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embouteillage sur les Champs Élysées

Trois bonnes raisons de réduire la place de la voiture à Paris (et en ville)

Les polémiques parisiennes sur des pistes cyclables récentes ont mis cet été 2017 le sujet de la mobilité urbaine à la une. Elles centrent le débat sur la lutte entre vélos et voitures pour l’occupation de l’espace dédié à la circulation. Mise en cause : la politique de rééquilibrage au détriment du moyen de transport qui occupe la moitié de la rue pour seulement 13 % des déplacements, l’automobile…

Depuis près de 15 ans, Paris ouvre de l’espace aux vélos, aux piétons et aux transports en commun de surface, donc Paris en retire aux voitures. Sur les boulevards des maréchaux, sur les quais de Seine, sur l’avenue de la Grande Armée, le long de la rue de Rivoli également. Mais aussi et surtout dans des rues moins emblématiques, sous le radar médiatique, mais très importantes pour les riverains (comme en témoignent le succès des projets de piétonnisation du budget participatif, exemple : la rue Mouffetard).

13 %

des déplacements en automobile pour 50% de l’espace public occupé

Ce débat ne doit pas nous faire oublier que la dynamique de réduction de l’automobile en ville concerne les grandes métropoles régionales et mondiales (New York, Séoul, Los Angeles, Londres pour ne citer que quelques métropoles connues), et ce pour deux raisons qui se complètent.

Diminuer la pollution

C’est l’inconvénient le plus évident de l’automobile : elle pollue. Les villes du monde entier cherchent donc à diminuer leur présence pour deux raisons : pour préserver la santé des habitants (particules fines) et respecter les engagements de lutte contre le réchauffement climatique.

Les moteurs thermiques, malgré leurs améliorations depuis plus d’un siècle d’existence, émettent du CO2, contributeur du réchauffement climatique, ainsi que du NOx (surtout les moteurs Diesel) et des particules fines, les PM10 et PM2,5. Ces dernières déclenchent des seuils d’alerte à la pollution atmosphérique et conduisent les autorités à mettre en place une circulation différenciée (en fonction des vignettes Crit’Air par exemple) et à l’exclusion progressive des moteurs Diesel et des plus anciens moteurs à essence.

Les enjeux de santé publique sont énormes. Une étude de l’Agence européenne de l’environnement, publiée le 11 octobre 2017, estime le nombre de morts prématurées à plus d’un demi-million pour la continent européen (487 600 pour les pays de l’Union européenne). Le charbon (chauffage individuel, centrales électriques) fait partie des coupables. Les villes françaises ne sont pas concernées par les émissions de centrales à charbon, la pollution aux particules fines vient donc principalement des moteurs et serait la cause de 45 840 décès par an.

À ces décès, il convient d’ajouter la mortalité routière. 3655 personnes sont mortes dans un accident en 2016, dont 559 piétons et 108 enfants de moins de 14 ans. Le poids et la vitesse des véhicules individuels sont évidemment en cause. Cette « fatalité » n’est d’ailleurs hélas que peu remise en cause dans les écrits sur les véhicules autonomes.

Dans le cadre de cette nuisance, le remplacement des moteurs thermiques par des moteurs électriques ou des hybrides essence est la bonne voie. Pour peu que la source énergétique ne soit pas trop carbonée : la pollution ne serait alors que déplacée, pas éliminée.

A l’enjeu de santé publique s’ajoute celui du climat. Paris et les villes du C40 se sont par exemple engagées à respecter en leur nom l’Accord de Paris signé à la COP21. Sachant que les villes représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre, les transports en leur sein est un levier important.

Cet engagement explique la course technologique actuelle des « villes monde » (pour reprendre une expression fétiche de la maire de Paris) aux véhicules autonomes électriques, aux zones zéro émission, à l’autopartage type Autolib’, etc. La ville Lumière s’enorgueillit d’être leader mondiale dans ce domaine, la présidence du C40 exercée par Anne Hidalgo n’est sans doute pas étrangère à cet activisme.

« Le véhicule continue d’occuper de 10 à 12 mètres carré de surface pour un seul occupant dans la grande majorité des cas… »

C’est aussi la raison de l’exclusion progressive des diesel jusqu’en 2020 et des moteurs thermiques à essence pour 2030. Une tendance par ailleurs mondiale puisque la France ou le Royaume-Uni devraient les interdire pour 2040, la Chine y réfléchit également. Sans parler des entreprises comme Google ou Tesla qui poussent à l’adoption de véhicules électriques et / ou autonomes.

