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Les syndicats à l’heure de la métropole

La crise de 2008 est le révélateur non seulement de problèmes dans le fonctionnement de notre système bancaire mais encore et surtout dans les rapports qu’entretiennent les pouvoirs publics avec l’économie. Les Etats, en France et ailleurs, apparaissent plus fragiles et plus limités. Cette crise constitue une rupture dans notre modèle social et politique ; elle constitue une perte du repère de l’action publique et donc dans le même temps de nos représentations de la nature et des fonctions de la politique qui sont au fondement de notre système démocratique.

La concomitance de cette crise et de la montée fulgurante des discours extrémistes en Europe, qui refusent toute forme de légitimité à la démocratie représentative dont les syndicats font partie, est un indice de la volonté des citoyens de voir l’action publique revenir au centre de la vie politique. Ce qui est réclamé avec tant de force – et avec tous les excès possibles – n’est pas seulement l’administration de structures qui existent déjà. Il y a chez nos concitoyens un désir de renouvellement qui ne doit pas être ignoré par tous ceux qui affirment en avoir reçu un mandat. Ce désir de renouvellement s’accompagne en même temps d’une demande très forte d’intelligibilité de la politique, qui dépasse de beaucoup la seule question des stratégies en communication.

La crise économique a mis en évidence, lorsque l’économie mondiale s’est contractée, toute la force d’une mondialisation qui transforme tout ce qu’elle touche en marchandise : en classant, en évaluant, la mondialisation transforme notre rapport au monde. Elle induit un changement anthropologique en plaçant la relation marchande avant tout autre relation ; en même temps elle repose sur un principe d’échanges, de liberté, d’initiative que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître comme profondément positif et démocratique. Dans ce contexte, le débat français sur la mondialisation s’est historiquement mal engagé : on l’a réduit à une lutte contre quelques entreprises, bien souvent néfastes ; la question de la place de la France dans le monde, de la manière dont les territoires de la République pouvaient s’articuler avec ceux du reste du monde a été largement occultée. Faute d’avoir su poser des questions à temps, nous devons maintenant à la fois poser les questions et trouver les réponses dans une urgence qui ne nous aide pas à faire les bons choix. Il est certain que nous manquons de recul et que cela a un impact sur la manière dont nous préparons nos choix stratégiques.

Ces changements liés à la mondialisation sont particulièrement visibles en France dans les rapports aux territoires. Seules les métropoles émergent dans la mondialisation, et la France en a peu. Que ce soit en laissant faire la mondialisation ou bien en prenant les devants, il y a des recompositions difficiles des territoires français, des fractures profondes qui appellent une action publique forte. Nous voyons ces difficultés quand il s’agit de prendre en charge et de financer les services et les infrastructures nécessaires à la vie de tous les habitants, que ce soit la distribution de l’eau, l’état des routes, la sécurité ou la prise en charge de l’enfance, de l’éducation. Or cela pose des questions sur la capacité de nos collectivités locales et de l’Etat à répondre aux citoyens quand les difficultés sociales et économiques liées à l’évolution du monde et de ses grands équilibres les amènent à s’inquiéter pour leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants.

Les questions qui se posent à nous sont donc radicales ; elles tiennent à la manière dont nous concevons les territoires et les communautés, dont nous faisons le lien entre les habitants et les pouvoirs publics, dont nous voulons équilibrer entre tous les territoires les ressources économiques et financières. Pouvons-nous par exemple continuer à privilégier de petites collectivités territoriales comme les communes et même dans certains cas les départements? La question est posée. Aucune réponse n’est évidente, mais toutes doivent être considérées.

Dans la mondialisation, la place des métropoles est centrale : elles constituent comme Laurent Davezie l’a souligné – et avant lui Pierre Veltz – des zones marchandes dynamiques capables de proposer des services et des produits à une échelle toujours plus globale. Les grandes métropoles font alors office de point de contact avec un réseau mondial d’échanges non seulement économiques mais aussi intellectuels, culturels, sociaux, migratoires ; elles polarisent leurs territoires périphériques par leur puissance d’attraction. Cette situation est un moteur économique d’une puissance formidable si nous parvenons à nous y connecter.

