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La petite enfance selon Christophe Najdovski

Une autre politique est possible

Une autre approche de la politique de la petite enfance est pourtant nécessaire. Car l’enjeu est éducatif, social mais aussi économique. De nombreuses études, comme celle du prix Nobel James Heckman ([« Skill Formation and the Economics of Investing in Disadvantaged Children », Science, juin 2006, (cité par Thibault Gajdos)))], sont venues confirmer que les capacités d’un individu à s’insérer socialement et à acquérir une qualification sont largement déterminées par sa petite enfance et que les actions d’éveil menées dans les crèches collectives permettent de lutter contre les inégalités sociales. De plus, l’absence de solution satisfaisante d’accueil des enfants est un facteur important d’éloignement des femmes du marché du travail, elle est même destructrice d’emplois. Les chercheurs Eric Maurin et Delphine Roy estiment que 100 000 places de crèches permettent, à l’inverse, de préserver 15 000 emplois et concluent que la création de places en crèches est économiquement rentable ([« L’effet de l’obtention d’une place en crèche sur le retour à l’emploi des mères et leur perception du développement des enfants », Cepremap, mai 2008.)].

Une autre politique de la petite enfance est possible. Des collectivités locales ont fait le choix d’un investissement massif en faveur du développement de l’offre d’accueil sans rogner sur la qualité. Ainsi, à Paris, en dépit des contraintes financières et foncières, plus de 10 000 places seront créées sur la période 2001-2014, portant le niveau d’accueil en structure collective à plus de 50% des enfants de moins de trois ans (contre 10% au niveau national).
Des mesures sont également prises en matière d’accueil à domicile, pour former des auxiliaires parentales et créer un label de qualité.
De plus, la Ville de Paris a pris l’initiative en 2008 d’une convention tripartite avec la Région et l’Académie de Paris pour augmenter le nombre de personnels formés aux métiers de la Petite enfance, faciliter les recrutements et contribuer à sortir de cette situation paradoxale de déficit de personnels formés alors que le chômage fait rage, en particulier chez les jeunes.

Au niveau national, les besoins en matière d’accueil des enfants de moins de trois ans sont évalués à une fourchette comprise entre 300 000 et 500 000 places. Nous appelons donc à un véritable « plan Marshall » de développement de l’accueil collectif, auquel une nouvelle majorité présidentielle et parlementaire devrait s’atteler dès 2012, pour initier d’autres choix que ceux pris actuellement.
Nous proposons une politique progressiste qui garantit l’égalité femmes-hommes, car aujourd’hui ce sont les femmes qui cessent leur activité professionnelle lorsqu’il n’y a pas de solution d’accueil pour leur enfant, une politique qui assure l’égalité des chances pour les enfants, la période de la prime enfance étant déterminante pour leur développement.

La petite enfance, première marche du système éducatif

De même, l’expérience de certains pays scandinaves doit nous inspirer : la petite enfance y est considérée comme la première marche du système éducatif. Ce système qui investit le plus dans l’éducation dès la petite enfance est celui qui bénéficie des meilleures comparaisons internationales tout au long de la chaîne éducative. La Suède et la Norvège ont d’ailleurs transféré la responsabilité de l’accueil de la petite enfance du ministère des affaires sociales vers le ministère de l’éducation.
Autre mesure exemplaire : les deux parents peuvent se partager un congé parental d’un an au Danemark et de 16 mois en Suède, congés convenablement rémunérés, relayés ensuite par un dispositif garantissant à chacun et chacune un mode d’accueil pour son enfant.

Il serait temps que nos dirigeants politiques nationaux suivent ces exemples. Nous n’en prenons hélas pas le chemin. Il appartient donc aux forces progressistes de notre pays de proposer une alternative crédible avec la perspective pour la prochaine législature d’un véritable service public de la petite enfance.

2,01 enfants par femme, et après ?

« La France, bientôt championne d’Europe » entend-on en boucle sur les ondes. On se rapprocherait de l’Irlande qui est à 2,09 enfants par femme.

Moi, je n’aime pas trop ces fanfaronnades, parce qu’un enfant, ce n’est pas qu’un pourcentage, et une femme, ce n’est pas qu’un corps qui sert à engendrer.

