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Enjeux et portée d’une politique de santé autour du cannabis

12 millions de Bobos !

 

Le sujet, pourtant important, est traité par dessus la jambe, comme une affaire de m?urs, de morale. J’entends que « le chichon, ce n’est pas la priorité », que « Cécile Duflot cible les bobos du Canal St-Martin pour se faire élire ». En gros, qu’un truc qui concerne 12 millions de consommateurs occasionnels, génère 800 millions d’euros de chiffres d’affaires en économie souterraine et occupe une bonne partie des tribunaux ne serait pas important.

Pourtant, en parlant du cannabis on touche un sujet de société qui va de la santé publique à la sécurité, en passant à l’utilité de nos forces de police et de leur activité. Faut-il continuer à demander aux agents de serrer des adolescents pour 15 grammes, engorger les tribunaux avec des petits dealers, ou les laisser se concentrer sur des choses sérieuses, sur les vrais problèmes ?

Les drogues, un problème de santé publique

Il ne vient évidemment à personne l’idée d’inciter qui que ce soit de consommer un psychotrope. Tout comme personne ne songe à inciter à l’alcoolisme ou à fumer comme un pompier. Mais on constate aujourd’hui l’échec magistral des politiques de répression en France et de la guerre à la drogue en Amérique, pour ne prendre que ces deux exemples.

En effet, selon une étude européenne publiée et résumée par Le Monde, la consommation des drogues augmente en France.

25% DE HAUSSE DE LA CONSOMMATION EN QUATRE ANS

 

L’enquête réalisée par le Conseil suédois pour l’information sur l’alcool et les autres drogues, compare 36 pays. Selon des chiffres provisoires que Le Monde s’est procurés par un biais non officiel, l’évolution sur le cannabis est particulièrement problématique: l’expérimentation est en hausse de 25 %, le nombre de jeunes ayant consommé au moins une fois le produit passant de 31 % à 39 % en quatre ans. L’augmentation est même de 60 % pour la consommation au moins une fois par mois (de 15 % à 24 %).

Les causes d’une telle augmentation de la consommation de tous les psychotropes ? Une politique centrée sur l’interdiction absolue, des dangers irrationnels par rapport à une consommation régulière et qui fait l’impasse sur l’environnement et les raisons profondes des addictions.

« Je sais que nous pouvons être accusés de partialité, car nous n’étions pas d’accord avec la politique menée, mais l’enquête Espad montre bien que celle-ci n’a pas fonctionné », relève Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération addiction, une fédération d’intervenants du secteur. Il estime que la Mildt a faussement fait croire que la France, grâce à l’accent mis sur la répression des usages de cannabis, réussissait à résister. Résultat, elle est surtout, selon lui, passée « à côté de ce qui constitue le gros problème »: « l’environnement addictogène » dans lequel évoluent les adolescents dans une société qui favorise les sensations fortes et l’hyperconsommation (jeux vidéo, « binge-drinking », etc.).
«
« Le problème est que l’objectif a été d’éviter à tout prix le premier usage, alors qu’essayer le cannabis est un signe d’identification chez les jeunes, sans suivi après. Il est pourtant primordial de détecter précocement les usages réguliers » Jean-Michel Costes, directeur de l’OFDT de 1995 à 2011.»

Il critique « une politique qui n’a rien donné sur le cannabis et qui a laissé filer les consommations des drogues légales ». Une focalisation sur le cannabis critiquée par les spécialistes, alors que le tabac est une porte d’entrée vers cette substance, et que les jeunes sont des polyconsommateurs.

Le communiqué de la Fédération addiction, Adolescents : alcool, tabac, cannabis? Agir autrement ne défend pas autre chose qu’une cohérence globale à propos de toutes les substances psychoactives, drogues, tabac, alcools. Une politique de santé cohérente en fait, centrée sur les dangers réels auxquels s’exposent les consommateurs plutôt que sur des interdictions obsolètes et quasiment morales.

UNE PROHIBITION INEFFICACE ?

 

Quel est le point commun entre Sevran aujourd’hui, le Baltimore et le Chicago des années 1930 ? L’interdiction d’un type de produit qui conduit à la constitution de mafia qui pourrissent des quartiers entiers de la ville, corrompent jusqu’aux plus puissants.