La mondialisation transforme profondément les territoires, autant ceux qu’elle touche que ceux qu’elle délaisse.

Face à de tels phénomènes une réponse uniquement politique ou bien uniquement économique serait mauvaise. Ceux qui affirment qu’une pure adaptation économique – et juridique – à la mondialisation suffit pour s’en faire un allié dans le développement territorial mentent autant que ceux qui affirment que la mondialisation et ses effets sur la France et les Français peuvent être niés par un discours suffisamment virulent.

Une adaptation de nos structures territoriales apparaît aujourd’hui comme une urgence trop longtemps délaissée. Le chantier est immense et ses enjeux de pouvoirs vont avoir des répercussions dans toute la pratique politique française. Les intérêts des uns et des autres vont parfois être mis à mal.

Dans la tempête qui s’annonce, il faut s’en tenir à des principes simples. Nos principes pour la transformation des collectivités territoriales sont ceux que tous les citoyens demandent à raison : démocratie, citoyenneté renforcée et capacités réelles à agir sur les territoires, à créer des mobilisations et des actions.

La réponse territoriale à la mondialisation, on le comprend, interroge profondément notre manière de faire de la politique, d’analyser les problèmes et de construire les solutions pour ensuite les mettre en œuvre. Les collectivités territoriales doivent pouvoir clairement anticiper et faire anticiper les changements aux citoyens en même temps qu’elles les représentent. Cette équation ne se résout que par une pratique démocratique renforcée. Il n’y a pas d’habitude républicaine qu’on ne puisse modifier au constat d’un défaut de représentation démocratique et des difficultés à agir au service des citoyens.

Les questions actuelles sur le millefeuille administratif nous disent combien on cherche dans des dispositifs administratifs la réponse à des problèmes profondément politiques, et par conséquent combien nous donnons des réponses erronées aux soucis des Français. Il faut le dire encore une fois, les difficultés que notre démocratie connaît ces dernières années, en particulier face à une double contestation de ses principes à l’extrême droite et dans une moindre mesure à l’extrême gauche, sont d’abord les symptômes d’un besoin urgent des Français d’action publique pour les soutenir dans les transformations de leur quotidien et de leur horizon. Aujourd’hui, l’enjeu est bien de déterminer ce qu’il est possible de faire. Alors que les marges budgétaires et financières de l’Etat sont faibles, voire nulles, que le chômage est haut et que tant de facteurs extérieurs pèsent sur la société française et sur l’ensemble de l’espace européen, il est non seulement difficile de faire mais aussi simplement de déterminer quoi faire.

UN BESOIN DE POESIE, D’UNE LANGUE COMMUNE

Pour agir efficacement, avec une efficacité politique, c’est-à-dire dont le résultat produise plus de citoyenneté, il faut être capable de concevoir des objectifs au travers desquels le monde soit pensé dans sa globalité, dans la nature profonde de ses transformations. Nous nous trouvons face une impuissance des discours politiques techniques qui trop souvent ne disent que leur impuissance à saisir les tensions propres à notre société, à nos territoires, à nos villes.

Il y a dans la vie politique française, dans les attentes des citoyens, un besoin de poésie, un besoin d’une langue commune qui nous permette de dire, de saisir le réel, de l’assumer, et de transformer notre vision. Ce renouvellement de la langue politique est nécessaire pour quitter le registre de la déploration et de la perte qui domine les discours politiques et conduit les citoyens au désespoir. Doit-on s’étonner que dans la première moitié du XXe siècle un intellectuel comme Walter Benjamin cherchant à comprendre la nature des grandes métropoles se soit trouvé irrémédiablement attiré par l’œuvre de Charles Baudelaire?

Il nous faut prendre un temps pour chercher dans les métropoles d’aujourd’hui les nouveaux ateliers, s’intéresser à ceux qui vivent, marchent et travaillent dans ces ensembles d’habitations, de magasins, d’usines, d’écoles, de cafés et de marchés. Il faut chercher dans un langage poétique, qui fera des individus et des lieux des réalités accessibles à tous, un début de reconquête de très grandes villes qui parfois semblent s’être développées sans leurs habitants.

