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L’évaluation de l’école à Chicago

Notre école. Un véritable parcours du combattant dans lequel les parents les mieux dotés culturellement parviennent à tirer parti. Elle laisse en plan une bonne partie d’autres, moins favorisés. Le projet d’école du ministre Blanquer en matière d’évaluation soulève des interrogations de la communauté enseignante. Comment cela se passe ailleurs ? Visite d’un établissement dans un quartier difficile des Etats-Unis.

L’exemple suivi par la Ville de Chicago dans une zone reléguée ne relève ni du miracle et moins encore du miroir infamant. Il bouscule par son originalité. Dans un contexte urbain difficile marqué par une ségrégation sociale et ethnique tenace, l’ancien Maire (Démocrate) Richard M Daley a obtenu la décentralisation pleine et entière des écoles publiques et de leur personnel. C’est une réaction vigoureuse à l’annus horribilis de 1987, couronnement des écoles publiques de la ville comme les pires du pays.

Quels sont les résultats.

Grand changement par rapport à l’ancien système fédéral : les ouvertures et les fermetures des 600 écoles, soit 40 000 employés au total, sont sous la responsabilité du « Chicago Board of Education ».

Quelle est la pierre angulaire de ce projet local éducatif ?

L’autonomie des voies et moyens des chefs d’établissements, soumis à évaluation. La communauté éducative, elle, s’inscrit ainsi dans une feuille de route. Le « manager », responsable de l’établissement, s’engage à évaluer et à publier les résultats sur tous les champs balayés par un « scoring » – de la qualité des enseignants jusqu’à la propreté ou la sécurité – et à en tirer les conséquences organisationnelles.

Très éloignée de la tradition française, la spécificité de l’école publique de Chicago relève d’une liberté qui met au second plan la notion même de « programme » au profit de celle de « progrès » scolaire.

La liberté de recrutement et de fixation des rémunérations des enseignants en sont le corolaire. Il n’est pas rare de voir se pointer au bureau d’embauche nombre d’adultes dont ce n’est pas la profession. Ce sont des porteurs de « projets », parfois des parents ou d’anciens salariés du privé, liés aux parcours des postulants, pour la réussite et parfois aussi pour le pire. Ã charge au directeur de l’établissement d’évaluer l’incidence de ses choix, de revenir sur des orientations pédagogiques, d’établir un « dress code » ou de réviser la rémunération des professeurs, fixée contractuellement, de décider de leur promotion ou de leur rétrogadation. Le bureau de l’éducation supervise la bonne application du code de l’Etat en matière d’éducation et peut autoriser le licenciement des personnels, auditer des établissements.

Que voit-on lorsqu’on pousse une grille d’un établissement de ce type dans une zone de relégation urbaine ? Avant même le serment d’allégeance au drapeau du matin. Un portique pour détecter les armes, filtré par un policier armé à l’entrée, il fait sa ronde la journée dans l’enceinte de l’établissement. On croise des étudiants qui, la plupart du temps, témoignent d’un progrès par rapport à leur ancienne école publique. Les pires d’entre elles ressemblent à certaines écoles françaises.

à Chicago, on y rencontre des tuteurs et des adultes qui accompagnent tôt le matin jusqu’à tard le soir

Considérés comme des « usagers », des enfants sont accompagnés pour se nourrir sainement, faire leur devoir, accéder à des activités périscolaires dont l’expression artistique est le parent riche. En un mot, l’individualisation est privilégiée, l’encadrement sur de larges plages horaires sollicite les ressources budgétaires élargie aux dons.

Dans une main de fer car ici, le règle du « zéro retard » se décline dans un « code de conduite ». Il détaille par le menu les « conduites inappropriées » et une échelle de sanction est adoptée, mise en oeuvre avec réactivité. Elle va du blâme à l’exclusion définitive.

La force de l’exemple vient en contraste provocateur des réactions scandalisées ici par le simple constat de la dimension territoriale d’un projet éducatif. Hélas, dans notre pays, celle-ci s’est imposée de la pire manière au fil des stratégies d’implantations résidentielles et du détricotage de la carte scolaire. Côté contractuels, certaines académies recrutent après un entretien de motivation de quelques minutes. Un pragmatisme sans filet de sécurité resserré l’emporte pour mettre des profs devant les élèves.