Dans l’extrait suivant de The Wire, un commissaire explique à un agent que la lutte policière contre les drogues ne sert à rien. Pas plus que la Prohibition américaine contre l’alcool n’a empêché sa consommation ni la constitution de puissantes mafias, dont le célèbre Al Capone.

C’est exactement le discours de Stéphane Gattignon, maire de Sevran, qui avait remis le débat sur le tapis en 2010. Son statut de « maire de banlieue » et d’ancien du PCF le protégeait des procès en bien-pensant des beaux quartiers, bobo-écolo. La réalité des quartiers quadrillés par les dealers, où les garçons de 12-13 ans font le guet et les grands-mères servent de nourrice aux paquets, lui et ses équipes la connaissent.

Les positions de Gattignon lui avaient valu le soutien d’un prof de pédiatrie via Le Monde, preuve que le débat sur la santé n’est pas si fermé que ça. L’utilisation thérapeutique du cannabis est d’ailleurs possible dans de nombreux pays, et même Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, soutient aujourd’hui Duflot sur cette question médicale.
Les drogues, un problème pour les démocraties

Un passage de la tribune de Stéphane Gattignon, Le trafic se porte bien, comment va la démocratie ? doit nous intéresser tout particulièrement :

« Dans nos territoires, qui a vraiment le pouvoir dans telle ou telle rue, entre telle et telle barre HLM ou copropriété dégradée ? Sait-on qu’un bail d’emplacement de vente de drogue peut se revendre 25 000 euros ? Le trafic va bien ! Pas la démocratie. Nous « comptons » les victimes des règlements de comptes. Les groupes de vendeurs de produits stupéfiants se multiplient. Les armes en circulation sont des gros calibres, des fusils à pompe genre Uzi achetés via les filières de l’Est ou autres Magnum barbotés au grand banditisme avec gilets pare-balles et tout l’attirail nécessaire à la guerre des microgangs. C’est aussi à coups de pied et de poings qu’on tue. C’est à coups de parpaing qu’on casse les têtes. Le lynchage et la lapidation lourde font partie des usages de la vengeance localière.»

La fin de l’état de droit sur des zones entières. Toute proportion gardée, c’est ce qui s’est passé au nord du Mexique où les combats de l’armée mexicaine contre les trafiquants de drogue conduit à une quasi guerre civile, où journalistes et simples citoyens blogueurs ou twittos sont massacrés.

FINANCEMENT DES TALIBANS

 

Ce qui se passe au Mexique peut arriver au Sahel, au Cap vert, en Guinée Bissau. C’est peut-être déjà le cas dans les zones de chaos où gouvernent des chefs de guerre. Les Taliban afghans se financent en partie grâce à la culture du pavot.

Certes, les situations françaises et mexicaines ne sont pas comparables, ni le shit et la cocaïne ou l’héroïne, mais alors que le Portugal a réussi à s’en sortir et que l’Onu pointe l’échec des guerres à la drogue, nous devons chercher des solutions au-delà de la morale qui soit satisfaisante à la fois en terme de santé publique, de sécurité et de protection de la démocratie.

Quelles solutions ?

Dépénalisation, réglementation, légalisation… peu importent les termes : il faut oser le débat tant la situation actuelle n’est pas tenable. Il est possible de faire preuve d’imagination.

En 2006, Malek Boutih, qui aime bien sortir des rails, sortait un rapport sur une filière 100 % française du chanvre :

pour M. Boutih, le cannabis  » est la clé de voûte de la ghettoïsation et de l’insécurité dans les quartiers populaires ».

Plutôt que sa dépénalisation, il recommande donc une « régulation » par l’Etat et lance quelques idées audacieuses, inspirées du modèle néerlandais, pour « une nouvelle filière agricole ». Le responsable socialiste imagine ainsi des « coopératives chanvrières outdoor (plein champ) » cultivées par des agriculteurs « sur des surfaces sécurisées » et « restreintes à 2 hectares ». Ces coopératives « garantissent la production de masse du haschich et de l’herbe de consommation courante ». Des « chanvrières sous serres », limitées à « 1 hectare », permettraient de cultiver des « boutures de variétés de cannabis » et de « soutenir la concurrence qualitative avec les marchandises d’importation ». Enfin, toujours « indoor » (sous serre), des horticulteurs exploiteraient des surfaces de 500 m2, et les producteurs « indépendants », 50 m2. Pour les particuliers, « une surface de 2 m2 de floraison « indoor » et 10 pieds « outdoor » par foyer semble une limite raisonnable, précise le rapport. Les cannabiculteurs les plus passionnés devront se professionnaliser. »

LA PISTE DE LA REGULATION

 

Côté distribution, des « associations pourront ouvrir des clubs de consommateurs », de 18 heures à minuit en semaine, jusqu’à 2 heures le week-end, à condition de ne faire aucune publicité extérieure.