Comprendre les métropoles du XIXe siècle, celles où s’est forgée la mondialisation, passe donc nécessairement par une refonte de notre langue, une volonté de donner des sens plus précis et plus fins aux mots, de créer de nouvelles images et de regarder les choses que nous croyons passantes avec un nouveau regard. Il faut reconnaître quelque chose de subversif à cette langue dont nous avons tant besoin car elle devra montrer y compris ce que nous ne voulons pas voir. Mais si nous ne faisons pas cet effort sur nous-mêmes, nous risquons de nous aliéner durablement ces nouveaux territoires des métropoles où se joue pourtant une part considérable de l’avenir de notre pays.

Le syndicalisme est maintenant face à ses responsabilités politiques et morales, face aussi à ses ambitions personnelles dans la démocratie française. Nous traversons une période difficile où l’économie se ressert, les entreprises et les emplois souffrent. Il faut reconnaître que cette situation met les militants à rude épreuve. Ils sont toujours écartelés entre la gestion des urgences et le besoin d’assumer la construction d’une vision pour l’avenir. Dans ce contexte, les tensions anciennes et que nous savons creuses entre réformisme et syndicalisme de combat refont surface pour ajouter des frictions entre syndicats à l’heure ou notre charge de travail est déjà grande. Cette opposition est fausse car elle forcerait à faire un choix entre la société telle qu’elle est et celle que nous imaginons pouvoir obtenir plus tard par une lutte radicale : comme si les bonheurs à venir nous donnaient le droit de sacrifier les salariés de maintenant, comme si surtout nous n’avions pas déjà des moyens importants pour changer par notre seule volonté des pans entiers de la société française.

Les syndicats doivent assumer leurs capacités à agir directement dans la société française, pas seulement à revendiquer des droits légitimes pour les travailleurs. Ils doivent penser largement le travail dans un monde ou travailler change rapidement de nature par rapport au XXe siècle. Investir l’espace social, assumer sa présence et son discours, distinct des associations comme des partis politiques : telle est la mission des syndicats. Les conseils économiques et sociaux tout comme les comités d’entreprise ne doivent pas constituer des marges du travail syndical mais un champ à part entière, reconnu et valorisé, et ou les syndicalistes pourront faire la démonstration de la cohérence et de la force de leurs projets pour la société française. Il faut assumer être les porteurs de cette parole qui va au cœur des choses et qui les transforme, qui dévoile le présent et ré-enchante l’avenir.

L’Europe sociale encore loin du compte

Alors que le problème des travailleurs détachés est sur la table des négociations et que l’Allemagne a enfin annoncé l’instauration d’un salaire minimum, on se met aujourd’hui à rêver d’une Europe Sociale. Mais où en sommes-nous réellement ?

Repartons d’abord de la Charte des Droits fondamentaux du 7 décembre 2000. Elle garantit entre autres aux salariés le droit à l’information-consultation, à la négociation collective, à des conditions de travail équitables ou encore à une protection contre un licenciement injustifié.

Alors que cette charte aurait pu être les prémices d’un socle social commun, le refus de la France et des Pays-Bas de la « sanctuariser » au sein du Traité Constitutionnel Européen a stoppé le processus.

Cela étant, malgré les difficultés liées à un élargissement ininterrompu, l’Union Européenne a instauré un dialogue social qui tente-péniblement-d’exister.

Patrons et syndicats ont signé seulement cinq accords européens

C’est pour représenter le syndicalisme européen que la Confédération Européenne des Syndicats a été créée en 1973. Elle compte 85 organisations syndicales issues de 36 pays ainsi que 10 fédérations sectorielles. Réunissant en son sein des syndicats aux pratiques et aux relations sociales très diverses, la CES a longtemps fonctionné comme un conglomérat ayant des difficultés à parler d’une seule voix.

Elle a néanmoins signé avec son homologue patronal plusieurs accords-cadres, ensuite transcrits dans des directives.

Si cela illustre la capacité de l’Europe à produire des droits pour l’ensemble des salariés européens, leur faible nombre (cinq textes en vingt ans) montre aussi que nous sommes encore loin des standards habituels !

Autres institutions, les comités d’entreprises européens créés en 1994 par une directive de Bruxelles, peuvent également contribuer au bon fonctionnement du dialogue social.

