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Les régions en difficulté face à la grande crise

Ces trois dernières années, 16 millions d’euros d’investissements réalisés par tel équipementier automobile du nord de la France avec force et aides des collectivités? il annonce la fermeture de son site principal quelques mois plus tard. La presse regorge de « unes » catastrophiques et leur lot de drames humains. Désarçonnées, les organisations syndicales peinent à trouver la bonne réaction face à l’enchaînement de fermetures de sites industriels un peu partout dans les territoires. D’autant que l’actualité montre que ces décisions sont prises au niveau des groupes selon des stratégies transnationales qui négligent les potentiels locaux.

Dans ce jeu d’acteurs, « les collectivités locales pensent bien faire », accuse le dernier rapport de la Cour des Comptes . Elles aideraient les entreprises en fonction de critères qui ne sont pas réellement ceux des investisseurs qui agissent à l’heure de la mondialisation et surtout de cela. Nous n’avons pas atteint le creux de la grande crise et les difficultés des régions ne sont que plus criantes. En charge de compétences stratégiques telles que l’action économique ou la formation professionnelle, ces collectivités peinent à donner les bonnes réponses. « Dispersion des subsides », « dilution des objectifs », « complexité des dispositifs », « cloisonnement et inefficacité des politiques économiques et de l’emploi » : le chapelet de critiques des politiques régionales a été fait par les magistrats de la rue de l’Ulm.

Comment sortir des insuffisances des politiques régionales aujourd’hui cantonnées dans une vision défensive des territoires?

On peut donner une réponse institutionnelle, esquissée par le rapport Balladur, en renforçant les régions dans leurs compétences par exemple. C’est une partie de la réponse seulement car en prévoyant la suppression de la taxe professionnelle, le gouvernement, met en péril dans le même temps leur autonomie financière. On doit surtout porter la notion de « Région de plein champ », largement soutenue par les Verts au sein des exécutifs régionaux et plaider le décloisonnement des politiques. Nous avons posé les questions qui font mal ou qui font mouche. A quoi bon subventionner une entreprise de logistique avec une densité de un emploi à l’hectare quand la pression foncière freine le développement de l’agriculture biologique qu’on soutient par ailleurs? Comment la collectivité peut abonder les financements de sa politique des transports publics des plus values foncières qu’elle génère par cet effort? Comment faire entrer en résonance nos politiques de formation professionnelle avec celle en faveur de l’isolation? Autant d’exemples qui ont révélé pas mal de conservatismes et de résistances chez nos partenaires.

Mais il faut aller plus loin. Ce nécessaire approfondissement des outils de l’action publique est vain dès lors qu’il ne serait pas mis au service d’une vision politique. Celle d’une société post- carbone et des changements civilisationnels qui nous devons accompagner. De ce point de vue, la crise exacerbée, perçue comme telle par le grand public, peut être une opportunité. Les ressources régionales peuvent contribuer à la remise à plat de la dépense publique : deux tiers de l’investissement public est porté par le monde local. En pleine crise du monde universitaire et de la recherche, les financements délivrés par les Régions ne devraient-ils pas être réorientés massivement vers les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique?
Lorsque les régions sont à l’origine sur ces cinq dernières années de la progression de 30% de la fréquentation des transports ferroviaires, quel formidable levier à renforcer pour raccourcir les temps de trajets résidence-travail au sein de zones denses! Après les discours du gouvernement peu suivis d’effets, nous disposons de leviers importants pour favoriser des circuits courts et des relocalisations dans nos territoires. Mais cette démarche nécessite de faire des choix et on sait à quel point notre système politico-administratif favorise les clientèles et autres saupoudrages.

Nous devons mettre la société civile de notre côté. Les changements que nous appelons passeront par la redéfinition d’un nouveau contrat social. Ils ne se feront pas contre le corps social. Une certitude devrait nous animer à ce niveau. Notre projet doit être nécessairement partagé. On ne plaide pas les conversions nécessaires à des couches populaires et moyennes fragilisées dans leur ensemble. Mieux encore, entre la croyance dans le « tout solution technique » et la prédiction vaine des catastrophes écologiques, il y a la place pour un nouveau volontarisme écologiste. Celui qui conjugue émancipation individuelle et sauvegarde de la planète, innovation dans nos politiques publiques et sécurisation sociale.