Plus récemment, un journaliste de Slate tente d’imaginer une filière française du cannabis. Hélas, l’auteur de l’article oublie de citer les multiples utilisations du chanvre autre que la fumette : cordage, tissage, papier, construction… Une filière française du chanvre serait même bonne pour la Made in France !

Retrouvez les contributions d’Adrien Saumier sur son blog : http://adriensaumier.fr/index.php?

Garder l’Euro, ajouter les Drachmes

ROME ET LES MONNAIES LOCALES

 

Loin d’être originale, la coexistence de deux ou plusieurs monnaies a été la norme pendant toute l’histoire humaine. Exemple le plus connu : Rome. L’empire avait une monnaie commune, le Sesterce, lequel coexistait avec plus d’une centaine de monnaies locales. Le Sesterce avait cours dans tout l’empire, comme l’Euro aujourd’hui, facilitant les échanges, tant commerciaux qu’administratifs (entre le pouvoir impérial et les Provinces). Le Sesterce, grâce à son universalité, servait au paiement des impôts au pouvoir central, finançant les infrastructures de l’empire (dont les fameuses voies romaines), mais aussi comme unité de comptes, et, plus prosaïquement, à la constitution de l’épargne de chacun.

En même temps, les Province et les ville majeures, surtout en Orient (En effet, d’après l’historien Gilles Bransbourg, les monnaies régionales sont surtout le fait des Provinces d’Orient, probablement en raison de la plus grande intégration de Rome, la Gaule, la Bretagne et l’Ibérie. De là à y voir un « noyau dur » équivalent à celui existant aujourd’hui en Europe à l’Allemagne et sa périphérie, il y a un pas qu’on ne franchira pas.)], émettaient une ou plusieurs monnaies locales (près de 350 au IIIème siècle AD), dont l’origine était antérieure à l’empire Romain, lequel a eu l’intelligence de les laisser perdurer. Ce faisant, Rome permettait à chaque économie de conserver une pouvoir de création monétaire propre, mais limité géographiquement. L’inflation potentielle étant circonscrite à la Province considérée, le Sesterce impérial restait stable (au moins pendant tout le Haut Empire), étalon d’un système monétaire à la fois multiple et unitaire.

FAIRE TOURNER LA PLANCHE A BILLET

 

Quel intérêt ? Tout simplement de faire « tourner la planche à billets » localement et assurer l’approvisionnement local en numéraire en fonction des besoins réels, sans dépendre du pouvoir central. De fait, ces monnaies locales, complémentaires du Sesterce, permettait aux Provinces d’apporter à leurs économies l’oxygène indispensable en cas de crise : des liquidités ciblées.

C’est exactement l’outil qui fait défaut aujourd’hui à la Grèce. Ne pouvant dévaluer sa monnaie, l’économie grecque est figée par la rigidité de l’Euro. L’austérité exigée par ses partenaires de l’Eurozone est légitime pour maintenir le rang de l’Euro, mais dévastatrice pour une économie au point mort. D’où la tentation de sortir de l’Euro et revenir à la Drachme, afin de pouvoir librement créer des liquidités, atténuer le poids de sa dette et investir pour transformer son économie.

DES DRACHMES AUX EFFETS INFLATIONNISTES CIRCONSCRITS

 

En reprenant l’exemple de Rome, la Grèce pourrait rester dans la zone Euro tout en émettant en parallèle des Drachmes régionales pour relancer son économie par la création monétaire locale. Le caractère régional permet d’éviter la confusion avec le retour à une monnaie nationale, laquelle doit rester l’Euro. Donc « des » Drachmes, une par région grecque, émises par des banques centrales régionales, fédérées par la Banque centrale nationale grecque, retrouvant un rôle de création monétaire, mais indirect, via les régions. En outre, l’intérêt de ces monnaies régionales est réduire l’impact inflationniste potentiel sur les autres membres de la zone Euro.