Reconquérir l’espace public

Toutefois, un embouteillage de voitures électriques, autonomes ou pas, cela reste un embouteillage et congestionne la ville. Tout électrique ou autonome qu’il soit, le véhicule continue d’occuper de 10 à 12 mètres carré de surface pour un seul occupant dans la grande majorité des cas.

C’est pourquoi le deuxième aspect de l’incompatibilité de la ville et des voitures est l’occupation de l’espace, en mouvement ou à l’arrêt.

C’est là l’aspect le plus conflictuel de cette politique de rééquilibrage, car avec cette problématique de l’espace, la solution ne réside pas dans l’attente d’une solution technique ou technologique mais dans le réaménagement progressif et constant des villes en défaveur des véhicules motorisés.

Tant qu’il s’agit de remplacer une voiture thermique par une voiture électrique, les habitués des déplacements motorisés ne râlent qu’à la marge. La solution de remplacement ne changera en rien leurs habitudes. Tandis que retirer une voie de circulation et inciter à lâcher l’automobile au profit du métro ou du tramway, voire du vélo, voilà qui pose grandement problème !

Cette reconquête de l’espace public est toutefois nécessaire si l’on veut que les villes restent vivables et (re)deviennent apaisées. D’autant qu’il y a un demi-siècle, la place croissante de l’automobile dans l’espace public n’a souffert, elle, d’aucun débat. Il s’agit donc de revenir sur une partie de notre Histoire : la liberté acquise de l’automobilité individuelle quelle qu’en soit le coût écologique et l’inéquité spatiale.

Cette reconquête ne se fera pas uniquement grâce à des véhicules autonomes. Ils peuvent même être un piège si les autorités les laissent rouler trop vite, c’est-à-dire au-dessus de 30 km/h en ville. Cette vitesse excessive pourrait conduire à reproduire les pires excès du tout-voiture des années 60, à savoir des flux séparés et les piétons à nouveau contraints à rester en marge au profit des motorisés et de leur consommation excessive d’espace.

Sur l’offre de transports en commun, le Petit Paris est déjà bien doté, aussi bien en bus qu’en métro. Le reste du Grand Paris y travaille : lignes de tramway, projets de Tzen, lignes du Grand Paris (prolongements de la 14 et de la 11, ligne 15…) réduiront encore le besoin de véhicule individuel dans l’agglomération. Les maires de ces territoires doivent y penser dès maintenant plutôt que de bloquer les projets de transports en commun (à l’image de Noisy-le-Sec et le T1, du Tzen de Melun, ou du T7 qui passe par Juvisy, etc.).

À terme, la solution d’une ville post-voiture réside à la fois dans la fin des moteurs thermiques, bruyants et polluants, et dans la fin de l’autosolisme (la pratique individuelle de l’automobile). La marche et les modes actifs (vélos, trotinettes) et les transports en commun deviendront la norme et avec elle, une ville moins sédentaire.

L’autopartage ne sera utilisé qu’en cas d’absence d’alternative, dans des véhicules bridés pour rouler entre 15 er 25 km/h. Entre les deux, on trouvera une multitude de petits véhicules électriques individuels, comme les monoroues, les trotinettes électriques, VAE, etc.

Dans le cas de l’autopartage, le véhicule serait aussi bien partagé d’un trajet à l’autre, à l’image d’un Vélib’ d’aujourd’hui, que pendant le trajet lui-même, comme le proposent déjà des services comme Heetch ou Uber X.

Au-delà de Paris : revivifier les centres-villes

Cette sortie de l’automobile doit aller au-delà du cas de Paris et de son agglomération, cas très particulier en raison de sa population et de sa densité. Mais la mort lente des centres-villes français au profit des zones commerciales en périphérie offre un bon exemple que le tout voiture ne tue pas seulement les commerces de proximité, mais tout le quartier qui les entoure. La revitalisation de ces centres villes passe par la fin, là aussi, de l’automobile prioritaire.

Enjeu sanitaire aussi bien que social, la place de la voiture en ville pose de la pire manière la question de « ceux qui ne peuvent s’en passer ». Pour les familles et territoires éloignés des connexions de transports en commun, l’hyper-densification du transport routier les a précisément les plus écartés de la mobilité.

On sait qu’elle est une clé essentielle de l’accès à l’emploi. En vidant le cœur économique des villes moyennes et périphériques et sans investissement suffisant dans les autres modes de transports collectifs, ce mouvement du tout automobile a fini de persuader un grand nombre qu’il n’existait pas d’alternative à y consacrer 10 à 20 % de sa feuille de paie mensuelle.

Ressources et références :