Ces instances doit être informée et consultée sur tous les dossiers transnationaux. Calqués sur le modèle français, ils ont permis aux représentants du personnel d’acquérir une vision européenne tout en renforçant la coopération entre les syndicats par l’intermédiaire des fédérations sectorielles européennes.

Le hic ? Comme ces instances ne sont pas obligatoires, bon nombre d’entreprise ne les ont tout simplement pas créées !

Alors, pour renforcer un dialogue social encore embryonnaire, les gouvernements doivent laisser des marges de man?uvre aux partenaires sociaux et plus généralement à la société civile européenne.

A l’heure de la montée du repli sur soi et du populisme, cela constituerait pour l’Europe un signe de démocratisation dans le cadre d’une décentralisation pouvant aider à rapprocher l’Europe de ses concitoyens.

Le mouvement ouvrier et la politique (1ère partie)

INDEPENDANCE SYNDICALE

La méfiance vis-à-vis de l’Etat peut s’expliquer aisément par la répression que celui-ci a très longtemps utilisée comme réponse aux revendications sociales.

Celle exprimée par rapport aux partis est beaucoup plus paradoxale car liée avant tout à une certaine concurrence entre les deux organisations pour conduire l’émancipation totale de la classe ouvrière.
Le fait de vouloir débarrasser l’action syndicale de tout rapport partisan ne signifie pas pour autant que les syndicats se soient totalement désintéressés de la question politique.

Bien au contraire, à partir de sa reconnaissance légale en 1884, le syndicalisme français s’est emparé des théories socialistes naissantes pour construire son propre projet de société tout en menant ses combats pour faire avancer concrètement les revendications ouvrières. Pour expliquer ce phénomène si particulier à la France, il est nécessaire de retracer l’histoire du mouvement ouvrier au 19ème siècle au cours duquel ses luttes pour instaurer une république sociale et sa profonde attirance pour les thèses socialistes vont être déterminants.

POLITIQUE ET MOUVEMENT OUVRIER

Il faut en fait remonter à la Révolution française pour identifier les premiers liens entre la politique et un mouvement ouvrier encore très minoritaire dans une France rurale.

L’objectif des révolutionnaires est de provoquer la chute de la monarchie absolue et d’instaurer les libertés fondamentales. Le succès de l’entreprise aura d’ailleurs par la suite une importante influence sur le mouvement ouvrier en faisant naître un mythe révolutionnaire mêlé à un fort sentiment patriote. Des divergences apparaissent au sein de l’alliance formée de la bourgeoisie libérale et des classes populaires (petits commerçants, compagnons, artisans, ouvriers).

C’est tout d’abord la question institutionnelle qui fait débat entre monarchie constitutionnelle d’un côté et république de l’autre. Mais c’est surtout sur la question sociale que va porter la ligne de clivage la plus importante car c’est là que les besoins du peuple se font le plus sentir.

Etant dans l’incapacité d’y répondre réellement, le pouvoir en place doit faire face à une recrudescence de mouvements sociaux. Les élus de l’assemblée constituante, à très grande majorité des bourgeois libéraux, votent la loi Le Chapelier qui bannit les associations ouvrières, le droit de grève interdisant ainsi les ouvriers de s’organiser collectivement.

Réaffirmant le rôle centralisateur de l’Etat, cette législation constitue une première victoire d’une république modérée et libérale sur le mouvement ouvrier. L’élimination en 1794 des leaders extrémistes comme Jacques-Henri Hébert et Jacques Roux, surnommé le « curé rouge », renforce l’emprise du camp des conservateurs. L’exécution de Gracchus Baboeuf en 1797, véritable précurseur du communisme, semble sonner le glas d’une république sociale et égalitaire.

Le mouvement ouvrier et la politique (2e partie)

Déjà entrevue lors de la révolution, la politisation du mouvement ouvrier va s’accentuer durant le 19ème siècle pour deux raisons :

– le combat en faveur d’une république sociale pour satisfaire ses revendications immédiates,

– un intérêt croissant pour le socialisme afin de construire une société égalitaire permettant son émancipation.