L’autre (immense) avantage de cette solution qui laisse perdurer l’Euro en Grèce est d’éviter la spoliation des épargnants grecs et donc la ruée inévitable vers les banques en cas de sortie de l’Euro. Car s’il est un danger réel d’une sortie de l’Euro, c’est bien celui-ci : l’assèchement des circuits bancaires, non pas seulement en Grèce, mais en Espagne, au Portugal, en Italie, en France… bref, la fin de l’Euro et du système bancaire actuel.

Concrètement ? Pour lancer quelques pistes, posons que la monnaie régionale aura cours légal uniquement dans la région d’émission. La Drachme macédonienne en Macédoine, la Drachme Athénienne à Athènes, etc., pour effectuer tous les paiements de produits et services locaux : alimentation, artisans, loyers, impôts locaux, spectacle, etc. Corollaire du cours légal régional, les commerçants et propriétaires de la région seront obligées d’accepter tout paiement effectué en Drachmes, exception faite des biens industriels directement importés sans transformation locale (tel un iPad par exemple).

MONNAIE REGIONALE, FONDANTE ET ELECTRONIQUE

 

Les Drachmes seraient fondantes, c’est à dire que leur valeur disparaît après une période de temps, par exemple 2 ans. Cette caractéristique évite la thésaurisation et oblige à sa circulation, pour irriguer l’économie locale. Ces Drachmes régionales seraient sous forme électronique, type Moneo, ce qui permet de gérer plus facilement leur caractère fondant (comme sur Skype lorsqu’on a pas utilisé son compte crédité). Enfin, leur conversion en euros ne serait ouverte qu’aux seuls commerçants (et non aux particuliers) pour les Drachmes reçues en paiement, avec une décote de 5 % (bien entendu, ces mêmes commerçants pourront utiliser ces Drachmes à valeur pleine pour payer leurs fournisseurs).

Leur émission s’effectuerait via les salaires et les traitements des fonctionnaires, lesquels seraient versés en partie en Euros et en partie en monnaie régionale, par exemple pour un quart en monnaie régionale. Une suggestion : que ce premier versement s’accompagne d’une augmentation de 25 % sur la partie payée en Drachme, afin que le message soit clair pour toutes et tous : il s’agit d’un outil de relance.

EXEMPLE

 

Prenons un fonctionnaire de Thessalonique, payé aujourd’hui 2 000 euros à titre d’exemple. Il recevra 1500 Euros et 500 Drachmes de Thessalonique majorée de 25 %, soit 625 Drachmes. Ces 625 Drachmes lui serviront à payer par exemple ses courses auprès de la coopérative des agriculteurs locaux, une sortie au Theatro Dassous et payer une partie de son loyer : bref, faire marcher l’économie locale. Et ce, en préservant la valeur de l’Euro, étalon de notre système monétaire, en lui souhaitant la même longévité que le Sesterce : cinq siècles !

Retrouvez les contributions de Franz Vasseur, Avocat à la Cour sur [son blog :

Planter des choux à Brooklyn

FAUT IL EN SOURIRE ?

Formant la partie Est de New York, Brooklyn et ses 2, 5 millions d’habitants est une ville en soit. Si les quartiers face à Manhattan sont de riches pavillons résidentiels, la zone à l’extrême Est de Brooklyn héberge une population défavorisée, majoritairement afro-américaine. Au bout de la ligne de métro, passée une heure et demie au départ de Manhattan, c’est dans un autre monde que vous plongez. Ici, point d’Office de tourisme, les images que l’on nous donne de ce quartier sont peu flatteuses et nous viennent généralement des journaux télévisés, où violence et pauvreté alimentent reportages aux audiences assurée.

La naissance d’un projet communautaire
Quinze ans plus tôt, institutions et organisations locales lancèrent une série de consultations populaires. Les résidents furent appelés à déterminer les besoins prioritaires du quartier, tout en y recensant les ressources à disposition.

