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Romain, quarante ans, citoyen Sans Domicile Fixe au mois d’août

C’est l’histoire de Romain, un pote de jeunesse retrouvé une nuit dans une rue de Paris. Lesté par deux sacs avec toute sa vie dedans. Après des années de petits boulots à la campagne à une heure de train de la capitale, comprimées dans son portefeuille : toutes les traces de la prise en charge des personnes sans domicile fixe à la française. Un relevé de compte sur lequel est mentionné le versement de son premier mois de RSA, des adresses d’associations de centres d’hébergement et d’accueil de jour – nombreux – à recevoir la semaine et avant 18 heures, toutes sortes de publics en détresse. Les mailles de ce filet de l’urgence s’élargissent en Eté, et toute l’année les week-ends, mais elles restent malgré tout plus serrées en métropole.

Après quelques nuits de dépannage, des soirées arrosées à nous souvenir de notre lointain passé scolaire, je me demande si mes propres capacités de jugement ne finissent pas par être altérées. De cette consommation d’alcool à laquelle mon protégé a recours depuis de nombreux mois pour éclairer un tunnel sans fin, le plaisir a laissé la place à la nécessité. Armé de mes certitudes républicaines et d’une lassitude croissante, je me décide à composer le 115, le numéro du Samu social. Les personnes SDF ne font pas appel au 115. Tout simplement parce qu’il est déjà difficile d’accès pour une personne qui est normalement intégrée. Les délais d’attente sont interminables quand la ligne n’est pas occupée et la prise en charge des malheureux qui y ont recours démarre par un interrogatoire « confidentiel » d’au moins une demi heure. Malheur aux politiques publiques qui intègrent aussi peu les caractéristiques de leurs publics-cibles. Néanmoins, pour avoir testé un échantillon significatif des personnels du 115, ils sont constitués de professionnels aguerris et font de leur mieux pour utiliser au mieux les quelques outils à leur disposition.

Les solutions proposées sont néanmoins peu compétitives en regard de la « loi de la démerde » et les solidarités individuelles, celles des passants et des commerçants, auxquelles ont recours les sans abris. En urgences, sont proposés des lieux pour dormir sans l’intimité nécessaire à l’estime individuelle, préalable à la reconstruction de soi et même parfois dangereux malgré la surveillance de veilleurs non formés pour ce type de publics. En piste bis proposée par le 115, l’accompagnement par un travailleur social via le dénommé « système intégré d’accueil et d’orientation » (SIAO). Il s’agit d’une base de données mutualisant toutes les places d’hébergement. L’impétrant de la rue devra répondre aux quinze pages supplémentaires d’un questionnaire, faire le point sur sa CMU avec la CPAM ou sa déclaration trimestrielle du RSA avec la CAF. S’il fait partie des plus courageux ayant quitté son département moins loti en emploi pour rejoindre un bassin plus dynamique, alors, ce maquis administratif ne sera qu’un barrage supplémentaire. Car il devra également renoncer dans ce cas à ces droits, et notamment au Revenu de Solidarité Active, le temps que son dossier soit transféré dans son nouveau département.

J’hésite alors à donner le « bon plan » à Romain.

Faut-il qu’il fasse transférer son dossier dans son nouveau bassin d’emploi en renonçant pendant un trimestre à près de 500 euros par mois, l’équivalent de deux bonnes semaines d’hébergement dans une auberge de jeunesse ouverte à tous publics ? Ou devra-t-il céder aux sirènes prometteuses de la légalité en tirant un trait sur sa seule source de revenu en pleine recherche d’un travail, en patientant un bon trimestre, le temps qu’un accompagnant social lui trouve un hébergement dit de « stabilisation » ?

Sur ce dilemme, Romain me confesse à la douceur d’une pleine lune estivale qu’il a besoin d’y réfléchir. Que la Fontaine des innocents des Halles ou les douches publiques à proximité ne lui ont jamais manqué pour faire sa toilette ces dernières semaines. Et qu’à défaut de solution claire, nous décidons de partager une nouvelle « Kro », le temps d’y voir plus clair, le lendemain.

Propositions

1. Transfert des droits liés au RSA en cas de changement de département sans rupture du suivi social

2. Agir en amont sur les sources d’exclusion, en accompagnant les expulsions ou en garantissant les impayés, en mettant en place un versement automatique pour tout loyer, en facilitant l’accès aux aides immédiates : prêt à taux 0 pour gérer les crises personnelles, etc.

