Vivement 2050 !

L’ANTHROPOCENE


Relativement vide d’hommes, vide d’objets, à une époque où le capital, les infrastructures, le matériel constituaient les facteurs limitants, tandis que le capital naturel se trouvait en abondance. Mais nous avons quitté ce monde. Nous habitons désormais un « monde plein », celui dit de « l’anthropocène », dans lequel l’être humain constitue une force géologique capable d’agir sur son environnement, sur le système écologique de soutien de la vie, à l’échelle planétaire.

Pour faire face à cette situation sans précédent et jeter les bases d’une prospérité durable, c’est-à-dire « améliorer le bienêtre humain et l’équité, tout en réduisant significativement les risques écologiques et les pénuries », nous devons entièrement repenser notre économie et reconsidérer ses relations avec le reste du monde, afin de permettre l’émergence d’un modèle mieux adapté à ces nouvelles conditions de vie sur Terre.

Pour y parvenir, nous aurons besoin d’une science économique qui respecte les limites planétaires et reconnaisse que le bien-être de l’homme dépend essentiellement de la qualité de ses relations sociales et du degré d’équité de la société dans laquelle il vit. L’objectif de croissance de la consommation matérielle devra ainsi céder la place à une volonté réelle d’améliorer le bien-être humain de façon soutenable. Cette nouvelle approche économique devra également reconnaître que l’économie s’inscrit dans une société et une culture elles-mêmes intégrées dans un système écologique de soutien de la vie. Une croissance économique infinie au sein d’une planète finie s’avère de ce fait impossible.

Notre ouvrage tente de synthétiser toutes les idées capables de nous aider à définir à quoi pourrait ressembler cette nouvelle économie enchâssée dans la société et la nature, et comment nous pouvons parvenir à la mettre en ?uvre. Ã vrai dire, la plupart de ces idées ne sont pas nouvelles. Depuis plusieurs décennies, les auteurs de ce livre n’ont de cesse de les exposer dans des publications, et d’autres chercheurs ont exprimé des points de vue similaires lors de conférences trop nombreuses pour être mentionnées ici.

Ce qui est nouveau, c’est le moment et le contexte dans lequel nous nous trouvons, car il y a urgence. Et pour tout dire, nous n’avons même plus vraiment le choix : nous devons engager une transition puisque la trajectoire que nous suivons n’est pas soutenable. Comme Paul Raskin l’a dit à juste titre, « contrairement aux idées reçues, c’est bien le statu quo (business as usual) qui fait office de fantasme utopique. Élaborer une nouvelle vision de l’économie s’avère une nécessité pragmatique ».

Si l’exigence d’enclencher un processus de transition s’impose, nous pouvons néanmoins choisir la voie à emprunter et sa destination. Deux chemins sont possibles : soit nous choisissons d’engager un dialogue à l’échelle planétaire pour imaginer « l’avenir que nous voulons » ? thème de Rio+20 ? et élaborer la stratégie à adopter pour y parvenir ; soit nous laissons le système actuel s’effondrer de lui-même dans l’espoir de tout reconstruire sur ses ruines. Notons que nous aurions dans ce cas comme point de départ une situation désastreuse. Par conséquent, il va de soi que nous optons pour le premier scénario.

Nous insistons dans cet ouvrage sur la nécessité d’abandonner l’objectif de croissance du produit intérieur brut (PIB) au profit d’une amélioration du bien-être humain soutenable. Ce changement d’orientation implique de prendre en compte la protection de la nature, la restauration des écosystèmes, l’équité sociale et intergénérationnelle (notamment l’éradication de la pauvreté), la stabilisation de la population, mais aussi l’ensemble des contributions non marchandes générées par le capital naturel et le capital social.

Pour y parvenir, il sera nécessaire d’instaurer de nouveaux indicateurs capables d’aller au-delà du PIB et d’évaluer plus directement les progrès réalisés par nos sociétés, dans le domaine du bien-être humain et de sa soutenabilité.

Ce texte est extrait de l’ouvrage « Vivement 2050! » édité aux éditions « Les Petits matins ».