En France, l’origine sociale reste deux fois plus impactante sur les trajectoires qu’en Finlande ou même en Corée du sud. L’école primaire, traditionnellement reléguée au second plan dans notre pays, cristallise désormais toutes les envies de réforme. 20% des élèves entrants en 6ème ne maitrisent pas les fondamentaux de la lecture.

 

Mon village, c’est Kinshasa


Peinture : Jean-Marie Moké fils

« Partout à Kinshasa, il y a des sons qui existent : des sons de voitures, des sons d’églises, des sons de musiques de bar, et les gens font la fête malgré tout ce qui les oppresse? Car il n’y a pas de liberté d’expression, la vie sociale est catastrophique ici. Mais tout le monde veut exister et pour cela tout le monde se bat pour survivre, tout le monde est obligé de créer. »
Yves Sambu, collectif SADI (Solidarité des artistes pour un développement intégral)

Enregistré en juin 2013 à Kinshasa, ce documentaire audio donne la parole aux résident/es de quartiers populaires de la capitale de la République démocratique du Congo, deuxième ville d’Afrique subsaharienne avec plus de 10 millions d’habitant/es. D’un quartier à l’autre, le micro se promène, à pied ou en fula-fula (mini-bus), pour recueillir les difficultés quotidiennes, les joies et les rêves des Kinois, pour livrer de Kinshasa un portrait autant sonore que documentaire.

Mon village, c’est Kinshasa
Un documentaire audio de Benjamin Bibas mis en son par Sébastien Lecordier, avec la collaboration de Sébastien Godret
Enregistrements : Benjamin Bibas et Sébastien Godret
Réalisation, mixage : Sébastien Lecordier
Production : Radiofonies Europe (www.radiofonies.eu)
Durée : 50 min

Merci à la Fondation Hirondelle, au collectif de journalistes Medumas et au collectif d’artistes SADI.

Diffusions radio
– RTBF – La 1re, émission « Eldoradio », dimanche 1er juin 2014 à 22h
– Radio Aligre, émission « Liberté sur paroles », lundi 16 juin 2014 à 9h
– Africa n?1 (extraits), émission « La Grande matinale », mardi 17 juin 2014 à 9h
– Radio Campus Dijon, le 18 juillet 2014

Diffusions in situ
– exposition « La Ville africaine », Latitude 21 (Dijon), 19 avril – 18 juillet 2014
– Radiofonies Europe (73 bd Barbès, Paris 18e), le 27 juin 2014 à 20h

Les syndicats à l’heure de la métropole

La crise de 2008 est le révélateur non seulement de problèmes dans le fonctionnement de notre système bancaire mais encore et surtout dans les rapports qu’entretiennent les pouvoirs publics avec l’économie. Les Etats, en France et ailleurs, apparaissent plus fragiles et plus limités. Cette crise constitue une rupture dans notre modèle social et politique ; elle constitue une perte du repère de l’action publique et donc dans le même temps de nos représentations de la nature et des fonctions de la politique qui sont au fondement de notre système démocratique.

La concomitance de cette crise et de la montée fulgurante des discours extrémistes en Europe, qui refusent toute forme de légitimité à la démocratie représentative dont les syndicats font partie, est un indice de la volonté des citoyens de voir l’action publique revenir au centre de la vie politique. Ce qui est réclamé avec tant de force – et avec tous les excès possibles – n’est pas seulement l’administration de structures qui existent déjà. Il y a chez nos concitoyens un désir de renouvellement qui ne doit pas être ignoré par tous ceux qui affirment en avoir reçu un mandat. Ce désir de renouvellement s’accompagne en même temps d’une demande très forte d’intelligibilité de la politique, qui dépasse de beaucoup la seule question des stratégies en communication.

La crise économique a mis en évidence, lorsque l’économie mondiale s’est contractée, toute la force d’une mondialisation qui transforme tout ce qu’elle touche en marchandise : en classant, en évaluant, la mondialisation transforme notre rapport au monde. Elle induit un changement anthropologique en plaçant la relation marchande avant tout autre relation ; en même temps elle repose sur un principe d’échanges, de liberté, d’initiative que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître comme profondément positif et démocratique. Dans ce contexte, le débat français sur la mondialisation s’est historiquement mal engagé : on l’a réduit à une lutte contre quelques entreprises, bien souvent néfastes ; la question de la place de la France dans le monde, de la manière dont les territoires de la République pouvaient s’articuler avec ceux du reste du monde a été largement occultée. Faute d’avoir su poser des questions à temps, nous devons maintenant à la fois poser les questions et trouver les réponses dans une urgence qui ne nous aide pas à faire les bons choix. Il est certain que nous manquons de recul et que cela a un impact sur la manière dont nous préparons nos choix stratégiques.