UN SIECLE DE REPRESSION SOCIALE

A la chute de Napoléon 1er, la royauté rétablie avec Louis XVIII hésite entre un retour de l’ancien régime et une monarchie constitutionnelle imprégnée de certains idées révolutionnaires. Le mouvement ouvrier est lui resté très attaché à la Révolution et va se joindre à la petite bourgeoisie dans la lutte pour le rétablissement de la république refaisant ainsi 1789. Cette lutte républicaine est néanmoins difficile avec de nombreuses déceptions.

Cela commence par la chute du roi autoritaire Charles X au cours de la révolution des 3 Glorieuses. Mais il n’est pas remplacé par la république mais par une monarchie constitutionnelle avec à sa tête Louis Philippe soutenu par la grande bourgeoisie conservatrice victorieuse face à la noblesse royaliste. De nombreuses grèves éclatent et sont durement réprimées par le pouvoir comme à Lyon en 1831 et 1834 avec les révoltes emblématiques des Canuts.

L’absence de politique sociale du gouvernement va obliger le mouvement ouvrier à s’investir davantage dans une lutte politique tout en portant ses propres revendications pour de meilleurs salaires et une diminution du temps de travail. Ayant pour objectif un changement de régime, il s’agit notamment d’intégrer les organisations républicaines alors clandestines.
Les ouvriers commencent également à s’intéresser au socialisme qui tente d’apporter des réponses dans le domaine social.

Le fait que les théoriciens les plus importants du mouvement soient français favorise considérablement la diffusion des idées socialistes. On estime même que c’est un philosophe français Pierre Leroux qui est à l’origine du mot socialisme. Cette richesse entraîne la création de plusieurs courants avec pour commencer, les utopistes comte de St Simon et Charles Fourier, adeptes d’une société égalitaire. Vu comme le fondateur de l’anarchisme, Jean-Baptiste Proudhon, pourtant pacifiste et opposé à la grève générale, est contre l’interventionnisme de l’Etat, favorable aux coopératives ouvrières.

Il est aussi le rival d’un Karl Marx qui s’intéresse beaucoup à l’histoire de France. Auguste Blanqui est lui plutôt un héritier de Robespierre car partisan de la révolution armée qui devra aboutir si nécessaire à ce que l’on appellera plus tard la dictature du prolétariat. Quant à Louis Blanc, il incarne un socialisme d’Etat dont l’interventionnisme permet d’octroyer de véritables acquis sociaux aux ouvriers.

L’ORIGINE DU MOT SOCIALISME

La classe ouvrière connaît une autre désillusion suite aux évènements de février 1848 qui obligent Louis Philippe à abdiquer. La république est certes proclamée dans la ferveur populaire mais le gouvernement provisoire mis en place n’est pas favorable au mouvement ouvrier qui est représenté par seulement 2 personnes sur les 11 au total. Les mesures sociales comme la journée de 11 heures et les ateliers nationaux, ersatz des coopératives ouvrières revendiquées, sont jugées insuffisantes. Le suffrage universel, instauré pour la 1ère fois en Europe, consacre la victoire des conservateurs grâce au poids électoral majoritaire des paysans. Devant le conservatisme du nouveau régime, de nouvelles barricades sont érigées à Paris en juin 1848. La répression qui suit constitue une lourde défaite pour une classe ouvrière fortement affaiblie et de surcroît de plus en plus méfiante vis-à-vis d’une république antisociale et bourgeoise.

Le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851 met fin à la 2ème république en instaurant le Second Empire dans l’indifférence du mouvement ouvrier. Le pouvoir impérial essaie de limiter la diffusion du socialisme au sein d’ouvriers de plus en plus nombreux grâce à la révolution industrielle. Dès 1852, Napoléon III crée les sociétés de secours mutuel gérées par l’Etat et opte à partir de 1860 pour une politique plus libérale. Les chambres syndicales sont ainsi tolérées et en 1864, une loi assouplit la loi Le Chapelier en autorisant la grève.

La défaite de 1871 face à la Prusse sonne le glas d’un régime déclinant. Le mouvement ouvrier se lance alors dans un autre épisode révolutionnaire en instituant à Paris la Commune qui ne durera que 72 jours. Mélange de patriotisme républicain et d’idéologie socialiste, la Commune est un terrible échec pour la classe ouvrière mais qui restera néanmoins gravée dans sa mémoire.