3. Maintien des dispositifs les week-end, et l’été.

Photo : Nathalie Tiennot Image 2014

Issues pour destins brisés

Des « centres d’hébergement et de stabilisation »

Années 1990, reportages TV, des quadragénaires en détresse déposés en pleine nuit d’hiver par le SAMU social dans de grands hangars vides désaffectés. Ce temps est révolu : depuis le début des années 2010, les centres d’hébergement d’urgence pour une nuit laissent progressivement la place à des « centres d’hébergement et de stabilisation » qui permettent aux personnes sans domicile fixe de se reconstruire un avenir en commençant par le lendemain.

Adrien Delassus officie dans l’un d’entre eux. En trois questions et une visite micro en main, il nous présente son lieu de travail situé à Paris dans le 10e arrondissement.

140 000

personnes sans domicile fixe, +50% depuis 2011

Vous nous faites visiter le centre ?

Visite et échange avec les habitants et animateurs du centre.

Adrien Delassus

« Quand on sort d’une existence pénible, où on doit appeler tous les jours le 115, chercher tous les jours à manger et à boire (…) pour couvrir ses besoins primaires, il faut un moment où on se pose »

Adrien DelassusAnimateur socio-éducatif

Le commentaire de Novo Ideo

« En finir avec le provisoire »

Pour ce qui est de la prise en charge des personnes sans logement, nous avons consacré le règne du provisoire et de l’absurde, moteur de toutes les marginalisations. Le dernier rapport de l’Observatoire du SAMU social a associé la mobilité résidentielle à l’ensemble des problèmes constatés. Elle est aggravée en partie par la précarité administrative des migrants. Il nous faut rompre avec l’hyper court terme imposé aux familles dont l’accueil au quotidien dans l’hôtellerie doit être remplacée par des formes professionnelles sur du moyen séjour, dans de l’habitat diffus, des copropriétés, y compris dans du modulaire car il faut agir vite et faire preuve de flexibilité face à la modification de la composition des ménages. La loi ALUR doit être un levier à mobiliser pour une action dans chaque territoire. En facilitant la polyvalence dans les établissements d’accueil, elle peut également aider à casser les représentations.

De fait, la séparation traditionnelle entre le suivi de l’hébergement et l’accompagnement social, sanitaire ou éducatif doit être questionnée. Le rapport souligne que le découpage de ces séquences peut accroitre l’insécurité alimentaire, véritable marqueur de l’efficacité des politiques publiques. Huit familles sur dix et deux enfants sur trois en souffrent. (Enquête ENFAMS) Le sort des enfants et des mères est intimement lié qu’on prenne les indicateurs de suicide, de surpoids, de déscolarisation. Cela plaide en faveur d’une approche familiale. Cette addition des maux bute sur la question de la santé mentale dont la prise en compte est trop cloisonnée par rapport aux autres interventions. De même, la contraception et les grossesses qui nécessiteraient un suivi global sont des temps de fragilités supplémentaires : les PMI de rattachement sont rarement celles du premier hébergement, déterminant à ce niveau.

Nous touchons avec ces politiques tout à la fois à une névrose française du déclassement extrême et au statut des migrants étrangers qui fournissent les gros bataillons des familles sans logements. Nous soutenons l’idée portée par le SAMU social de « Conférence du consensus » sur l’ensemble de ces thématiques.

Propositions

1. Revoir le dogme « accueil à coût faible contre caractère provisoire » en lien avec les politiques migratoires

2. Rendre plus lisible le parcours résidentiel en introduisant un droit à « 100 jours d’hébergement accompagné »

3. Création d’un système régional de coordination de l’hébergement et du suivi des personnes associant services sociaux, ARS, rectorat, etc.

4. Création d’un guichet unique dans chaque mairie ou intercommunalité d’au moins 50 000 habitants

5. Développement de l’interprétariat pour faciliter les médiations

6. Développement d’équipes mobiles psychiatriques en s’appuyant sur le réseau associatif

7. Vers un réseau de solutions : entre les places en foyer, propositions spontanées, et structure sociale et d’intégration par l’activité

8. Intégration des membres du CCRPA ( conseil consultatif des personnes accueillie) au sein des conseils économiques sociaux et environnementaux

Entretien, reportage : Benjamin Bibas / Radiofonies Europe.
Photo : Nathalie Tiennot images.

Kit pour les territoires » à télécharger : accompagnement pour la mise en oeuvre d’un diagnostic 360 degrés du sans-abrisme au mal logement. Ministère du logement et de l’égalité des territoires, octobre 2014.