Ces changements liés à la mondialisation sont particulièrement visibles en France dans les rapports aux territoires. Seules les métropoles émergent dans la mondialisation, et la France en a peu. Que ce soit en laissant faire la mondialisation ou bien en prenant les devants, il y a des recompositions difficiles des territoires français, des fractures profondes qui appellent une action publique forte. Nous voyons ces difficultés quand il s’agit de prendre en charge et de financer les services et les infrastructures nécessaires à la vie de tous les habitants, que ce soit la distribution de l’eau, l’état des routes, la sécurité ou la prise en charge de l’enfance, de l’éducation. Or cela pose des questions sur la capacité de nos collectivités locales et de l’Etat à répondre aux citoyens quand les difficultés sociales et économiques liées à l’évolution du monde et de ses grands équilibres les amènent à s’inquiéter pour leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants.

Les questions qui se posent à nous sont donc radicales ; elles tiennent à la manière dont nous concevons les territoires et les communautés, dont nous faisons le lien entre les habitants et les pouvoirs publics, dont nous voulons équilibrer entre tous les territoires les ressources économiques et financières. Pouvons-nous par exemple continuer à privilégier de petites collectivités territoriales comme les communes et même dans certains cas les départements? La question est posée. Aucune réponse n’est évidente, mais toutes doivent être considérées.

Dans la mondialisation, la place des métropoles est centrale : elles constituent comme Laurent Davezie l’a souligné – et avant lui Pierre Veltz – des zones marchandes dynamiques capables de proposer des services et des produits à une échelle toujours plus globale. Les grandes métropoles font alors office de point de contact avec un réseau mondial d’échanges non seulement économiques mais aussi intellectuels, culturels, sociaux, migratoires ; elles polarisent leurs territoires périphériques par leur puissance d’attraction. Cette situation est un moteur économique d’une puissance formidable si nous parvenons à nous y connecter.

La mondialisation transforme profondément les territoires, autant ceux qu’elle touche que ceux qu’elle délaisse.

Face à de tels phénomènes une réponse uniquement politique ou bien uniquement économique serait mauvaise. Ceux qui affirment qu’une pure adaptation économique – et juridique – à la mondialisation suffit pour s’en faire un allié dans le développement territorial mentent autant que ceux qui affirment que la mondialisation et ses effets sur la France et les Français peuvent être niés par un discours suffisamment virulent.

Une adaptation de nos structures territoriales apparaît aujourd’hui comme une urgence trop longtemps délaissée. Le chantier est immense et ses enjeux de pouvoirs vont avoir des répercussions dans toute la pratique politique française. Les intérêts des uns et des autres vont parfois être mis à mal.

Dans la tempête qui s’annonce, il faut s’en tenir à des principes simples. Nos principes pour la transformation des collectivités territoriales sont ceux que tous les citoyens demandent à raison : démocratie, citoyenneté renforcée et capacités réelles à agir sur les territoires, à créer des mobilisations et des actions.

La réponse territoriale à la mondialisation, on le comprend, interroge profondément notre manière de faire de la politique, d’analyser les problèmes et de construire les solutions pour ensuite les mettre en œuvre. Les collectivités territoriales doivent pouvoir clairement anticiper et faire anticiper les changements aux citoyens en même temps qu’elles les représentent. Cette équation ne se résout que par une pratique démocratique renforcée. Il n’y a pas d’habitude républicaine qu’on ne puisse modifier au constat d’un défaut de représentation démocratique et des difficultés à agir au service des citoyens.