Et puis, si l’INSE pointe que l’âge moyen de la maternité est de 30 ans, pour ma part, je pointe que 30 ans, c’est aussi l’âge où les femmes sont insérées dans le monde du travail.

Or, si nous estimons qu’il faut encourager les femmes à ne pas déserter le marché du travail, sous peine d’aggraver les inégalités professionnelles, la question de l’accueil de la petite enfance prend toute son importance.

Alors, qui va garder les enfants ?

Selon les rapports, il manque de 300 000 à 400 000 places pour l’accueil des tout-petits. ([Rapport Tabarot juillet 2008)]

Le gouvernement claironne depuis 2009 son projet de création de 200 000 places d’accueil, 100 000 en accueil collectif et 100 000 en individuel. Or la ([CNAF Caisse nationale des allocations familiales)] n’’a inscrit le financement que de 30 000 nouvelles places en accueil collectif dans la convention d’objectifs et de gestion pour les années 2009-2012.

Pour ce qui est des crèches, on va donc recourir à l’amélioration du taux d’occupation, ce qui n’est pas une aberration en soi. A condition que ni les enfants, ni les familles, ni les professionnel-les n’en paient le prix cher. Or, le plus souvent, améliorer le taux d’occupation d’une structure collective type crèche, revient à faire partager la même place par 2 enfants à des horaires différents. Des enfants accueillis à mi-temps, pour des familles obligées à travailler à temps-partiel.

Quant à l’augmentation des places en individuel
, elle va dépendre bien sûr de l’augmentation du nombre d’enfants accueillis par les assistantes maternelles. Passer d’un agrément de 3 à 4 enfants, est-ce bien raisonnable, si l’on envisage le bien être de l’enfant et la qualité de son accueil ? Les profesionnel-les de la Petite Enfance réuni-es dans le collectif « Pas de bébés à la consigne » en doutent fort.

Les Maisons d’Assistantes Maternelles, prévues par la loi adoptée le 9 juin dernier, actent l’assouplissement des normes et la déréglementation concernant les structures collectives. De fait, ces MAM ressemblent à des crèches au rabais : structures collectives pouvant accueillir 16 enfants pour 4 assistantes maternelles, elles ne bénéficient ni de l’aménagement, ni des moyens, ni du haut niveau de qualification de l’encadrement en vigueur dans les crèches déclarées comme telles.

Alors certes, le taux de natalité augmente, mais la question de la qualité de l’accueil de la Petite Enfance demeure.

Crèches : un moteur pour la réussite scolaire

D’après la dernière étude de l’INSEE concernant les niveaux de vie en 2008, un ménage sur 8 se situe en dessous du seuil de pauvreté, et 30% des familles monoparentales sont touchées. Comment penser qu’il n’y a pas d’incidence sur les enfants, et plus particulièrement sur les tout-petits ?

S’ajoutant aux difficultés économiques, les difficultés sociales commencent : les enfants issus de ces familles n’ont pas accès aux lieux d’accueil de la petite enfance. Les crèches sont en général réservées, de part leur règlement, à l’accueil des enfants dont les parents travaillent à plein-temps.
C’est ainsi que des tout-petits se retrouvent à partager l’isolement, voire l’exclusion économique et sociale de leurs parents jusqu’à leur entrée en maternelle, à 3 ans.

Des signaux aux signes, des signes aux mots, des mots aux phrases

Offrir des conditions favorables au développement linguistique des tout-petits est l’une des clés de la réussite scolaire. Et si tout ne se joue pas avant 3 ans, c’est dans cette période que les habitudes de communication sont prises et que se construit la signification de l’acte de parole et de compréhension.

Le tout-petit s’appuie sur son entourage pour faire son apprentissage de la langue. Et la crèche peut être cet espace qui offre des conditions favorables au développement linguistique de l’enfant, compensant ainsi les difficultés des familles.

Il est alors essentiel que le taux d’encadrement des enfants en crèche permette aux adultes de porter une attention à ce que dit l’enfant. Des mots nouveaux lui seront offerts régulièrement. Par ailleurs, confrontés à des enfants qui ont d’autres références culturelles et sociales, le tout-petit sera poussé à élargir ses compétences linguistiques pour communiquer avec.