Parmi les priorités, les habitants mentionnèrent un accès à des commerces de proximité notamment tournés vers la vente au détail de produits frais, des espaces publics sécurisés ainsi que des espaces verts, et enfin des opportunités professionnelles pour les jeunes. Parallèlement furent recensés comme ressources du quartier la vitalité de la jeunesse (plus d’un tiers des résidents) et les nombreux terrains vagues et espaces en friche dont disposait le quartier, plus que n’importe quel autre à New York. Trois ans plus tard, naissait East New York Farms (ENYF).

East New York Farms – Les Cré’Alters from Les Cré’Alters on Vimeo.

Cette organisation gérée par des habitants et des professionnels agricoles se donne pour mission de cultiver ces espaces en friches tout en donnant l’occasion à des jeunes de se forger une première expérience agricole et professionnelle. Tous les ans, durant 9 mois, un groupe de 20 jeunes âgés de 13 à 15 ans reçoit, hors du temps scolaire, une formation incluant toutes les tâches relatives à la culture d’un jardin biologique. Pour beaucoup, c’est leur premier « job », ces derniers touchant une petite indemnisation pour leurs travaux et ramenant chez eux ce qu’ils produisent.

Après s’être difficilement repérés dans le dallage des rues du quartier, nous poussons le portail d’un vaste terrain partiellement cultivé. Nous y sommes, dans l’un des deux principaux jardins cultivés de l’organisation. Cette après-midi là, une douzaine de jeunes ainsi que quelques accompagnateurs s’affairent à la tâche, retournant la terre, ou vissant, clouant de futurs bacs à compost. Vêtu d’un jogging noir, capuche relevée sur la tête, Kwadwo, 14 ans s’acharne sur de la mauvaise herbe au moyen de coups de bêche bien placés. Pourquoi travailles-tu ici ? Sourire au lèvre, il nous répond presque gêné « pour aider l’environnement », il poursuit plus assuré « pour permettre au gens de mieux manger et être en meilleure santé», et puis rajoute-il « ma famille est fière de moi ». Quant à Ashley, 15 ans, celle-ci y voit surtout le coté « fun » de la pratique et la possibilité « d’apprendre plein de trucs ».

Un concept arriéré ?
L’idée peut paraître obsolète et éloignée des priorités des jeunes. Elle présente pourtant de nombreux mérites. Tout d’abord, ENYF répond à des préoccupations alimentaire et sanitaire. L’organisme permet à la population d’avoir accès à un large choix de fruits et légumes biologiques à des prix très abordables, sensibilise la jeunesse et par ce biais les familles à une meilleure alimentation, riche en produits frais. Ainsi ENYF lutte contre l’un des problèmes majeurs de ce quartier, à savoir, la malnutrition, phénomène sans cesse grandissant et responsable de nombreuses maladies. David, coordinateur du programme, nous explique :

« la partie Est de Brooklyn possède l’un des plus hauts taux d’obésité et de diabète de la ville de New York. Aussi, ce que nous voulons c’est offrir une alternative. »

Cette initiative est également un bienfait pour l’économie locale. En une dizaine d’année, ENYF est devenu un véritable système bien huilé et incorporé dans un réseau de marchés locaux et de fermes régionales. Elle représente une réelle opportunité en termes de création d’emplois et de dynamisme des échanges locaux. Ainsi, au cours des dernières années de nouveaux entrepreneurs locaux ont vu le jour : gérants de marchés, distributeurs, jardiniers et agriculteurs.

Du point de vue environnemental, cette initiative valorise la production et la consommation de produits biologiques. De plus, par son système de production locale, ENYF limite le transport des denrées et donc l’impact carbone lié à cette consommation.

D’autre part, un aspect dont on ne perçoit pas au premier abord toute son importance mais qui est fondamental : l’impact social d’une telle initiative. ENYF remobilise une partie de la jeunesse sur un même espace et autour d’un projet commun. L’organisme offre la possibilité de se rencontrer et de travailler ensemble, développant ainsi des valeurs d’entraide et de respect, faisant office de soupape sociale dans un quartier aux relations parfois explosives. De plus, la nourriture est aussi utilisée ici comme un moyen d’aborder des questions de justice sociale.