Les questions actuelles sur le millefeuille administratif nous disent combien on cherche dans des dispositifs administratifs la réponse à des problèmes profondément politiques, et par conséquent combien nous donnons des réponses erronées aux soucis des Français. Il faut le dire encore une fois, les difficultés que notre démocratie connaît ces dernières années, en particulier face à une double contestation de ses principes à l’extrême droite et dans une moindre mesure à l’extrême gauche, sont d’abord les symptômes d’un besoin urgent des Français d’action publique pour les soutenir dans les transformations de leur quotidien et de leur horizon. Aujourd’hui, l’enjeu est bien de déterminer ce qu’il est possible de faire. Alors que les marges budgétaires et financières de l’Etat sont faibles, voire nulles, que le chômage est haut et que tant de facteurs extérieurs pèsent sur la société française et sur l’ensemble de l’espace européen, il est non seulement difficile de faire mais aussi simplement de déterminer quoi faire.

UN BESOIN DE POESIE, D’UNE LANGUE COMMUNE

Pour agir efficacement, avec une efficacité politique, c’est-à-dire dont le résultat produise plus de citoyenneté, il faut être capable de concevoir des objectifs au travers desquels le monde soit pensé dans sa globalité, dans la nature profonde de ses transformations. Nous nous trouvons face une impuissance des discours politiques techniques qui trop souvent ne disent que leur impuissance à saisir les tensions propres à notre société, à nos territoires, à nos villes.

Il y a dans la vie politique française, dans les attentes des citoyens, un besoin de poésie, un besoin d’une langue commune qui nous permette de dire, de saisir le réel, de l’assumer, et de transformer notre vision. Ce renouvellement de la langue politique est nécessaire pour quitter le registre de la déploration et de la perte qui domine les discours politiques et conduit les citoyens au désespoir. Doit-on s’étonner que dans la première moitié du XXe siècle un intellectuel comme Walter Benjamin cherchant à comprendre la nature des grandes métropoles se soit trouvé irrémédiablement attiré par l’œuvre de Charles Baudelaire?

Il nous faut prendre un temps pour chercher dans les métropoles d’aujourd’hui les nouveaux ateliers, s’intéresser à ceux qui vivent, marchent et travaillent dans ces ensembles d’habitations, de magasins, d’usines, d’écoles, de cafés et de marchés. Il faut chercher dans un langage poétique, qui fera des individus et des lieux des réalités accessibles à tous, un début de reconquête de très grandes villes qui parfois semblent s’être développées sans leurs habitants.

Comprendre les métropoles du XIXe siècle, celles où s’est forgée la mondialisation, passe donc nécessairement par une refonte de notre langue, une volonté de donner des sens plus précis et plus fins aux mots, de créer de nouvelles images et de regarder les choses que nous croyons passantes avec un nouveau regard. Il faut reconnaître quelque chose de subversif à cette langue dont nous avons tant besoin car elle devra montrer y compris ce que nous ne voulons pas voir. Mais si nous ne faisons pas cet effort sur nous-mêmes, nous risquons de nous aliéner durablement ces nouveaux territoires des métropoles où se joue pourtant une part considérable de l’avenir de notre pays.

Le syndicalisme est maintenant face à ses responsabilités politiques et morales, face aussi à ses ambitions personnelles dans la démocratie française. Nous traversons une période difficile où l’économie se ressert, les entreprises et les emplois souffrent. Il faut reconnaître que cette situation met les militants à rude épreuve. Ils sont toujours écartelés entre la gestion des urgences et le besoin d’assumer la construction d’une vision pour l’avenir. Dans ce contexte, les tensions anciennes et que nous savons creuses entre réformisme et syndicalisme de combat refont surface pour ajouter des frictions entre syndicats à l’heure ou notre charge de travail est déjà grande. Cette opposition est fausse car elle forcerait à faire un choix entre la société telle qu’elle est et celle que nous imaginons pouvoir obtenir plus tard par une lutte radicale : comme si les bonheurs à venir nous donnaient le droit de sacrifier les salariés de maintenant, comme si surtout nous n’avions pas déjà des moyens importants pour changer par notre seule volonté des pans entiers de la société française.

Les syndicats doivent assumer leurs capacités à agir directement dans la société française, pas seulement à revendiquer des droits légitimes pour les travailleurs. Ils doivent penser largement le travail dans un monde ou travailler change rapidement de nature par rapport au XXe siècle. Investir l’espace social, assumer sa présence et son discours, distinct des associations comme des partis politiques : telle est la mission des syndicats. Les conseils économiques et sociaux tout comme les comités d’entreprise ne doivent pas constituer des marges du travail syndical mais un champ à part entière, reconnu et valorisé, et ou les syndicalistes pourront faire la démonstration de la cohérence et de la force de leurs projets pour la société française. Il faut assumer être les porteurs de cette parole qui va au cœur des choses et qui les transforme, qui dévoile le présent et ré-enchante l’avenir.