Les Régions face au changement climatique

Pourtant, ce sont les décisions prises aujourd’hui en matière d’aménagement du territoire, d’infrastructures de transport ou de grands équipements qui vont peser durablement sur les émissions de gaz à effet. Soit ces mesures offriront un cadre facilitant la limitation des émissions, soit elles retarderont de plusieurs décennies la possibilité d’une réduction significative. Programmer en 2009 la construction d’autoroutes ou investir dans le ferroviaire, est un choix qui contraindra ou optimisera, pour les 50 prochaines années, nos capacités collectives de faire face à l’enjeu climatique.

Le déficit d’articulation de ces choix structurants entre les différentes échelles, du territoire national à la commune en passant par la région, handicape sérieusement cette mutation des logiques d’aménagement et d’équipement.
Par exemple, l’éclatement de la gestion des transports collectifs entre régions, départements et communes complique le développement de l’intermodalité, dont on sait pourtant qu’elle en renforce l’attractivité. La transformation de l’offre de transports serait bien plus facile si cette responsabilité était répartie entre, par exemple, les régions ? pour l’interurbain et les réseaux ruraux – et les intercommunalités ? pour les transports de proximité.

Des schémas non opposables

Dans le même ordre d’idée, les régions élaborent, conformément à leurs compétences, des schémas d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), des schémas des infrastructures et des transports (SRIT), des schémas de développement économique (SRDE), des plans régionaux de qualité de l’air (PRQA), instruments qui pourraient, en fonction de leur contenu, contribuer à l’avènement d’une nouvelle dynamique territoriale plus soutenable. Mais ces politiques publiques perdent en efficacité car ces schémas ne sont, en général, pas opposables aux collectivités infra régionales. Il est, dès lors, difficile de concrétiser la mise en ?uvre des orientations énoncées.

Alors que s’engage une réforme nécessaire de l’organisation territoriale, il est impératif de promouvoir, en matière d’aménagement, une forme de hiérarchie entre les échelles territoriales pour accélérer la mutation nécessaire. Il est regrettable que le Grenelle de l’environnement ait occulté cette problématique. Le gouvernement a profité de la faible mobilisation des élus locaux sur le sujet pour rogner, par différentes mesures, l’autonomie des collectivités territoriales.

Le nouveau rôle du Préfêt

L’article 23 de la loi Grenelle II prévoit l’adoption sous l’autorité du Préfet de Région d’un nouvel instrument : le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie, dont on comprend qu’il pourrait être une forme d’officialisation du concept de plan climat. Cette proposition est préoccupante. On peut craindre, d’une part, que ce nouvel instrument empiète sur les dispositions des SRADDT et des SRIT, entre en compétition avec les PRQA ou en conflit avec les schémas éoliens dont certaines régions se sont dotées, mettant ainsi à mal les efforts de concertation et d’harmonisation des politiques publiques engagées par les régions. On doit redouter aussi une nouvelle complication puisque la loi ne précise nullement la hiérarchie qui devrait s’établir entre ce nouveau schéma et les actions qui seraient proposées par les collectivités du territoire concerné. La complication est d’autant plus à craindre que la même loi dans son article 26 impose à toutes les collectivités de plus de 50.000 habitants de se doter de Plan climat sans même évoquer la mise en cohérence de ces différents exercices sur un même territoire. Cet empilement de plan et de schéma

Si le gouvernement est aussi sérieux qu’il le prétend pour lutter contre le changement climatique, il est impératif que cette proposition soit singulièrement reformulée. Lors du Grenelle de l’environnement, l’Association des Régions de France avait timidement proposé que les régions soient « chef de file » pour l’élaboration des plans climat. Le débat parlementaire qui s’ouvre à l’automne doit permettre d’aller plus loin. Les régions devraient promouvoir l’idée d’un Plan régional énergie climat, obligatoire ET opposable. Ainsi les Plans Climat Energie Territoriaux qui seront adoptés par les collectivités infrarégionales, devront être élaborés en cohérence avec le plan régional préalablement arrêté. Il faudrait également que le Plan régional énergie climat, nécessairement construit en concertation avec les citoyens et les acteurs du territoire, soit adopté par la seule Assemblée régionale souveraine et responsable. Cette modification est indispensable à l’efficacité de la lutte contre le changement climatique. Elle est aussi nécessaire pour reprendre l’initiative sur la réforme de l’organisation territoriale, pour que cette réforme poursuive et améliore le processus de décentralisation et non l’affaiblisse, comme le fait aujourd’hui le gouvernement.