Des origines physiques et écologiques de la crise
LA CRISE EST ECOLOGIQUE DES SON DECLENCHEMENT
Mais, avant de voir comment l’écologie peut être une source de sortie de la crise, il est utile de confirmer de manière indépendante que celle-ci est bien de nature énergétique et écologique. Cela se vérifie dès son déclenchement.
Les subprimes reposaient sur le postulat, bien vérifié pendant quelques temps, que la valeur des maisons ne pouvait que s’accroître, et que cela rendait solvables de nouveaux acheteurs à qui leurs employeurs pouvaient ainsi se dispenser de payer des salaires décents. Cependant, quand la très forte hausse des prix du pétrole en 2007 (manifestation du fait qu’il commençait à ne pas y en avoir pour tout le monde) frappa de plein fouet les États-Unis (mal préparés car n’ayant pas vécu plusieurs décennies avec une très forte TIPP), Général Motors lui-même frôla la faillite. Ceci signifiait la fin du modèle urbain dans lequel les franges les plus éloignées des villes n’étaient éloignées des centres et des emplois que d’un ou deux dollars. Une telle aberration étant définitivement rejetée dans les poubelles de l’Histoire, la valeur des maisons les plus périphériques ne pouvait plus prétendre continuer sa croissance exponentielle, et le château de cartes des subprimes s’effondra.
Entretemps, les prix des céréales avaient suivi ceux du pétrole, car la raréfaction de ce dernier avait rendu crédible la perspective d’une Amérique largement propulsée à l’éthanol de maïs, avant qu’on s’aperçoive que cela réduirait d’autant et très significativement la part disponible pour l’alimentation humaine ou animale. Émeutes de la faim, retour à la seule régulation possible à court terme : que les occidentaux roulent moins.
Régulation est d’ailleurs un bien grand mot, tant se vérifie la prédiction déjà énoncée, en 2005, dans le livre de Jean-Luc Wingert, « La vie après le pétrole », et selon laquelle, à la suite du Peak Oil, nous vivrions des crises prenant la forme de successions rapides de coups de freins dus à la compétition pour des ressources en pétrole limitées, suivies de reprises dues à des prix modérés du fait de la réduction de la demande à la suite de ces coups de frein, etc., et qu’il « faudrait avoir le c?ur bien accroché ».
Ce qui n’y était pas décrit en détail, c’est que cette succession de coups de frein et d’accélérateur allait générer des situations (2009 en France) dans lesquelles les banques ne prêtaient plus même aux entreprises qui étaient jusque là leurs meilleurs clients, ceux-ci différaient (au mieux) leurs projets d’investissements, et en fin de compte ces employés de banque, ces responsables de projets et leurs fournisseurs étaient à leur travail mais ne produisaient pas grand-chose. Par la force des choses, nous continuions à consommer (chinois, indien ou Opep) mais en allongeant notre ardoise, et la crise de l’euro se rapprochait.
C’est, en termes keynésiens, sans doute un miracle, mais nous consommons toujours à peu près autant, peut-être pour oublier notre anxiété, et il y a de quoi : des déficits budgétaires qui ne peuvent être réduits de manière non suicidaire (cercles vicieux des politiques de rigueur) que grâce à une reprise de la croissance, laquelle, à supposer qu’une nette baisse des prix du pétrole la déclenche, serait immédiatement brisée dans l’?uf par une remontée automatique des mêmes prix, du fait du peak oil et du partage toujours plus serré avec les puissances montantes.
(Sur ce dernier point, l’idée de mener à nouveau une guerre pour le pétrole – dans l’hypothèse, heureusement improbable, où nous l’estimerions juste – n’est sans doute pas très enthousiasmante, si l’on se remémore l’expérience irakienne).
Les causes physiques de notre dépression – aux deux sens du terme – pouvant ainsi être assez précisément localisées dans notre dépendance à un pétrole en voie de raréfaction, ce dont les écologistes nous avaient avertis depuis un temps certain (ils avaient d’autres motivations, par exemple liées à l’urgence climatique, et ceci ne fait que renforcer la prégnance de cette question), est-il exact qu’en soignant ces causes, on résoudra le problème ?
Les arguments de campagne que l’on entend en ce sens sont bels et bons : relancer les économies d’énergie, notamment dans le bâtiment, est une telle évidence qu’il n’y aura sans doute que Marine Le Pen pour ne pas le mettre dans son programme. Il risque d’y avoir moins de consensus autour de l’idée de construire un peu partout des éoliennes et des panneaux solaires et d’en attendre des emplois non délocalisables par centaines de milliers. Si on les paye (comme aujourd’hui) assez généreusement, c’est une relance keynésienne comme une autre, mais il serait utile d’y rallier les candidats les plus prudents en arrivant à prouver que développer les énergies renouvelables n’est pas le gouffre financier que certains décrivent.