Pour un fédéralisme différencié régional

UN BORDEL CREATIF ?

Le saucissonnage de l’acte III de la décentralisation et son étalement dans le temps, le rétablissement de la clause de compétence générale puis la proposition de sa suppression, la modification du scrutin départemental et le redécoupage des cantons puis l’annonce de la suppression des conseils territoriaux, l’entrecroisement des différentes collectivités plus ou moins « chef de file », l’insertion du fait métropolitain dans un paysage territorial profondément déstabilisé, le caractère plus ou moins prescriptif des différents documents d’aménagement, etc., tout cela ne fait que démontrer l’absence d’une vision politique globale, la réforme territoriale étant brinquebalée entre les pressions des différents lobbys d’élus locaux, les tentations recentralisatrices et technocratiques des élites ministérielles, dans un contexte où il faut satisfaire toujours plus les injonctions à des « réformes de structures » censées préserver les finances publiques.

Face à cela, le découragement peut guetter. Mais, parce que nous avons été toujours en pointe sur la refondation du schéma territorial, ce n’est sans doute pas le moment de baisser les bras. D’autant que l’ébauche de réforme dessinée par le Premier ministre, pour être brutale et parfois caricaturale, ouvre un nouvel espace de débat pour faire avancer nos idées.

Sans viser ici à l’exhaustivité, on peut essayer de tirer quelques lignes sur ce que pourrait être notre position, qui devra être ? dans ce débat complexe ? concise et percutante.

Diviser le nombre de régions par deux ?

Ce n’est certes pas le projet des écologistes, qui n’ont jamais défendu l’idée d’un « big is beautiful », d’autant que, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, la taille des régions françaises peut être avantageusement comparée à celle de leurs homologues européennes (en revanche ? mais personne n’en parle ? notre éparpillement communal est lui problématique et source d’infinis surcoûts de fonctionnement). Faut-il réduire, globalement, le nombre de régions ? Sans doute oui, mais pas sur un critère de taille. C’est la cohérence d’un territoire, dans ses différentes dimensions (économiques et sociales, géographiques, historiques, environnementales, démographiques, culturelles) ? dimensions qui peuvent d’ailleurs parfois dépasser les frontières nationales ? qui doit présider à la construction d’une nouvelle carte régionale.

Cela suppose de s’affranchir des frontières actuelles des régions, c’est-à-dire, dans le même mouvement, des frontières actuelles des départements. La nouvelle carte régionale ne doit pas être une carte de la fusion des régions, mais bien celle d’une réécriture des frontières de cohérence des territoires. Autrement dit, oui au redécoupage des régions, non à de simples fusions. Enorme chantier bien sûr, mais aussi passionnant que nécessaire. Chantier qui prendra nécessairement du temps et suppose une très large concertation mobilisant également tous les savoirs accumulés sur les territoires. (1)Pourquoi ne pas mettre dans la boucle, sous la forme d’un grand projet national, toutes les universités de France, chacune étant alors appelée à expertiser dans toutes leurs dimensions les éléments qui font la cohérence territoriale d’une région ?

Supprimer la clause de compétence générale ?

Il y a là une grande confusion. Derrière le même terme se nichent deux visions très différentes de l’organisation territoriale. Pour la plupart, la clause de compétence générale est ce qui permet à toutes les collectivités territoriales, à tous les niveaux, de développer toutes les politiques publiques qu’elles estiment nécessaires pour la préservation de l’intérêt local. Et il est vrai que, grâce à la clause de compétence générale, les collectivités territoriales ont trouvé dans la décentralisation mille chemins, peu ou mal bornés, pour innover et expérimenter d’autres façon de conduire l’action publique.

La clause de compétence générale a produit un foisonnement de dynamiques territoriales à géométrie très variable, peu ou prou mises en forme par le législateur, feignant parfois de conduire ce qui lui échappait, cherchant à encadrer le plus souvent autoritairement ces débordements puissamment ancrés dans des territoires, multipliant les dispositifs, les structures, les exceptions à la règle commune, dans un fouillis devenu indescriptible. De là est née l’image du mille-feuille territorial?

