte sur un classement des véhicules qui ne repose pas sur leur capacité à polluer tels que les grosses berlines et les 4*4 récents.

Hôpital au bord de la crise de nerfs

GESTION CENTRALISÉE ET SANS HIERARCHIE CLAIRE

L’hôpital public français mérite d’être vertement défendu. Cette institution offre en effet à chaque assuré social un accès à une médecine de grande qualité à un prix très raisonnable pour le malade. Cela fait sa force et doit demeurer son atout face à de nombreuses cliniques privées dont certains praticiens en secteur 2 pratiquent aujourd’hui des dépassements d’honoraire n’ayant plus ni tact ni mesure.

L’utilité médicale et soignante de l’hôpital est donc indiscutable, mais il ne suffit pas qu’une institution soit utile pour exister durablement, il faut aussi qu’elle soit présidée par des règles de gestion saines, cohérentes et stables.

Force est de constater qu’à cet égard l’hôpital vit une crise majeure par sa difficulté persistante à se réformer, prisonnier des corporatismes et des conservatismes. Le risque existe aujourd’hui de le voir dépassé par une prise en charge médicale privée, souvent plus réactive et moins coûteuse pour le contribuable, mais qui risque de coûter très cher in fine au malade, et singulièrement aux malades les plus modestes pour une qualité inférieure dans de nombreux cas.

Certes les variations hiératiques et imprévisibles des tarifs hospitaliers expliquent une partie importante des déficits des établissements de santé, mais, plus structurellement, le déficit des hôpitaux s’explique d’abord par une organisation des soins et une gestion financière et des ressources humaines de nature exclusivement comptable et sur un mode beaucoup trop centralisé et vertical.

Aucune entreprise ne peut se gérer finement au-delà de 150 personnes.

Au-delà des délégations de gestion sont indispensables. Or l’hôpital fonctionne encore sur un mode de gestion hyper centralisé et paradoxalement sans ligne hiérarchique claire. Pas moins de trois échelles hiérarchiques coexistent en son sein : l’échelle médicale, l’échelle soignante et l’échelle administrative.

Ce cloisonnement excessif créée frustration et corporatisme et se fait d’abord au détriment du malade mais également au détriment de la structure dans son ensemble, des médecins, des soignants et du directeur.

DEFICIT D’AUTORITE ET GESTION COMPTABLE

Certes personne n’exerce d’autorité hiérarchique sur un praticien hospitalier mais a contrario celui-ci n’a d’autorité institutionnalisée sur personne, ni ses collaborateurs soignants ni son cadre administratif de pôle. L’absence de cohérence entre une autorité fonctionnelle de fait et une absence d’autorité hiérarchique de droit crée de la confusion et laisse place à la capacité d’influence des plus habiles créant des sentiments malsains de ressentiment chez beaucoup d’autres.

Quant aux soignants, de plus en plus sous pression dans leur quotidien professionnel, ils sont les victimes d’une faute historique, celle d’avoir transformé le rôle d’infirmier surveillant de proximité en cadre de santé coupé des malades et contraint d’assister à sans cesse davantage de réunionites dans lesquelles ils sont caporalisés.

Le dénommé malaise des cadres à l’hôpital n’est pas à chercher plus loin. La fierté du cadre de santé est que son service développe une activité importante et que la prise en charge soit de la meilleure qualité et humanité possible.

Enfin cette incohérence des lignes hiérarchiques place le directeur d’hôpital dans une position très inconfortable. Il est contraint d’user de persuasion et d’une énergie de conviction phénoménale pour faire passer des projets et exercer sa mission de garant et de réformateur de l’institution.

Les directeurs d’hôpital sont bridés dans leurs marges de man?uvre et souvent contraints de gérer l’immobilisme. La stratégie individuelle de carrière la plus rationnelle devient alors pour eux celle de « ne pas faire de vague » et de « tenir » dans son établissement quelques années en ménageant les médecins, les syndicats et son agence régionale de santé avant de viser la direction d’un établissement plus important et plus prestigieux.

L’intérêt de l’institution se trouve dès lors parfois décorrélé de l’intérêt de ses dirigeants.

