Vers une nouvelle bataille du rail…

Un « gouffre financier »?

Le rail est régulièrement dénoncé comme un « gouffre financier ». L’intervention récente de l’économiste Rémy Prud’homme ([La Tribune du 27 mars 2011)] en fournit un bon exemple. Selon lui, le rail coûte 10 milliards par an au contribuable, et un ou deux milliards seulement pourraient être économisés par une meilleure gestion de la SNCF. Plus fondamentalement, se fondant sur l’exemple britannique, il met en cause la technologie ferroviaire elle-même.

Le train est un mode de transport guidé et circulant en site propre. Cette double caractéristique lui apporte une très grande sécurité, la vitesse, le confort, une capacité élevée qui lui permet d’absorber les pointes de trafic, enfin ? et ce point essentiel est trop méconnu – un rendement économique croissant avec le volume du trafic. Inversement elle implique des rigidités et des fragilités. Le rail est « unidimensionnel » (un train ne peut pas en doubler facilement un autre) et il est très sensible aux perturbations extérieures : actes de malveillance, agressions de contrôleurs, usage intempestif du signal d’alarme, suicides, manifestations, imprudences des usagers de la route aux passages à niveau,…

Souffrant de sous-investissement chronique, contrairement à la route et à l’aérien, le rail est aujourd’hui handicapé par l’état de ses infrastructures. Faute d’entretien, les performances de nombreuses lignes se sont dégradées. Depuis dix ans, le nombre des trains a augmenté plus vite que la capacité du réseau, et bien des n?uds ferroviaires sont saturés. Insuffisamment modernisée, la signalisation n’apporte pas la souplesse d’exploitation nécessaire. Les nombreux travaux en cours perturbent l’exploitation. Le maillage du réseau s’étant appauvri, un simple incident peut avoir un impact très grave sur le trafic.

De longue date, la SNCF est incitée par les pouvoirs publics à faire des économies à court terme qui finissent par peser sur les performances du train : suppressions de services déficitaires, de gares et de lignes ; disparition des réserves de personnel et de matériel roulant au mépris des règles de base de l’exploitation ferroviaire.

Une rigidité liée à une complexité de la gestion

Le rail est également handicapé par la complexité croissante de sa gestion, partagée entre de multiples institutions aux visions et intérêts souvent contradictoires : SNCF et exploitants concurrents, RFF, DCF, DGITM, ARAF, EPSF, régions,… ce qui accentue sa rigidité structurelle. Il souffre, de longue date, d’une absence de politique des transports clairement définie. Le Schéma national des infrastructures de transport constitue une première approche de coordination des investissements ferroviaires, routiers et aéroportuaires, mais on y trouve encore trop de projets inutilement concurrents. Les régions subventionnent le TER tout en aidant leurs départements à financer leurs routes ; ces derniers développent leurs services d’autocars et décident de leur tarification sans coordination avec le TER.

Enfin le rail est pénalisé par des conditions inéquitables de concurrence avec les autres modes. Le kérosène consommé par les avions est le seul carburant pétrolier à ne pas être taxé. L’automobiliste ne paie, en moyenne, qu’un tiers des coûts qu’il génère (et beaucoup moins dans les zones denses). Le camion est subventionné lui aussi par la collectivité. Le rail paie seul sa sécurité (2,5 milliards d’euros par an), alors que le coût de la sécurité routière est supporté par la collectivité([ 2,5 milliards d’euros, moins 1 milliard de recettes des amendes)]. Les accidents de la route coûtent environ 25 milliards par an à la collectivité, dont un à la charge de la Sécurité Sociale.

Outil à frais fixes élevés mais à rendement croissant, le rail peut fonctionner de manière économique, on le vérifie en Allemagne, aux USA, au Japon. S’il coûte cher aujourd’hui en France, ce n’est pas parce que sa technique est dépassée (les succès commerciaux du TGV et du TER le prouvent), mais parce qu’il est mal géré par la collectivité, qui ne sait pas valoriser ses atouts techniques, sociaux, énergétiques et écologiques.

Au lieu d’obérer ses possibilités de développement en limitant les investissements qui lui sont nécessaires, et de le priver ainsi d’une part importante de sa clientèle et de ses recettes naturelles, il faut d’une part lui redonner de la souplesse et d’autre part en faire l’ossature du système de transport à moyenne et longue distance en massifiant davantage ses trafics voyageurs et fret.