Si la métaphore pâtissière est plaisante, ce qu’elle recouvre est néanmoins fort problématique. L’enjeu est ici encore d’abord démocratique. L’exercice du pouvoir local, dans la multiplicité des partenariats qu’il requiert est devenu pluriel, il s’est dilué dans des configurations d’acteurs très hétérogènes, voire hétéroclites, favorisant plus souvent la concurrence que la coopération dans une grande confusion des compétences exercées, à l’ombre portée d’une bureaucratie étatique affaiblie mais toujours présente. L’identification du lieu du pouvoir local pour tous ceux qui y sont confrontés ? citoyens, entreprises, associations ? est devenue un casse-tête, entraînant un scepticisme généralisé à l’encontre de l’action publique, faisant peser sur les élus locaux le fardeau d’une responsabilité qu’ils ne peuvent bien souvent pas assumer, au risque même de remettre en cause les bienfaits de la décentralisation.

D’un espoir cette dernière est devenue un problème, ouvrant alors un boulevard aux revanchards de tous poils : des jacobins de la vieille école, nostalgique d’une France unitaire et uniforme, jusqu’aux tenants de la dérégulation libérale, trop contents de pouvoirs stigmatiser les dérives d’une gestion territoriale aussi complexe et confuse que supposément dispendieuse de fonds publics, trouvant ici le renfort ? le paradoxe est malheureusement commun ? d’une bureaucratie d’Etat affaiblie et encline à jouer de son contrôle des ressources budgétaires et fiscales pour retrouver sa superbe.

QUID DU FEDERALISME DIFFERENCIE

La vision des écologistes de la clause de compétence générale ? que nous défendons fortement ! ? est autre. Elle s’inscrit dans une perspective à l’appellation un peu barbare : le fédéralisme différencié. Par là nous entendons d’une part la dévolution constitutionnelle aux collectivités locales d’un certain nombre de compétences précisément énumérées accompagnées d’une véritable autonomie fiscale et normative pour les mettre en ?uvre, et d’autre part, dans ce cadre constitutionnel, la possibilité de faire varier au niveau régional la distribution de ces compétences, leur échelon de prise en charge et les formes d’organisation territoriale en fonction de spécificités locales (démographiques, géographiques, historiques, économiques, culturelles, etc.).

La perspective est donc double : 1/ Rompre avec la logique de défausse étatique à géométrie variable en établissant la base constitutionnelle d’une pleine autonomie des collectivités locales ? sur le fondement du principe de subsidiarité ? autour d’une collectivité chef de file, véritable entité fédérée : la Région.

L’Etat ne serait plus un pourvoyeur mesquin de « dotations » octroyées aux collectivités pour compenser a minima un transfert de charges, mais aurait la responsabilité d’organiser une péréquation financière entre régions riches et régions pauvres, c’est-à-dire de garantir le respect du principe d’égalité des territoires au plan national.

2/ Permettre, dans ce nouveau cadre constitutionnel, une co-élaboration au niveau régional, par les différents échelons politiques territoriaux et l’Etat, des formes d’organisation et de répartition des compétences les mieux adaptées aux spécificités locales, laissant la possibilité d’une distribution des compétences et des formes d’organisation territoriale qui puissent varier d’une région à l’autre, et au sein du territoire de chaque région, dans le respect d’une subsidiarité ni ascendante ni descendante mais définie en commun dans chaque région.

Il ne s’agit donc plus d’opposer une vision rigide de « blocs de compétences » (exclusives ou partagées, y compris avec l’Etat) assignés à chaque niveau et une certaine souplesse permise par ce que l’on désigne par le terme de clause de compétence générale. Penser en termes de fédéralisme différencié permet d’échapper à cette alternative. La fixation (et la garantie) constitutionnelle de blocs de compétences attribuées aux collectivités locales peut parfaitement s’articuler au maintien d’une clause de compétence générale ? condition nécessaire d’une autonomie vivante des collectivités locales, permettant innovation et expérimentation ? dans le cadre d’une mise en cohérence assurée par les conférences régionales des pouvoirs locaux.

Décentraliser et démocratiser !