Ce ne sont pas les hommes qui sont ici en cause, et il convient bien sûr de saluer la bravoure de beaucoup qui par de réels sacrifices personnels font vivre leur communauté. Cependant, aucune institution ne peut tenir longtemps sur la seule bonne volonté de ses membres.

RESPONSABILISER LES POLES

Ce n’est pas non plus le statut de la fonction publique hospitalière qui est dénoncé ici. Je crois au contraire, qu’au-delà de la sécurité qu’il apporte, il permet une certaine souplesse par rapport au contrat à durée indéterminée de droit privé, à condition bien entendu qu’il sache au mieux valoriser la compétence et l’expérience de ses ressources internes et surtout que les corps ne deviennent pas des forteresses imprenables laissant sur le bord du chemin nombre de contractuels de courte durée très précaires. L’exemple de sages-femmes dans certains hôpitaux laissées depuis plus de dix ans en contrats renouvelés tous les deux ans est proprement scandaleux.

Ce qui est en cause est la lenteur ou l’incapacité à décliner des réformes qui existent pourtant bien. Il est temps de comprendre l’intérêt de la réforme des pôles et de la tarification. Tous les outils législatifs et réglementaires existent aujourd’hui pour améliorer le fonctionnement de l’institution hospitalière. Cette réforme de la gouvernance n’est faite au détriment de personne, ni des médecins, ni des soignants ni du personnel administratif, ni des directions fonctionnelles et de la direction des soins, mais il faut pour cela accepter une remise en cohérence des lignes hiérarchiques et faire le pari de la confiance dans les responsables de pôles.

Faire confiance aux pôles et rendre les lignes hiérarchiques plus cohérentes

Le pôle constitue l’unité de production clinique ou médico-technique de l’hôpital. La cohérence médicale doit d’abord présider à sa constitution. En outre, la bonne taille critique doit être celle d’une clinique moyenne soit environ 100 lits et 300 personnes.

A sa tête, le chef de pôle doit avoir les moyens de réellement piloter sa gestion. Cela signifie de disposer, au plan financier, d’un compte de résultat et d’un tableau de financement prévisionnel ainsi que d’un compte de résultat analytique de l’exercice précédent. De même, au plan des ressources humaines, le chef de pôle est garant de la gestion de sa masse salariale. Il doit pouvoir disposer en conséquence d’un tableau circonstancié des emplois afin de pouvoir établir là aussi une gestion prévisionnelle. En outre, le recrutement, la formation continue et les sanctions disciplinaires des agents doivent à terme pouvoir relever de sa compétence.

Cela implique une réorganisation profonde des directions fonctionnelles, habituées à traiter de façons centralisées tous les sujets de gestion de proximité. La majorité des agents de ces directions pourraient être affectés au pôle sous l’autorité d’un attaché d’administration ou d’un jeune directeur d’hôpital. Tous les personnels affectés dans un pôle, y compris les personnels soignants et administratifs concourrant à sa gestion, devront être naturellement sous l’autorité fonctionnelle et hiérarchique du chef de pôle. Le chef de pôle, clinicien par ailleurs, doit pouvoir lui-même déléguer sa compétence sur ses collaborateurs adjoints médicaux, administratifs et soignants.

Dans ce contexte, les directions fonctionnelles et la direction des soins ne deviennent pas obsolètes. Moins nombreuses, elles se recentrent sur leurs fonctions stratégiques pour le directeur des affaires financières, le directeur des ressources humaines et le directeur des soins. D’autres directions dont les compétences n’ont pas vocation à être décentralisées restent des directions supports, prestataires de services des pôles en interne. Il s’agit de la direction des travaux, du personnel médical et de la recherche, de la logistique et du système d’information.

Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins, les directeurs adjoints se pensent comme des chefs d’état major alors qu’ils sont en réalité les responsables des fonctions supports de l’hôpital. Aucune dimension stratégique ne leur est accordée dans ces conditions par les médecins qui les qualifient à juste titre d’ « administration ».

Décentraliser la gestion et aller au bout de la remise en cohérence des lignes hiérarchiques d’un hôpital, comme c’est le cas dans les autres pays européens, implique bien entendu d’accorder la responsabilité ultime de l’établissement au directeur général. Celui-ci doit se situer sur un plan stratégique, en pleine cohérence avec le président de la commission médicale d’établissement. Le président de la commission médicale d’établissement devient alors dans les faits le directeur général adjoint en charge des affaires médicales et l’interlocuteur privilégié de l’ensemble des chefs de pôles.