LE DIFFICILE CHEMIN DE « L’AUTRE MODELE »
Un premier élément en ce sens est que le modèle de croissance principalement fondé sur les hydrocarbures ne peut être poursuivi qu’à la condition de développer les seuls champs pétrolifères et gaziers encore en suspens, ceux que l’on appelle « non conventionnels » et qui sont très coûteux (forages très profonds ou en haute mer, procédés d’extraction eux-mêmes très énergivores et polluants, etc.). Sauf si la crise s’aggrave encore, le niveau de prix du pétrole restera donc durablement élevé, puisque sans ressources alternatives, la pénurie d’énergie ne peut que s’étendre.
Or, parmi ces ressources alternatives, il y a les énergies renouvelables qui sont infiniment plus souhaitables que ces hydrocarbures non conventionnels et qui, dans leur recherche de compétitivité, seront comme eux très nettement encouragées par un pétrole cher.
Mais le modèle écolo totalement décentralisé, hostile aux lignes à haute tension qui symboli-sent le centralisme nucléocrate, implique d’importants besoins de stockage (lui aussi décentra-lisé) de l’énergie produite de manière intermittente. Et, malheureusement, le stockage coûte assez cher, et le stockage décentralisé encore bien plus (sauf synergie très sioux avec une flotte importante de voitures électriques dont les batteries seraient mises en réseau pour assu-rer ce stockage). Ce n’est donc probablement pas le bon chemin vers la parité de coût au kWh.
Pire que cela, quand nous aurons à peine multiplié notre production photovoltaïque par 10 et notre production éolienne par 3 ou 4, le coût de ce modèle va devenir difficile à défendre alors que, pour atteindre la parité grâce aux économies d’échelle et pour que tout cela ait un effet sensible de stabilisation du climat et de substitution aux énergies fossiles, il resterait, pour chacune de ces énergies, deux multiplications identiques à réaliser, bien plus coûteuses.
Intégrer ces ordres de grandeur fait partie de la solution. Savoir qu’il faudra sans doute renoncer à la vision traditionnellement décentralisée des énergies renouvelables, aussi. Et nous devrons apprendre à appeler de nos v?ux de grands réseaux à très haute tension permettant de mutualiser les conditions de vent et de soleil à des milliers de kilomètres de distance, ainsi que des usines hautement automatisées seules capables de produire à des coûts acceptables, c’est-à-dire en très grande série, les éoliennes ou les panneaux solaires de demain.
Certes, dépeindre ces milliers d’usines équipées de robots eux-mêmes produits en grande série, ça ne colle pas trop avec l’image d’Épinal des énergies renouvelables créatrices de milliers et de milliers d’emplois ? encore qu’il y aura de l’installation et de la maintenance à assurer derrière. Et pourtant cette perspective serait sans doute bonne pour l’économie.
Car celle-ci n’est pas, par essence, condamnée à la désespérance des plans de rigueur ou à la perte irrémédiable du triple A, sur fond d’impuissance de toute politique à produire de la croissance. Comme l’enseigne la théorie, dans un monde où l’on sait raisonnablement bien par quelles transformations techniques il se modernisera, quelles qualifications seront utiles demain, quels débouchés les entreprises trouveront, et avec un prêteur en dernier ressort (la banque centrale) qui accorde les crédits nécessaires, une croissance régulière est possible ([Et il n’y a pas de raison que la démocratie ne puisse l’aider à déterminer un optimum social entre compétition ou réduction des inégalités, entre gestion par le stress ou par la sérénité, bref, entre droite et gauche.)].
Voilà pourquoi on a rappelé plus haut les effets de la crise sur l’économie réelle, ces moments où de la valeur est détruite, simplement parce que les banquiers ne prêtent plus et que les projets ne sortent plus des cartons, car personne ne sait de quoi demain sera fait.
Ces situations anxiogènes pour les individus et pour la société en tant qu’organisme supra-individuel, nous avons vu qu’elles sont liées à la logique dépressive propre à la crise économique, mais aussi à la menace que la contrainte énergétique fait peser sur tout mouvement de sortie de crise. C’est là qu’avoir des perspectives sérieuses de désintoxication des énergies fossiles, de levée de la menace climatique, et de renoncement au mythe des énergies renouvelables artisanales (qui ne pourraient se développer au-delà d’une clientèle de quelques bobos), peut changer radicalement nos perspectives pour le futur.
L’apport de l’écologie à la sortie de crise est donc sans doute dans la remise de l’économie sur un chemin de croissance normale, et par la levée des hypothèques qui aujourd’hui l’entravent. Et l’important est que cela peut être défendu par tous les partis.
Ensuite, que sur cet arrière-plan consensuel en faveur d’un modèle globalement tout-renouvelable à l’horizon 2050, il y en ait certains qui prônent un développement à marche forcée immédiate en considérant que les technologies sont prêtes et que l’urgence commande de ne pas attendre la poursuite de leur baisse des coûts, tandis que d’autres insisteront sur l’intérêt qu’il peut y avoir à continuer à investir dans la recherche-développement avant de passer à une production en très très grande série et à coût réduit, c’est le débat démocratique normal.