Jusqu’à présent décentralisation ne rime pas vraiment avec démocratisation. La récente réforme métropolitaine a même marqué, de ce point de vue, une véritable régression. Le chantier est très vaste ? mode de scrutin, séparation des pouvoirs, participation citoyenne, etc. ? et je ne peux le décrire ici ([Je me permets de renvoyer à un petit livre publié fin 2012 : La démocratie près de chez vous)].

Il devient surtout extrêmement urgent si l’on supprime effectivement les conseils départementaux (ex conseils généraux). En effet, le territoire régional est si vaste (et il le sera encore plus avec la nouvelle carte régionale) qu’il est fort à craindre que des territoires « marginaux » ou « périphériques » soient oubliés face aux intérêts égoïstes des territoires métropolitains qui fourniront l’essentiel des électeurs et des élus. Et cela d’autant plus que nous, écologistes, défendons l’idée que pour assurer une véritable légitimité aux élus locaux et ne pas les transformer en lobbyistes d’intérêts trop fortement territorialisés,

il est nécessaire de calquer le ressort géographique de l’élection, autrement dit la circonscription électorale, sur le territoire d’action du gouvernement local. Les élus régionaux doivent être élus dans un ressort régional (et non pas dans un cadre départemental comme aujourd’hui), et le scrutin intercommunal doit s’inscrire dans une circonscription unique, celle de l’intercommunalité ([Ce qui signifie, dans ce cas particulier, que les conseillers communautaires doivent être élus dans un scrutin dissocié de celui des municipales, permettant des candidatures, des programmes et des campagnes électorales différentes, exprimant des visions générales de l’« intérêt communautaire »)].

ET MAINTENANT ?

On compte dans chaque espace régional ? avant même la mise en place des métropoles ? jusqu’à neuf assemblées élues (c’est le cas de l’Ile-de-France), c’est-à-dire autant de gouvernements locaux et autant de budgets (par définition réduits car dissociés). La coexistence de ces différentes assemblées est-elle l’assurance d’une meilleure représentation des citoyens, d’une plus grande solidarité entre les territoires, d’une stratégie d’ensemble plus efficace, d’une plus importante cumulativité des moyens d’action ?

Assurément pas. On peut dire, à l’inverse, qu’elle génère de la concurrence de compétences, des blocages administratifs, une complexification des procédures (dans toutes les situations de financements croisés), une limitation de la capacité d’initiative de chaque collectivité notamment en raison de la fragmentation budgétaire et de l’absence de coordination fiscale. La suppression des conseils départementaux simplifiera bien sûr la donne, pour autant le problème soulevé plus haut demeure?

VERS UN SYSTEME BICAMERAL LOCAL ?

La solution pourrait consister alors dans la mise en place d’un fédéralisme régional, fondé sur un système bicaméral local. La première assemblée (un Conseil régional des citoyens) représenterait l’ensemble des citoyens de la Région et serait élue dans le cadre d’une circonscription unique recouvrant l’ensemble du territoire régional.

La seconde assemblée (un Conseil régional des pays) représenterait les différentes instances territoriales infra-régionales ? les intercommunalités que nous pourrions baptiser « pays » ? qui seraient autant de circonscription électorales. Les deux assemblées régionales seraient alors placées sur un strict pied d’égalité, que ce soit par le nombre d’élus qui y siègeraient ou par les prérogatives politique, fiscale ou budgétaire qu’elles assumeraient conjointement ; elles désigneraient ensemble le gouvernement régional, mais seule la première pourrait renverser ce dernier et, en cas de désaccord persistant entre les deux chambres, elle aurait le dernier mot.

Enfin, et c’est un point qui doit apparaître au chapitre des revendications démocratiques, il faut construire, au bénéfice des régions, une véritable autonomie fiscale. (Rappelons l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme (en oubliant un instant seulement qu’elle n’est pas genrée?) : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. ») (Rappelons également l’alinéa 1er de l’article 72-2 de la Constitution française : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi »)

Or cette autonomie financière a radicalement diminué depuis l’acte II de la décentralisation. La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux, dans leurs recettes totales hors emprunt, tend à devenir de plus en plus en marginale. Depuis la disparition de la taxe professionnelle, les régions n’ont par exemple presque plus aucun contrôle sur leurs ressources fiscales. Les collectivités sont dès lors de plus en plus dépendantes des transferts de l’Etat ? par ailleurs mauvais payeur ? votés par le Parlement, sur lesquels elles n’ont aucune emprise. La réforme des finances locales, dans le sens d’une autonomisation des ressources fiscales, ne nous leurrons pas, ne pourra pas être déconnectée d’une réforme fiscale nationale. La politique est un tout?