DECENTRALISER LA GESTION

La mise en place du directoire permet d’aller dans ce sens. Pour que cette réforme soit acceptée par toute la communauté et qu’elle trouve l’adhésion des praticiens hospitaliers notamment, il sera important qu’à terme le directeur général, président du directoire de l’hôpital ne soit pas forcément un directeur d’hôpital, mais aussi pourquoi pas un médecin ayant renoncé à exercer.

Réformer une institution aujourd’hui sclérosée et être exigeant sur la saine gestion des hôpitaux n’est pas renoncer aux valeurs d’équité et de service public. C’est au contraire laisser s’installer durablement l’immobilisme qui serait dangereux pour l’institution dans un contexte de finances publiques très contraint.

L’hôpital est une entreprise de service public gérée aujourd’hui encore largement comme une administration. N’ayons pas peur des mots, il faut savoir prendre le meilleur de ce qu’apporte le mode de gestion d’une entreprise en sachant que chez nous la finalité n’est pas le profit mais le service public rendu au malade.

Chronique de l’hôpital

Lundi

Me voilà à l’hôpital, Tachib, bien connu. Je rentre dans une chambre. Pas de mode d’emploi, personne ne me dit où est la sonnerie, la prise électrique est hors d’atteinte, et il n’y a pas de lampe individuelle mais un néon éblouissant, commun aux deux lits, qui vous garantit des bouts de nuit par tranches de deux heures

Mardi

Il s’agit d’une intervention dite «?moyenne ([moyenne)]?», mettant les organes sens dessus dessous de trois heures mais le chirurgien et son équipe remarquable, en rajoute une heure pour bien fignoler. Je lui en sais gré. Je vais en réanimation. Tout le monde a mal mais là aussi le traitement de la douleur est efficace. De merveilleux praticiens dans un univers en ruine. J’ai des drains de partout, je suis attachée pour ne pas bouger, normal, de toutes façons il n’y a que la douleur, le froid.

Mercredi

En fait au réveil l’on a envie d’écouter tout le monde et d’observer (cela fait passer la douleur). Et l’on se rend compte d’une chose?: ce n’est plus un service public. Tout tourne autour de l’argent, chaque acte par exemple de nettoyage de chambre, ou même la visite matinale est minuté. Je découvre que je n’ai pas de couverture sur le lit mais une sorte de grand kleenex bleu transparent. Or le chauffage fonctionne très mal et tout le monde se les pèle.

Tout tourne autour de l’argent, chaque acte par exemple de nettoyage de chambre, ou même la visite matinale est minuté.Sylvie Trosa

Imaginez-vous à 36.3 de fièvre, sortant d’une opération, dans une chambre glacée. Heureusement les infirmières sont sympas et vous mettent des couvertures en or de survie. Mon côté fouine cherche à comprendre le mystère de la couverture. D’abord on me dit que ce sont les sous traitants qui ne les rendent pas (??). Puis qu’elles coûtent cher car on les lave et que la politique de l’hôpital est de s’en passer, économies obligent. Qui dit vrai?? Ma maladie ne me permet pas le travail de fouine de l’audit, n’empêche les couvertures elles ne sont pas là. Les oreillers un lit sur deux.

Voilà, on ne peut pas toucher aux postes lourds de dépenses alors on s’exerce sur les couvertures.

Mercredi soir

Des amis aimants cherchent à me joindre. Mais pas de téléphone ni de télé que j’aurais dû payer à un «?sous traitant?» au rez de chaussée. Je ne le savais pas. Alors les amis appellent et on leur dit «?appelez le sous traitant?» mais le sous traitant ne répond pas. Je me retrouve avec des amis excédés d’avoir passé une demi-heure au téléphone sans me joindre. Heureusement infirmières et internes quand ils le peuvent prennent les appels. On voit qu’on a réfléchi à tachib aux processus de travail?!