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IMPLIQUER DANS LA VIE DE QUARTIER

David précise : « à la fin du programme quelques jeunes ont choisi de s’orienter vers du militantisme vert ou des métiers agricoles, mais cela n’est pas l’objectif premier du programme». En définitif, comme le souligne David

« il s’agit davantage d’impliquer les habitants dans la vie du quartier que de créer une génération de fermiers »

ENYF donne en effet d’abord l’occasion aux jeunes de ce quartier d’être responsabilisés, de se forger leurs premières armes de travailleurs actifs, mais aussi de citoyens. Impliquant familles et entrepreneurs locaux, ENYF offre une belle occasion, celle de réconcilier alimentation, lien social, santé, agriculture et opportunités professionnelles.

« Je pense que la question de l’alimentation va au-delà du besoin vital de se nourrir, finalement elle peut être utilisée comme un moyen d’organiser et de construire une communauté, une façon d’impulser un changement social.»

En refermant le portail du jardin de l’East New York Farms, on se dit que le chou de Brooklyn semble finalement promis à un bel avenir.

« Pour une agriculture urbaine » : tribune publiée sur Les Echos.fr

Plusieurs organismes publics ou parapublics s’en sont émus auprès de l’État. Ã l’aube des années 2000, la SAFER dénonce le phénomène, et en 2004, dans un « Livre blanc », elle associe la question du développement économique de l’agriculture à la qualité des paysages.

La prise de conscience est désormais acquise, mais elle ne fait pas une politique publique. Certes, la protection des terres agricoles se traduit progressivement dans la gestion du foncier. Mais quelle valeur peut avoir un champ, même de la meilleure terre, face à la spéculation foncière ? Dans un projet porté aujourd’hui par le Groupe Auchan, sur les dernières grandes surfaces agricoles franciliennes du Triangle de Gonesse, peut-elle faire encore le poids ?

LE FONCIER A L’EPREUVE DE LA SPECULATION

Partout en Europe, des communautés urbaines ou des régions n’ont pas attendu « l’impossible » loi qui protègerait la terre agricole au même titre qu’un morceau de patrimoine. Dans les périphéries de Berlin, Milan, ou Barcelone, plusieurs centaines d’hectares sont intégrés à de grands parcs où cohabitent plusieurs formes d’agricultures, des zones de loisirs et des parcours de promenades.

à Lille autour du canal de la Deûle, la communauté urbaine a initié, il y a une vingtaine d’années, un parc d’un nouveau genre, associant propriétaires publics et privés, espaces agricoles, espaces naturels et lieux de loisirs. Sur près de 2000 hectares, l’agriculture est préservée et participe au maintien de grands espaces de promenade au c?ur du tissu périurbain. Agriculteurs, gestionnaires des espaces publics et naturalistes, travaillent en bonne intelligence.

Au c?ur des villes, l’agriculture est pourtant trop souvent reléguée à un enjeu symbolique. Elle est au mieux une source d’inspiration et de renouvellement des figures paysagères dans des parcs et jardins publics, déclinés parfois avec réussite.

L’enjeu du métissage entre l’agriculture et la ville relève d’une importance stratégique. Il ne porte pas seulement en lui un parti pris esthétique ou le défi de la rupture avec une agriculture productiviste mortifère pour notre santé. Il ouvre une opportunité : celle de la refonte de projets de territoires dans leurs dimensions les plus intimes.


Les projets de fermes pédagogiques se multiplient.

Une forme de microagriculture » liée à la pratique du jardinage et au besoin de recréer des liens sociaux (jardins familiaux, jardins partagés?) réinvente les anciens jardins familiaux. Dans ces lieux, on se retrouve autour d’activités de jardinage, on partage le plaisir de croquer quelques radis, de goûter des fraises.

Si ces jardins peuvent constituer, au temps de la grande crise, un complément à l’économie ménagère – comme ils l’étaient à leur création au XIXe siècle -, les microparcelles des écoles ou des jardins partagés ont avant tout un rôle pédagogique. L’agriculture « réelle » en a probablement besoin. Dans les grandes villes, la dernière mode est à la production de miel, sur les toits des grandes institutions, des entreprises, on installe des ruches dont la production est de meilleure qualité.