Notes   [ + ]

Pour un Pacte d’objectifs entre Etat et collectivités : Novo Ideo dans « Les Echos »

Un vent de panique gagne nombre d’élus locaux.

Les-echos-logo1_1_Confrontés à la construction du budget 2015 et à la diminution des dotations d’Etat de 11 milliards jusqu’en 2017, les marges de manoeuvre se réduisent rapidement. Sauf à faire partie de la petite liste des bénéficiaires de la péréquation, il reste le très sensible levier fiscal ou la voie inédite de la décroissance budgétaire locale. Alors que les besoins sont sous la pression de la demande d’une population en augmentation en moyenne de 0,6 % par an, l’offre de services publics locaux est par ailleurs contrainte par le poids des décentralisations récentes, dans le domaine scolaire, notamment. Comment s’en sortir ?

Côté jardin, les collectivités avancent que les mutualisations dans le cadre des nouvelles agglomérations prendront du temps et qu’elles peuvent difficilement s’appliquer aux politiques de proximité. Côté cour, l’Etat clame l’urgence de la situation en exerçant par des découpes dans les recettes et la taille des régions autant de pressions à la baisse de la dépense locale.

En écho, les uns exigent des autres de nécessaires réformes de structure sur leur périmètre respectif. Un pacte d’intérêt les lie en réalité tant l’imbrication de la dépense publique devrait inciter à décloisonner nos organisations administratives et à réduire les coûts de coordination. Dans les domaines du développement économique et touristique, par exemple, on pourrait imaginer que la territorialisation de Pôle emploi et la décentralisation des politiques d’insertion des départements vers de grandes agglomérations soient au coeur d’un « pacte social d’objectifs » entre l’Etat et les collectivités.

Certes, il est des secteurs où l’on peut et doit dépenser moins. C’est en revenant sur l’équation entre besoins et équipements qu’on y parviendra. De ce point de vue, l’élection directe de nos représentants à l’échelon intercommunal serait un progrès. Des listes présentant des projets sur ces bassins nous écarteraient de la proximité communale et de sa logique de « troc », source d’inflation de la dépense.

RASSURER L’INVESTISSEMENT PUBLIC LOCAL

 

Au-delà, la réforme territoriale doit se donner comme objectif une plus grande rationalité de la dépense publique tout en rassurant l’effort d’investissement de notre pays. 70 % de sa composante publique est portée par les territoires. Or les hypothèses de construction des budgets 2015 tablent sur des diminutions à deux chiffres et les projets d’aménagement ou de logement s’arrêtent en cascade.

Faute de relance de l’investissement privé et compte tenu de l’atonie persistante de la demande des ménages, la crise pourrait ainsi s’aggraver ces prochains mois de la baisse de régime de la commande locale.

DEPASSER L’OPPOSITION DECENTRALISATION VERSUS DECONCENTRATION

En réalité, les débats actuels autour de la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités alimentent une conjonction de mauvais choix. Ce n’est pas seulement parce que les collectivités seront plus importantes qu’elles feront des économies. Elles doivent également « faire système » avec les agences et autres représentations déconcentrées de l’Etat. L’absence de mutualisation des outils décentralisés avec ceux déconcentrés de l’Etat continuera d’obérer la capacité à investir du secteur public local, car c’est spontanément là que les coupes se focalisent en cas de pénurie budgétaire pour retrouver un équilibre au moins partiel.

A contrario d’un accélérateur de la récession, la diminution des transferts de l’Etat aux collectivités doit être un point d’appui pour nouer un « pacte d’objectifs » entre les acteurs des grandes politiques sur le modèle réussi du guichet unique des maisons départementales des personnes handicapées. C’est là une étape d’une plus grande lisibilité pour les publics, de gains d’efficience sur le train de vie courant de nos administrations et, par ricochet, de préservation de leur effort d’investissement.

Cet article a été publié le vendredi 8 juillet dans les pages du quotidien « Les Echos » sous le titre « Un pacte entre Etat et collectivités pour baisser les dépenses »