Jeudi

Suite de l’enquête. Je peux me lever?; le service a 56 lits, deux douches en état déplorable, deux infirmières pour les 56 (ne sonnez pas le bouton urgence, cela ne sert à rien). Les chambres sont salles (les coins pas faits, les tâches pas enlevées), les cabinets de toilette plus que limites. Pourquoi?? Une personne n’a que trois minutes pour passer avec un ridicule balai en microfibre qui comme on le dit à la télé ne va pas dans les coins. Saint Louis c’est un cinq étoiles à côté et oui il y a moins d’indigents?

Vendredi

On m’amène faire une radio (il n’y en a qu’une) et je dois me tenir sur un engin ancestral alors que je ne tiens pas sur mes jambes et oh joie elle tombe en panne. Je dois souffrir 20 minutes avant d’éclater en sanglots. Je suis parquée ensuite dans un hall où passent nombre de gens mais ce n’est pas «?leur?» tâche.

Et dire que les médecins ne s’occupent pas de gestion je l’ai vu est faux, pratiquement tous les soins font l’objet de procédures et leur mise en ?uvre est vérifiée. Chaque incident est noté et analysé. Que sont-ils sensés faire de plus?? Dire qu’une personne est trop chère et la renvoyer à la maison même si elle est vraiment redevable de l’hôpital (examens rapides, aide, gestion de la douleur)??

Le personnel?? contrasté comme partout. La très grande majorité est dévouée, à l’écoute, d’une grande douceur et humanité. Et une partie qui se sent mal payée et donc ne fait que ses tâches et pas plus, déversant à pleines bassines le ressentiment sur les malades. Il est difficile de trouver une aide soignante qui vous aide à vous nettoyer même quand vous êtes totalement immobilisé au lit. En dix jours une seule l’a fait. Bon et puis la majorité des médecins n’a pas encore compris qu’expliquer rassurait le malade et n’enlevait rien ni à leur aura ni à l’inimitable style PH, élégant mais dégingandé, entouré de jeunes femmes accortes et admiratives, qui vous regarde haut pour vous expliquer que vous n’avez rien, par définition.

Samedi

Je me rends compte que l’hôpital est un mixer permanent. C’est une vie d’une agitation intense. Souvent l’infirmière a deux heures de retard sur les soins. Pourquoi?? Parce que l’imprévisible ne cesse, une poche qui se casse, une urgence imprévue, un malade très difficile à soigner. Comment compter l’incomptable, le non contable??

Il y a aussi du burlesque. Un mot du directeur accroché dans les chambres exposant la «?spécifificité?» de l’hôpital, un café pour le déjeuner et une tisane le soir. Je m’en enquiers, l’infirmière rit «?nous n’avons jamais eu de tisane, allez

Côte comptabilité c’est le délice. Dix lits ont été fermés pour les fêtes, oui mais les urgences affluent. Pas question de les rouvrir, statistiques et budget oblige, la direction administrative vient avec l’idée de lits superposés. Ne riez pas c’est vrai. Dans un service où presqu’aucun malade ne marche. Mais même si la rumeur a couru sans fondement, le fait que tout le monde y ait cru est en soi un fait. Groucho Marx. On pourrait dire «?je sais même mettre deux patients dans un lit?»

Alors oui le budget de la santé mais ne pourrait-on mettre le dossier à plat avec tous les personnels, y compris ceux qui râlent à tort?? Quel rapport entre une société qui est bouleversée par un manque de glycol et une perte d’un jour de vacances et ces malades qui n’ont pas de couverture sur eux??

Après une autre radio carnavalesque (faite trop vite j’en suis ressortie avec un bras de catcheur), je passe devant une dame d’une quarantaine d’années négligée, mal coiffée, abattue?: son désespoir est tel, est-elle sauvable?? Peut-être pas. Mais je pense à ce moment à ce matraquage permanent à la télévision sur la beauté, la santé, les sexagénaires recousues quinze fois, ces jeunes femmes qui semblent toutes sorties du même moule à pain. Quel rapport entre ces deux univers??

Aucun.

Et c’est là que la crainte surgit, que dans cette société du corps sans âme on finisse par penser que ma désespérée a dû le chercher, d’une façon ou d’une autre et qu’elle ne mérite plus d’attention.