L’ANTI MODELE CALIFORNIEN
Une raison objective de ne pas se précipiter immédiatement dans le tout-photovoltaïque en France est que son chemin de croissance naturel (et donc à l’abri des critiques sur ses importants surcoûts) pourrait d’abord passer par la Californie du Sud, où il est déjà rentable car le pic de demande correspond à l’après-midi, en été, quand les climatiseurs tournent à fond concomitamment à l’ardeur des rayons du soleil (et où, à plus long terme, on peut envisager des exportations vers la côte Est des États-Unis en profitant du décalage horaire pour fournir la pointe de demande du soir).
Ceci ne veut pas dire que les États-Unis soient un modèle de développement soutenable. La France, et plus généralement l’Europe restent de « meilleurs élèves » de Kyoto, grâce par exemple à notre urbanisme traditionnellement pas trop étalé et à nos bonnes habitudes de ne pas trop prendre l’avion. Mais cette autosatisfaction est contre-productrice quand chaque citoyen ou entreprise qui place des panneaux solaires sur son toit se félicite de faire le maximum pour la planète, alors qu’il ne fait que répondre rationnellement à un dispositif incitatif très généreux (Ces dispositifs ne sont pas sans fondements : toute industrie naissante a besoin d’être accompagnée à son démarrage (y compris si elle est mondialisée, et les matériels de production d’énergie renouvelable ont besoin d’économies d’échelle à taille mondiale), et plus encore quand une partie de ses avantages, ici la protection de l’environnement, peut difficilement être prise en compte automatiquement par des mécanismes de marché (la taxe carbone est en panne, n’oublions pas de la mettre au débit des promesses non tenues par notre président sortant). Il est cependant inquiétant qu’il y ait si peu de personnes qui, à la fois, défendent l’intérêt à long terme d’un déploiement massif des énergies renouvelables, et se demandent si les dispositifs incitatifs sont calibrés au plus juste, de manière à tenir la route quand on passera aux choses sérieuses, c’est-à-dire à des volumes de l’or-dre de cent fois plus grands. Ce devrait pourtant être le pain quotidien d’une bonne proportion des responsables ou simples militants de tous les partis, qu’ils soient de droite, de gauche, ou écologistes.).
Avec, à la fois, leur bilan carbone désastreux et leur modèle californien toujours d’accord pour essayer de convertir les utopies en cash, les États-Unis sont dans une fuite en avant. Si jamais, par malchance, toutes les solutions techniques respectueuses de l’environnement échouaient à devenir compétitives et que nous étions condamnés à la décroissance, ils le vivraient encore bien plus mal que nous. Mais ils ont un dynamisme dans la création de véritables innovations, qui est encourageant.
Les grosses entreprises de l’Internet investissent dans ces innovations dans un authentique esprit de capital-risque, au début elles espéraient des retours sur investissement en deux ou cinq ans, durées extrêmement courtes dans le secteur de l’énergie, donc il a fallu qu’elles apprennent à oublier cette façon de faire qui passait pour purement spéculative, mais on peut espérer que leur dynamisme finira par faire émerger une ou deux technologies vraiment intéressantes et que nous en sortirons par le haut.
Par comparaison, quand on lit, dans un récent n? de Science et Vie consacré au thorium (l’ « autre nucléaire » dont tout le monde parle depuis Fukushima), que, malgré toutes ses qualités intrinsèques, cette alternative a peu de chances de succès car l’industrie nucléaire est comme un paquebot qui met des décennies à se réorienter (Ces dispositifs ne sont pas sans fondements : toute industrie naissante a besoin d’être accompagnée à son démarrage (y compris si elle est mondialisée, et les matériels de production d’énergie renouvelable ont besoin d’économies d’échelle à taille mondiale), et plus encore quand une partie de ses avantages, ici la protection de l’environnement, peut difficilement être prise en compte automatiquement par des mécanismes de marché (la taxe carbone est en panne, n’oublions pas de la mettre au débit des promesses non tenues par notre président sortant). Il est cependant inquiétant qu’il y ait si peu de personnes qui, à la fois, défendent l’intérêt à long terme d’un déploiement massif des énergies renouvelables, et se demandent si les dispositifs incitatifs sont calibrés au plus juste, de manière à tenir la route quand on passera aux choses sérieuses, c’est-à-dire à des volumes de l’ordre de cent fois plus grands. Ce devrait pourtant être le pain quotidien d’une bonne proportion des responsables ou simples militants de tous les partis, qu’ils soient de droite, de gauche, ou écologistes.) , et que d’ailleurs « dans le nucléaire cela fait bien longtemps que tout le monde s’est arrêté de penser », on est bien forcé de se demander si cet immobilisme ne serait pas spécifiquement français ?
Énergies renouvelables, bonne gestion dans une perspective de long terme, regard vers l’étranger à la recherche de raisons de retrouver notre dynamisme, et sortie de la sinistrose, sont donc loin d’être incompatibles.