Il faudra attendre La loi Waldeck-Rousseau de 1884 pour voir enfin les syndicats reconnus mais il est difficile d’effacer un siècle de répression sociale. Malgré l’existence d’une tendance réformiste, le syndicalisme français est majoritairement acquis aux idées du socialisme révolutionnaire. En marge de ses revendications pour l’amélioration de la condition ouvrière, il se dote d’un projet politique devant conduire au moyen de la grève générale à une société sans classe. Au début du 20ème siècle, cette politisation du mouvement syndical français se traduira surtout par de vifs débats opposant militants favorables d’un certain pansyndicalisme et ceux en faveur de la prépondérance du parti politique.

Un paradoxe que beaucoup juge aujourd’hui comme un frein important au développement du syndicalisme contrairement aux autres pays européens.

Loi Le Chapelier, le temps des interdits

« Loi terrible » pour Jean Jaurès, « erreur fondamentale » pour Emile Ollivier, la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 a profondément marqué le syndicalisme et les relations sociales en France.

Influencés par le libéralisme du Siècle des Lumières, les révolutionnaires de 1789 veulent rompre définitivement avec l’Ancien Régime. Cela se traduit par le décret d’Allarde de mars 1791 qui supprime les corporations pour faciliter la concurrence et permettre aux ouvriers de créer leur propre entreprise. Les privilèges attribués à une profession doit disparaître car ils entravent la liberté d’entreprendre.

Une fois les libertés publiques reconnues, l’alliance entre la bourgeoisie libérale et les classes populaires éclate devant l’émergence des questions sociales jusqu’ici ignorées.

Sous l’effet de la 1ère révolution industrielle, une classe ouvrière urbaine embryonnaire apparaît et que l’on retrouve dans l’artisanat. Les conditions de travail étant déplorables et les salaires très bas, les ouvriers se mettent de plus en plus en grève pour réclamer de meilleures conditions de vie.

Un député, Isaac Le Chapelier, s’inquiète de ces conflits sociaux qui, selon lui, remettent à cause la liberté du travail. Ces luttes encourageraient les ouvriers à se regrouper pour obtenir des avantages particuliers. Le Chapelier va donc rédiger une loi interdisant les corporations mais aussi les associations professionnelles et le droit de coalition. Votée à une large majorité, le texte revient à proscrire les corps intermédiaires qui pourraient empêcher les individus de conclure librement un contrat. Rien ne doit s’interposer entre les citoyens et l’Etat seul garant de l’intérêt collectif.

Par ignorance des réalités du monde du travail, cette volonté de faire respecter l’égalité entre les individus ne pourra pas se faire respecter. Loin de ses objectifs initiaux, la loi ne fera qu’aggraver les inégalités existantes entre le patron et l’ouvrier isolé, incapable de défendre ses droits.

La loi Le Chapelier a donc particulièrement handicapé le syndicalisme avant même sa naissance. Celui-ci sera réduit pendant près d’un siècle à la clandestinité l’empêchant de réellement organiser le mouvement ouvrier. Elle a aussi inauguré une longue période de collusion entre le pouvoir politique et le patronat entraînant une radicalisation de la classe ouvrière.

Il faudra attendre la loi Waldeck-Rousseau de 1884 pour que les syndicats soient enfin reconnus légalement soit bien après l’Angleterre et l’Allemagne.

Or, la loi Le Chapelier est certes abolie mais certains de ses principes n’ont pas totalement disparu. On peut les retrouver aujourd’hui dans les revendications des ultra-libéraux : marché du travail très flexible, réglementation minimale, forte individualisation des relations de travail, syndicats très limités.

Le récent conflit sur les retraites démontre qu’il reste un long chemin à parcourir pour que L’Etat laisse vraiment de la place aux partenaires sociaux et pour que le syndicalisme tienne une place plus grande dans le domaine social.

Vous pouvez retrouver les chroniques de Christophe Rieuze sur le blog du think tank « Ecologie sociale », animé par Serge Guérin et Jean Marc Pasquet.