« BOBOLAND » OU BASE DE PROJET DE TERRITOIRE

D’aucuns dénigrent ces nouvelles formes agricoles justes bonnes à faire pousser un peu de convivialité pour citadins dés?uvrés. On serait là sur un terrain marginal et il semble difficile d’imaginer une régression de la ville au profit de l’agriculture. C’est pourtant arrivé à Détroit. Touchée de plein fouet par la ruine de l’industrie automobile, cette ville américaine a perdu une grande partie de ses habitants. La population restante, souvent très pauvre, a investi des parcelles anciennement loties, pour développer des cultures vivrières et une nouvelle urbanité.

En France, les métropoles de Nantes et de Rennes se préoccupent de la protection de leurs terres agricoles. Ã l’initiative de designers locaux, le collectif des « Ekovores » imagine une agglomération résiliente, où « producteurs et mangeurs » vivraient en symbiose, les citoyens des villes consommant des légumes bios de maraîchers de la toute proche périphérie, en limitant les intrants et les hydrocarbures.

à l’heure des circuits courts, l’agriculture doit être appréhendée plus fondamentalement comme un système qui porte sa résilience et celle de la ville. C’est un enjeu transversal, de gouvernance environnementale, sur la gestion de l’eau, la biodiversité, mais également sur les champs de l’emploi et éducatifs. Produire pour et dans la ville appelle en effet des changements techniques, l’organisation de nouveaux modes de distribution, et de nouvelles formes agraires : des circuits courts comme la cueillette à la ferme et la vente directe (les fermes de Gally, près de Versailles?), des contrats de production (les Associations pour le Maintien d’une agriculture paysanne), des contrats d’entretien novateurs (le pâturage des moutons dans un parc public?).

Longtemps, les limites entre ville et campagne ont été franches, mais la situation s’est par la force des choses estompée. Cela n’a pas été le fruit de décisions politiques, au contraire. Dans le rapport de mars 2010 commandé par l’Établissement Public de la « Plaine de France », la très sérieuse Direction de l’Équipement du Val-d’Oise plaide en lieu et place d’un énième projet d’hyper marché de 80 hectares porté par la famille Auchan pour une imbrication entre ville et campagne féconde en termes de développement local. En traitant les franges de contact avec la population, citant des exemples réussis de pays nordiques, elle plaide pour que ces surfaces soient aménagées.

Cette nouvelle agriculture doit être pensée et spatialisée dans un projet urbain, économique et paysager, avec l’aide d’outils réglementaires, constitutifs « d’aménités urbaines » comme l’écrivait le chercheur Pierre Donadieu, dés 1988.

L’AGRICULTURE C’EST POUR MANGER

Hélas, trop d’élus cèdent à la paresse intellectuelle et aux promesses des marchands du temple qui aménagent et façonnent les grands projets de la cité à la place des schémas de cohérence territoriale (SCOT) et autres plans locaux d’urbanisme (PLU). Ce faisant, ils relèguent la semaine l’agriculture au rang d’une industrie bénéfique pour notre balance commerciale. Au pire, Lles week-ends d’élections, ils « caressent le cul des vaches » et une certaine idée passéiste d’une France mythifiée.

Dans les couloirs du salon de l’agriculture, se souviendront-ils que la préservation des terres agricoles est une nécessité vitale pour se nourrir ? On l’oublie souvent, mais dans l’exemple de Gonesse, les terres agricoles menacées dans le secteur représentent à l’horizon 2025 l’équivalent de la consommation de 500 000 personnes en pain pendant une année.

Les agricultures urbaines sont un enjeu pour les villes et les campagnes de demain, car elles impliquent les citoyens dans une connaissance et un rapport respectueux du substrat et pour maintenir aussi, dans des métropoles très denses, la présence du ciel, de grands horizons, des lieux où se promener.

Les enjeux productifs du Design

Le design souffre en France d’un malentendu. Couramment assimilé à la mode et à la décoration, on ignore sa capacité à toucher tous les domaines de l’industrie et des services. Le métier de designer est à peine reconnu. On évoque des success stories mais il y a peu d’études statistiques sur le sujet. Il n’existe pas de définition simple et opérationnelle de son champ d’intervention. Pas de structure équivalente au Design Center de Tokyo, au Design Council britannique ou à la Design House d’Eindhoven. De très belles expositions aux Arts Décoratifs, au Centre Pompidou ou ailleurs, mais pas de musée dédié, comme le Design Museum de Londres, le National Design Museum de New York ou le Musée du Design d’Helsinki.

