Trois tabous écolos : le nucléaire (2)

Trois tabous écolos non résolus : après le glyphosate comme facteur de déstabilisation du train, deuxième épisode avec le nucléaire. La sortie du nucléaire va-t-elle à l’encontre de l’objectif de la diminution des GES ?

Tout mix-électrique d’un pays doit faire face au double défi du rendement et de la minimisation de la quantité de CO2 produite. À partir des données des principaux pays et de leur quantité en CO2, quels sont les plus performants à l’année ?

Si on excepte la Norvège qui bénéficie d’une électricité hydraulique abondante et d’une consommation électrique environ trois fois celle des français, peu de pays peuvent se prévaloir d’un label « climato-compatible ». Même ceux dont la réputation vertueuse apparait au final galvaudée.

Au Portugal, modèle en matière de développement des énergies renouvelables, les centrales en charbon et au gaz dégradent le bilan global.

En Allemagne, le pays s’est engagé vers une sortie du nucléaire en 2022, il représente encore 13% de son « mix » alors que vent et soleil fournissent près de 30% du total. Les fortes variations de production de ce pays liées au caractère aléatoire de ces renouvelables expliquent des performances climatiques plombées. Celles-ci fournissent certaines périodes de l’année que 15% de la production, nécessitant une « armée de réserve électrique » de gaz et de charbon, environ deux tiers plus importante que la France, particulièrement coûteuse et peu « écolo ».

Au final, la France produit environ 70 à 75% du courant en ayant recours au nucléaire avec un appoint hydraulique puis des autres énergies renouvelables qui, lorsqu’elles manquent pendant plusieurs semaines, ne sont pas remplacées par des énergies fossiles comme en Allemagne.

La productivité du nucléaire est un avantage réel. Il pose cependant d’autres problèmes, de souveraineté, liés à la dépendance du combustible, de risque d’exploitation et de déchets.

Dans l’attente de développements industriels majeurs de l’hydrogène, il s’est rendu indispensable, dans la course contre les gaz à effet de serre, une course contre le temps qui se compte en deux ou trois décennies désormais.

CONTREPOINT










ENTRETIEN AVEC JEAN-MARC FABIUS
47 ans
Président Fondateur Green Lighthouse depuis 2013
Directeur Général et Fondateur de Green Lighthouse Développement
Elu à la Commission Solaire du Syndicat des Energies Renouvelables

Selon vous, un mix énergétique comprenant une part majoritaire de « renouvelables » est-il possible à terme sans faire appel à des énergies carbonées ?

Bien entendu, pour cela il doit être planifié en termes de volume pour chacune des énergies, et en concertation avec RTE et ENEDIS, les gestionnaires de réseau. Nous allons changer de paradigme de mode de production, le réseau aussi doit s’adapter.

On peut imaginer sans difficulté la part croissante des énergies marines, la prépondérance du solaire et de l’éolien onshore et offshore. Les autres énergies (biomasse, thermique…) ne sont pas pour autant à négliger.

Pour assurer la sécurité du mix énergétique, il faut une base stable avec l’hydraulique et le nucléaire dans un premier temps, permettant de garantir un socle de disponibilité. Les énergies renouvelables (solaire et éolien), intermittentes par définition, assureront conjointement la très grande partie des besoins. Le stockage longue durée, enjeu majeur pour diminuer la part du nucléaire, pourra répondre aux pics de demande.

Je crois énormément au stockage Hydrogène qui, déployé à très grande échelle, va considérablement baisser ses coûts, et assurer, au-delà de la stabilité du mix énergétique, un aménagement des territoires et une solution partielle aux problématiques de transport.
Nous avons la chance d’être à l’aube d’une révolution, il faut en être partie prenante et non la regarder passer.

Quelles évolutions peut-on prévoir sur les coûts de sortie et l’intégration dans le réseau de distribution ?

Là aussi c’est une question de planification.       
Aujourd’hui le solaire avec des centrales au sol produit à moins de 50 €/Mwh (hors contraintes des appels d’offres), et les exemples sont très nombreux dans le monde. C’est l’électricité la plus compétitive.

On peut toujours vouloir favoriser l’autoconsommation individuelle mais elle sera réservée à des concitoyens qui ont les moyens d’assumer financièrement un engagement politique. A grande échelle le coût pour la collectivité de subventionner ce marché serait dommageable aux finances publiques.

Il est aussi indispensable d’utiliser les sites et sols pollués pour les convertir en zone de production d’énergie, là aussi un surcoût est à prévoir par la dépollution des sols et les contraintes associées.
Quant aux grandes toitures, elles sont un relais indispensable aux grandes centrales au sol notamment sur les bâtiments industriels.

Concernant l’éolien, le développement de projet est encore trop coûteux et il est nécessaire de donner un énorme coup d’accélérateur à la filière afin de réduire les coûts de production de l’énergie.

A mon sens, pour tenir les engagements de la PPE, trois obligations et une contrainte s’imposent à nous :

  • L’obligation d’accélérer l’installation des énergies renouvelables par une simplification de l’obtention des autorisations (actuellement : 3 à 4 ans pour une centrale solaire, plus de 7 ans pour une centrale éolienne),
  • L’obligation de développer massivement le stockage de masse, pour en réduire son coût unitaire et garantir un mix énergétique fiable et décarboné,
  • Et une contrainte majeure : assurer une disponibilité et un prix de l’énergie accessible à tous

Et concernant le réseau dans sa globalité, il va devoir opérer un changement par la multiplication des sites de production, passant d’un schéma en étoile, à un réel maillage assurant une production décentralisée.

Un territoire peut-il agir et comment ?

Le territoire est à la base de tout projet. Aucune énergie ne peut s’implanter durablement sans un consensus large avec les élus et la population.

L’énergie est un fabuleux outil d’aménagement, une ressource financière stable et sur de très longues périodes pour les collectivités et leurs habitants. C’est au niveau des communautés de communes, des mairies, que les projets de territoires doivent naitre. Qui connait mieux les besoins d’aménagement que les collectivités au plus proche des citoyens ?          
Les projets d’énergies sont force d’innovation également et créateurs de valeurs non délocalisables à la condition qu’ils soient industriels donc de taille industrielle.

Les collectivités sont les acteurs du changement de leur territoire et certaines lancent déjà de très grands projets, qui seront la norme à l’avenir en conjuguant les paradoxes propres aux énergies renouvelables : vertueux et rentable, industriel et agile, à faible coût et sans dépense publique pour les nouveaux modèles, et enfin local et de dimension nationale.