Ainsi, la crèche permet de réduire les inégalités linguistiques et sociales qui mettent en danger le futur parcours scolaire. Un enfant dont le langage et la parole se sont mal développés, aura des difficultés d’apprentissage de la langue écrite et aura toutes les chances d’être confronté à l’échec scolaire.

La maternelle peut parfois servir de rattrapage aux déficits linguistiques. Mais tant il est vrai que c’est en parlant qu’on apprend à parler, force est de constater que dans une classe de 25 enfants, il est difficile pour l’enseignant-e d’offrir une présence attentive et bienveillante à la parole de chaque enfant.

Crêche ou scolarisation précoce ?

Le décret « Morano » paru le 7 juin dernier est en conformité avec ces deux rapports.

Il est à craindre que le gouvernement s’oriente également vers une scolarisation précoce des enfants, moins coûteuse que l’accueil en crèche. En effet, l’Etat se plaçant dans une logique comptable et respectant des lignes budgétaires cloisonnées par secteur, santé d’un côté, éducation de l’autre, il a tout intérêt à développer la scolarisation précoce dès 2 ans.

Mais à quel prix pour l’égalité femmes-hommes, à quel prix pour les quelques 2 400 000 enfants de moins de 3 ans ?

L’égalité entre les femmes et les hommes est un fondamental de l’écologie politique. Ses bénéfices en matière d’indice de développement de notre société et de lutte contre la pauvreté des femmes sont reconnus par les plus hautes instances internationales. Or les interruptions dans les carrières professionnelles des femmes sont le plus souvent liées au manque de places d’accueil pour les tout- petits et ont des incidences sur leurs retraites.

Mais, en ce qui concerne les crèches, il faut lier quantitatif et qualitatif, donc, ne jamais oublier de placer le tout-petit au centre de notre réflexion.
Il est vrai que la scolarisation des 2-3 ans soulage les mères en situation de précarité et diminue les coûts des collectivités, le coût d’une place à l’école étant moins élevé qu’une place en crèche.

Quelles seront les conséquences d’une scolarisation précoce pour les tout-petits ?

L’histoire de la Petite Enfance révèle une évolution indéniable dans les crèches : hygiénistes au début du 20ème siècle, car principalement orientées vers la lutte contre les maladies, les établissements et leurs professionnel-les vont être influencé-es par différentes réflexions popularisées par les media. Citons :

* Dolto qui affirmera que le bébé est une personne,
* Bernard Martino dont les films documentaires ont marqué des générations de parents et de professionnel-les
* Emmy Pikler, pédiatre hongroise, dont je me suis faite un point d’honneur à inaugurer le square aménagé pour les tout-petits dans mon 20ème ardt de Paris.

Or, la grande différence entre la Maternelle et la crèche réside dans cette évolution :

Dans le secteur de la Petite Enfance (0-3ans), les professionnel-les parlent d’accompagnement par des adultes qualifiés et bienveillants pour les aider à trouver leur voie dans un environnement sécurisant et adapté. L’accent est mis sur les acquisitions désirées par l’enfant tout en respectant son rythme individuel.

Logique de santé ou logique éducative ?

A la Maternelle, conformément aux directives de l’Education Nationale, depuis quelques années, on parle de normes, d’évaluations et de compétences à valider. De là à détecter les futurs délinquants dès 3 ans, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir, mettant la pression sur les familles et créant l’insécurité psycho-affective chez les tout-petits et leurs parents !

Les différences entre les secteurs Petite Enfance et Maternelle s’appuient essentiellement sur des regards et des objectifs différents et parfois contradictoires en France : la Petite Enfance dépend de la Santé, la Maternelle dépend de l’Education.

D’autres arguments ont été développés contre la scolarisation à 2 ans et notamment pour les familles les plus en difficulté :

* taux d’encadrement par groupe d’enfants trop bas (1 pour 30 en maternelle).
* organisation spatiale de l’école inadéquate.
* attention insuffisante portée aux repas et au sommeil
* mauvaises conditions d’acquisition linguistique (groupes trop importants)

Finalement, au vu des lourdes conséquences que la scolarisation massive des 2 ans pourrait avoir sur le développement des enfants, l’argument comptable du moindre coût d’une place en maternelle comparé à celui d’une place en crèche tombe.