Pourtant, le design s’impose progressivement sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel comme un facteur de différenciation, de diversification et d’innovation. La Région Ile-de-France l’a bien compris, qui a décidé de créer en 2009 un lieu spécifiquement lié au design : Le Lieu du Design. Parce qu’il y avait nécessité à construire une vraie stratégie de design dans l’une des toutes premières régions d’Europe. Qu’il fallait inventer un lieu de promotion du design industriel et de l’éco-design au service d’une démarche de développement durable. Qu’il y avait intérêt à fédérer, dans un même lieu, les différentes structures et la diversité des professionnels du design. Qu’il y avait utilité à créer une plateforme unique de prestations, de rencontres et d’échanges permanents pour inciter les entreprises à faire davantage appel au design. Des centaines de projets y sont instruits, les demandes d’accompagnement se multiplient, des dizaines de milliers de visiteurs se rendent à ses expositions. Preuve est faite de l’intérêt que portent au design les industriels, les designers, mais aussi le grand public.

Mais, si les grandes entreprises industrielles et de services ont recours au design, comme en témoignent les centres ou studios de design intégrés dont elles se sont pratiquement toutes dotées et qu’un nombre croissant d’entreprises y font appel, comment convaincre la majorité des dirigeants des petites et moyennes entreprises de l’utilité du design ?

Car nombre d’idées reçues subsistent : le design serait coûteux, peu compatible avec un processus industriel, difficile à distinguer des fonctions marketing, recherche et développement ou communication et souvent associé aux suppléments week-end de nos journaux et magazines. Là, le design y est tendance.

Pour nous, le design doit se défaire de ses habits esthétisants et purement décoratifs.

Car le design, c’est quoi ? C’est d’abord de la valeur ajoutée, de la création de richesses et donc d’emplois. La réalité du design, c’est 30 000 à 40 000 professionnels et un chiffre d’affaires d’environ 5 milliards d’euros. Une étude menée par le Design Council montre que les entreprises qui font appel au design réalisent en cinq ans un chiffre d’affaires de plus de 20% supérieur à la moyenne. Et le Design Council de préciser : « 100? investis dans le design, c’est 236? de chiffre d’affaires supplémentaires ». « Design or decline », tel est d’ailleurs le mot d’ordre commun aux tr
availlistes et aux conservateurs britanniques.

En France, seulement 40% de nos entreprises font appel au design et 25% d’entre elles considèrent le design comme stratégique ! Ces proportions sont strictement inverses en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie ou encore dans les pays scandinaves où le design fait partie intégrante de la culture des entreprises. Au Japon, le design est au c?ur de l’alliance nouée entre les autorités publiques et les milieux économiques avec, pour seul objectif, la puissance industrielle du pays.

PENSER AUTREMENT LA PRODUCTION ET DONC LA CONSOMMATION

Il est pour le moins paradoxal que l’excellence de nos designers formés dans nos écoles de design soit davantage reconnue à l’étranger et serve d’abord nos principaux concurrents plutôt que le développement de notre propre tissu industriel !

Car innover, ce n’est pas seulement lancer un produit technologiquement plus développé mais également changer les modes de production et de distribution, c’est concevoir de nouveaux services, élaborer de nouveaux concepts commerciaux, créer ou renouveler une image de marque ou encore envisager une nouvelle forme d’organisation du travail. Aux designers, « ne demandez pas comment construire un pont, demandez leur plutôt comment traverser une rivière ».

Nous avons commencé de vivre une crise majeure de l’énergie et du climat qui nous impose de réviser nos manières de penser et de vivre. Nos espaces de vie et de ville sont envahis au quotidien par des objets communicants, clés de voûte d’un nouveau monde industriel. De nouvelles pratiques de consommation émergent. Les matériaux intelligents se développent. De nouveaux besoins apparaissent liés à l’allongement de la vie. Autant de champs de réflexion majeurs pour les industriels et les designers et de champs d’actions pour concevoir des produits et des services socialement utiles, d’emploi sûr et durable, d’utilisation simple et d’un coût abordable.

Il serait évidemment stupide de faire du design et du designer une panacée aux difficultés planétaires mais il serait dommage et dommageable de se priver de la capacité d’innovation et de créativité de cette discipline et de cette profession qu’il nous revient de soutenir, de valoriser et de promouvoir.